Egypte : Interview du patriarche copte catholique

La minorité catholique joue un rôle important dans l’éducation

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ROME, Dimanche 3 octobre 2010 (ZENIT.org) – Bien que l’Egypte soit un pays musulman, avec une petite minorité chrétienne, une coexistence harmonieuse est souvent la norme, selon le patriarche de l’Eglise copte-catholique dans le pays, et le travail des catholiques dans l’éducation est apprécié.

Sa Béatitude Antonios Naguib est le chef de la principale communauté catholique en Egypte.

Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », le patriarche Naguib souligne la coexistence pacifique en Egypte, tout en reconnaissant les défis particuliers auxquels sont confrontés les chrétiens.

Q – Vous êtes né à Minièh, en Egypte en 1935. Vous venez d’une famille très religieuse ?

S.B. Antonios Naguib – Oui, en effet. Nous vivions à Beni Suef, près de Minièh (en arabe Minyâ). Ma famille était très proche de l’Eglise, et j’ai été habitué dès l’enfance à assister à la messe et aux célébrations, avec mes parents et mes frères et soeurs.

Quelles sont les valeurs les plus importantes que vos parents vous ont inculquées quand vous étiez petit ?

Les valeurs d’honnêteté, de prière, de notre devoir envers Dieu, d’amour les uns envers les autres et d’ouverture au prochain. A l’époque, les relations entre voisins, entre chrétiens et musulmans, et chrétiens d’autres Eglises étaient très étroites.

Vous avez été ordonné prêtre à l’âge de 25 ans, ce qui signifie que vous vous êtes entré très jeune au séminaire ?

Oui, je suis entré à l’âge de neuf ans au petit séminaire, où je suis resté jusqu’au moment où je devais décider si j’entrais à l’université ou au grand séminaire pour étudier la philosophie et la théologie. Mes parents, à ce moment-là, m’ont laissé complètement libre de mon choix.

Ils n’ont pas cherché à vous convaincre ou à vous dissuader en aucune façon ?

Mes parents m’ont toujours dit : si tu veux aller à l’université, nous paierons tes études, mais c’est à toi de voir. C’est à toi de décider, devant Dieu.

En tant que patriarche de l’Eglise copte catholique, de nombreux catholiques en Egypte vous considèrent quasiment comme un pape. Cette comparaison est-elle valable ?

Oui et non. Oui, en ce sens que le patriarche de chaque Eglise orientale est la tête de cette Eglise, mais dans l’Eglise catholique orientale, nous sommes unis à Rome, ce qui signifie que nous ne sommes pas l’autorité principale et que nous suivons la hiérarchie du pape de Rome. Nous appartenons à l’Eglise catholique romaine. Oui, on peut dire que nous sommes « pape » ou chefs de nos Eglises, mais nous ne sommes pas l’autorité principale.

Comment voyez-vous votre rôle en Egypte ? 

Le patriarche de l’Eglise copte catholique a trois fonctions. Tout d’abord, il est la tête de l’Eglise catholique copte et des sept diocèses, jouant aussi un rôle de coordination et d’animation au sein de l’Eglise. Il a également pour fonction de parler au nom de l’Eglise, avec les autres évêques, car l’Eglise orientale est une Eglise synodale, ce qui signifie que les Eglises travaillent ensemble avec le patriarche. En second lieu, le patriarche est l’évêque du patriarcat d’Alexandrie, divisé en trois diocèses : le Caire, le Delta du Nil et Alexandrie. En troisième lieu, il est le président de la hiérarchie catholique des patriarches et des évêques en Egypte.

De nombreux catholiques coptes arborent un petit tatouage à l’intérieur du poignet droit. Quelle en est la signification ?

Il s’agit d’un signe d’appartenance au christianisme. Le tatouage n’est pas réservé aux seuls coptes catholiques, mais à tous les chrétiens. Il est surtout utilisé par les orthodoxes, et aussi par de nombreux catholiques. Un signe pour dire que l’on est chrétien, une façon d’afficher son identité chrétienne et aussi de se reconnaître mutuellement.

Vous en utilisez un ?

Non, personnellement, je n’utilise pas le tatouage, c’est généralement une tradition familiale. Dans ma famille, la tradition consiste à être membre actif de l’Eglise, plutôt que d’exhiber ce signe.

L’Eglise copte-catholique constitue une communauté ultra minoritaire dans le pays. Comment se déroule la vie quotidienne des chrétiens coptes et catholiques en Egypte ?

Sur le plan religieux, chaque Eglise a ses propres membres qui jouissent de la liberté de culte et peuvent participer à des activités sans restrictions, ni problèmes et conflits. Tous les chrétiens sont parfaitement intégrés dans la société. Il n’y a pas de zones réservées pour les chrétiens. Il existe quelques rares villages où ils sont majoritaires. Les chrétiens sont, pour la plupart, bien intégrés dans une société au sein de laquelle quelques conflits isolés surviennent sporadiquement, comme partout ailleurs entre voisins. Quand on constitue une minorité, surgissent des difficultés dans les rapports avec la majorité. Nous vivons en harmonie et, du côté des musulmans, nous trouvons la même ouverture d’esprit, la même attitude, même si certains groupes peuvent se montrer quelque peu agressifs, comme partout ailleurs.

Même si la situation des chrétiens en Egypte n’est pas facile, la Constitution reconnaît la liberté religieuse. Mais l’Egypte est un Etat islamique et, si je ne me trompe, la charia est la source de toute législation ; ce qui signifie que, à maints égards, les chrétiens rencontrent de nombreux obstacles pour vivre leur foi. Dans ce contexte, à quel type de défis sont-ils particulièrement confrontés en Egypte ?

