ROME, Mercredi 28 janvier 2009 (ZENIT.org) – Au lendemain de l’élection du nouveau patriarche russe Kirill de Smolensk, ZENIT a souhaité comprendre le rôle joué par le patriarche au sein de l’Eglise orthodoxe russe. Nous publions ci-dessous une interview de Giovanni Codevilla, auteur d’un livre intitulé ‘Lo Zar e il Patriarca. I rapporti tra trono e altare in Russia dalle origini ai giorni nostri’ (Le Tsar et le Patriarche. Les relations entre trône et autel en Russie, des origines à nos jours).
Giovanni Codevilla enseigne le droit ecclésiastique comparé et le droit des pays d’Europe orientale à la Faculté de Sciences Politiques de l’Université de Trieste, en Italie.
Q – Synthétiquement, quels sont les pouvoirs et les fonctions du patriarche de l’Eglise orthodoxe russe ?
Giovanni Codevilla – Le patriarche a surtout un pouvoir de représentation de l’Eglise orthodoxe russe, alors que le véritable pouvoir décisionnel revient la plupart du temps aux conciles, qu’ils soient locaux (les plus importants) ou surtout épiscopaux et au Saint-Synode où, de toute façon, le patriarche est le président. Depuis l’an 2000, le statut de l’Eglise orthodoxe russe affirme que le patriarche dirige l’Eglise, de concert avec le Saint-Synode, avec lequel il convoque les conciles. De nombreux pouvoirs sont attribués au patriarche, qui sont toutefois plus formels que substantiels. Par exemple, il est responsable de la réalisation des délibérations conciliaires et synodales, il représente l’Eglise dans les relations avec les organes suprêmes de l’Etat et promulgue les décrets de nomination des évêques diocésains qui, toutefois, sont choisis par le Saint-Synode qui exerce, au contraire, un pouvoir effectif. C’est une conséquence de la domination du principe de ‘conciliarité’ (sobornost’) qui caractérise la gestion de l’Eglise russe et qui se distingue de la hiérarchie qui est typique du catholicisme.
Q – Cela apparaît clairement dans votre livre : dans les Eglises orthodoxes, la relation entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux s’inspire du principe de « symphonie ». Existe-t-il vraiment une harmonie entre Etat et Eglise ?
Giovanni Codevilla – L’idée byzantine de symphonie entre le trône et l’autel, qui n’a jamais été reniée au niveau théorique et doctrinal, a trouvé en Russie une application assez limitée dans le temps, et précisément durant la période qui va de l’institution du patriarcat de Moscou (1589) au grand schisme des Vieux Croyants (1654). Le reste de l’histoire russe est au contraire caractérisée par une subordination totale de l’Eglise à l’Etat, qui s’aggrave surtout avec l’accès au trône de Pierre le Grand, qui a aboli le patriarcat au début du 18e siècle et a institué à sa place le Saint-Synode, dirigé par un laïc nommé par l’empereur. L’Eglise devient ainsi une sorte de ministère étatique, totalement privée de son autonomie. La décision de Pierre, qui vient de la conception d’un monde complètement étranger aux valeurs religieuses, a créé dans la société russe une fracture qui persiste encore aujourd’hui. A mon avis, c’est justement la conception de Pierre qui constitue, en dernière instance, une des prémisses pour le développement futur de la conception bolchevique : ce n’est pas un hasard si la figure de Pierre trouve sa pleine exaltation durant la période communiste.
Q – Comment jugez-vous le comportement de la hiérarchie orthodoxe russe durant le pouvoir soviétique ?
Giovanni Codevilla – C’est un thème extrêmement délicat. Je dirais avant tout qu’on ne peut pas parler du comportement de l’Eglise orthodoxe de manière générique : il faut, en effet, distinguer l’attitude d’une partie quand bien même importante de la hiérarchie, nommée en réalité par le régime communiste, et celle de millions de prêtres et de fidèles qui ont choisi de refuser tout calcul politique et de témoigner de leur fidélité à l’Eglise, le payant par des tortures et par le martyre. Cela vaut aussi pour une bonne partie de la hiérarchie nommée avant 1917 et dans les années qui ont immédiatement suivi, et qui ont été éliminés physiquement (je pense en particulier aux années 1937-38).
Je crois que l’Eglise a survécu grâce à l’exemple donné par cette légion d’hommes et de femmes, de laïcs et de consacrés et aussi de personnes appartenant à la hiérarchie ecclésiastique. En réalité, les choix déterminés par un calcul politique, et je me réfère en particulier au métropolite (puis patriarche) Sergij, étaient en train de mener non pas à un modus vivendi avec l’Etat mais plutôt à un modus moriendi de l’orthodoxie. Bien que ce soit paradoxal, il faut reconnaître que l’agression allemande, et la trêve anti-religieuse qui en a découlé (ce que l’on a appelé la NEP religieuse stalinienne), a permis la survie des Eglises.
Traduit de l’italien par Marine Soreau