ROME, Mercredi 24 février 2010 (ZENIT.org) – Le prof. Jérôme Lejeune, disparu il y a bientôt 16 ans, a découvert la cause de la trisomie 21 et ses travaux ont largement contribué à donner à ses malades leur dignité. Mais il dénonçait aussi un « racisme chromosomique ». Nous revenons sur ces travaux avec Jean-Marie Le Méné et son livre – « La trisomie est une tragédie grecque » – , au moment où l’apparition d’un « groupe anti-trisomiques » sur le réseau italien de Facebook vient de susciter l’indignation.
Le site avait pour titre « Jouer au tir à la cible avec les enfants trisomiques », et il a rassemblé plus de 1700 membres au soir du dimanche 21 février 2010. Des groupes se sont créés en réaction à cette provocation, dont le plus important a regroupé plus de 17 000 adhérents. Le site a été fermé lundi 22 février 2010.
Or, Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune et membre de l’Académie pontificale pour la Vie, a publié en Janvier 2009 un livre choc, « La trisomie est une tragédie grecque » (éditions Salvator), pour alerter sur le risque d’eugénisme, bousculer les préjugés et proposer des solutions pour inverser la tendance.
Cependant, en France, un an après la publication de ce livre, les préconisations de certains rapports préparatoires à la révision de la loi de bioéthique font craindre un renforcement de « l’éradication des trisomiques ». Deux raisons de revenir avec l’auteur sur son livre*.
Zenit – Jean-Marie Le Méné, 2009 a correspondu à l’année du 50ème anniversaire de la découverte, par le professeur Jérôme Lejeune, de la cause de la trisomie 21, qui est encore la première cause de déficit mental dans le monde. Pour cet anniversaire, vous avez publié « La trisomie est une tragédie grecque », chez Salvator. Un titre et un « document choc » ?
Jean-Marie Le Méné – En 50 ans, la trisomie 21 est devenue « pour beaucoup » un simple dysfonctionnement, une sorte de désordre auquel la société pense avoir trouvé une solution : l’avortement de 96 % des enfants trisomiques dépistés in utero, éventuellement jusqu’à 9 mois, comme le permet la loi française. Ceci est inacceptable pour chacun d’entre nous. Or le sort des enfants trisomiques est réglé soit par la technique – qui conduit à leur sacrifice – soit par la religion – qui récuse une telle solution. Cela signifie que ceux qui ne sont familiers ni de la technique ni de la religion, ne sont pas à même de comprendre les vrais enjeux.
Je n’ai donc pas voulu écrire un livre d’érudition, technique ou théologique, ni un livre de vulgarisation qui ferait l’impasse sur l’essentiel. La tragédie grecque qui véhicule les anciens mythes peut tenir cette fonction de médiateur entre la terre et le ciel. Il y a longtemps que le sacrifice des enfants innocents, sur le bûcher des politiques, sous le regard des parents déchirés par des choix inhumains, est un sujet traité par la tragédie grecque.
Zenit – Pour nous rafraîchir les idées : quelle est la découverte fondatrice du professeur Jérôme Lejeune ?
Jean-Marie Le Méné – En 1959, Jérôme Lejeune a découvert la cause du mongolisme, un chromosome supplémentaire sur la paire 21. En établissant pour la 1ère fois au monde un lien entre un état de déficience intellectuelle et une aberration chromosomique, cette découverte posait les bases d’une nouvelle discipline, la cytogénétique, et ouvrait un immense champ d’investigation pour la génétique moderne.
Zenit – Le paradoxe douloureux vécu par le prof. Lejeune est que sa découverte géniale devait, dans son idée, permettre de soigner les malades et qu’elle va servir à les supprimer : comment a-t-il vécu ce renversement ?
Jean-Marie Le Méné – Dans les années qui ont suivi sa découverte, Jérôme Lejeune a perçu dans le corps médical un courant qui préconisait la suppression par l’avortement des enfants malades, faute de pouvoir supprimer leur maladie. Il voyait avec frayeur quels risques sa découverte engendrait pour les fœtus atteints de trisomie. Sa découverte se retournait contre ses malades. Il confiait : « Le racisme chromosomique est brandi comme un drapeau de liberté… Que cette négation de la médecine, de toute la fraternité biologique qui lie les hommes, soit la seule application pratique de la connaissance de la trisomie 21 est plus qu’un crève-cœur…. ».
Zenit – En quoi ce sujet interpelle-t-il l’ensemble de nos concitoyens et pas seulement les personnes atteintes et leur entourage ?
J. – M. Le Méné – Le dépistage généralisé de la trisomie aboutissant à l’éradication des trisomiques est le fruit d’une première loi de bioéthique en 1994. La question de l’eugénisme est centrale au moment où s’amorce une révision de la loi cette année. Si nous y avons définitivement consenti, ce n’est même plus la peine de se battre contre les transgressions annoncées. Car, à chaque fois, on nous répondra : « mais vous avez bien accepté l’éradication des trisomiques ! » C’est ce que, dans mon livre, j’ai appelé le syndrome de Watson, du nom de celui qui a utilisé le premier cet argument pour proposer de nouvelles transgressions. Le dépistage de la trisomie a produit un effet cliquet sur la pente de la déshumanisation. Ce livre est là pour le dire et proposer des solutions urgentes, accessibles et de bon sens pour en sortir. Cela aussi, c’est inédit !
Zenit – Y a-t-il des éléments qui permettent d’espérer des solutions, voire une inversion de tendance, par exemple dans les dernières préconisations annoncées ?
Jean-Marie Le Méné – La plupart des éléments issus de travaux préparatoires annoncent une évolution déshumanisante de la législation en matière de bioéthique. Par exemple, le dernier rapport publié, celui de la Mission parlementaire d’information sur cette loi, en préconisant l’extension du diagnostic préimplantatoire (DPI) à la trisomie 21, ne manque pas de renforcer la stigmatisation des personnes atteintes de la trisomie 21 et l’eugénisme qu’elles subissent avant leur naissance.
Ces dérives eugéniques sont un constat établi par des voix autorisées, notamment le conseil d’Etat, l’ancien ministre de la santé Jean-François Mattéi ou l’ancien président du CCNE, Didier Sicard. Les responsables politiques actuels n’ont-ils à proposer que le renforcement de la sélection pour l’élimination de ces êtres humains ? Plusieurs publications scientifiques récentes viennent pourtant de montrer la pertinence des recherches qui visent à trouver un traitement pour la trisomie 21. Le choix collectif de la France en 2010 doit-il rester celui de l’élimination de ces enfants ?
* Le site de la Fondation Jérôme Lejeune permet de commander les 2 livres de Jean-Marie Le Méné :
« La trisomie est une tragédie grecque » (Salvator)
« Nascituri te salutant ! La crise de conscience bioéthique » (Salvator)
Propos recueillis par Anita S. Bourdin