Comme je l’ai dit, tout dépend du comportement personnel et de la mentalité de la personne. Quand je rencontre une personne ayant un esprit et un cœur ouverts aux autres, la relation est facile et bonne. Avec d’autres, qui ont une disposition d’esprit opposée, la relation peut être difficile. C’est parfois le cas avec le gouvernement à propos de questions administratives, mais souvent les problèmes sont résolus du fait de notre culture orientale, et pas seulement égyptienne. D’une façon générale, tout dépend des relations personnelles, et on trouvera toujours quelqu’un avec qui on entretient une amitié personnelle et qui peut aider à résoudre le problème.

Néanmoins, il y a quelques obstacles. Par exemple, il est difficile, voire impossible, de construire de nouvelles églises ?

Oui, c’est difficile. Ceci découle d’une très ancienne loi.

Pouvez-vous nous parler un peu de cette loi ?

Oui. Cette loi a été promulguée à la fin du 18e siècle, du temps de l’Empire ottoman. Il en existe différentes interprétations. Pour certains, elle visait essentiellement à protéger les chrétiens contre toute agression. Pour d’autres, elle était un moyen de leur créer des difficultés pour avoir leur propre lieu de culte. On peut choisir l’une ou l’autre interprétation, et nous disons souvent aux autorités – qui prétendent toujours que c’est pour notre protection -qu’elles nous rendent les choses difficiles. Dans ce domaine, nous rencontrons des difficultés, il faut beaucoup de temps, mais à la fin nous sommes toujours capables de régler le problème.

Qu’en est-t-il de la vie politique ? Un chrétien ne peut être président. Le gouvernement ne compte que deux chrétiens. Les chrétiens ne peuvent pas être maires dans les villes et les villages. Comment peuvent-ils être représentés équitablement ?

Je dirais que cela est dû à différents facteurs. Tout d’abord sur l’échiquier politique, lors des élections, compte tenu du fait que sur 10 Egyptiens, il y a un seul chrétien, pensez-vous que le chrétien aura une influence suffisante pour être élu député ? C’est la raison pour laquelle le président nomme toujours de quatre à sept chrétiens, pour leur permettre d
‘avoir une voix à l’Assemblée. Dans l’administration publique, le personnel n’est pas élu, il est nommé ; aussi des postes, bien que symboliques, sont attribués aux chrétiens. Dans les administrations locales, les chrétiens n’ont généralement pas accès aux fonctions de shérifs, chefs ou gouverneurs de villages ; les nominations se font habituellement par tradition.

L’Eglise ne se bat pas pour avoir une plus grande représentation politique ?

En fait, les journaux chrétiens en parlent et quelques intellectuels musulmans écrivent et prennent position pour une meilleure représentation des chrétiens. De même, les groupes de droits de l’homme expriment publiquement leur préoccupation à ce sujet. Il y a des voix qui s’expriment et des appels en faveur de cette représentation. Il existe aussi une pression sociale et religieuse.

En Egypte, la mention de la religion est obligatoire sur la carte d’identité. Cette obligation est-elle également un instrument de discrimination, par exemple, si un chrétien à la recherche d’un emploi doit présenter sa carte d’identité ?

Cette question fait également l’objet d’un débat public. Ces dernières années, il y a eu de nombreux articles sur le sujet dans les journaux locaux, chrétiens comme musulmans. On peut l’interpréter, ou le voir de deux manières. Pour les uns, il s’agit d’une discrimination, pour les autres d’une nécessité dans le contexte social. Ces derniers donnent comme exemple les tribunaux civils qui ont à traiter de questions familiales comme le mariage et le divorce, etc.; si la religion de la personne n’est pas mentionnée, disent-ils, comment un juge pourrait-il prononcer une sentence équitable en se basant sur la loi qui lie l’individu ? Il faudrait alors juger sur la base des seules lois islamiques.

La loi égyptienne autorise chaque individu à être jugé conformément aux lois qui le lient sur la base de sa propre affiliation religieuse. Ainsi, selon eux, la loi est juste : par exemple, le divorce n’est pas autorisé pour les catholiques, leur religion l’interdit. Les orthodoxes sont soumis à des règles spécifiques relatives au divorce, et donc le juge, qui souvent est un musulman, basera son jugement sur ces lois (lois de l’Eglise orthodoxe). Beaucoup, toutefois, pensent qu’il est préférable de fonder l’identité de quelqu’un sur la citoyenneté seulement et que tout ce qui concerne la famille et le mariage soit laissé aux différentes communautés religieuses.

D’aucuns prétendent ou insinuent que certaines conversions de chrétiens à l’Islam sont fondées sur des motifs économiques ou d’intérêt. Nous en avons déjà parlé, les chrétiens rencontrent parfois des difficultés à trouver du travail parce qu’ils doivent spécifier leur religion sur leur carte d’identité. Compte tenu du taux élevé de chômage en Egypte qui oscille autour de 10%, est-ce avantageux pour un chrétien de se convertir à l’Islam uniquement pour bénéficier des opportunités d’emploi ?

Parfois oui, mais je ne suis pas d’accord pour dire que c’est la raison principale [des conversions]. Il y a, à mon sens, deux motifs principaux. Le premier, fondé sur le mariage. Le meilleur moyen pour un chrétien, homme ou femme, de mettre un terme à son mariage, est de devenir musulman ; il lui est alors facile de divorcer et de bénéficier de tous les droits, face à son partenaire, et d’obtenir la garde complète des enfants.

Le second motif est la faiblesse de la foi même, faute d’une bonne formation religieuse. Dans certaines régions, villages et dans certains quartiers de la ville, les soins pastoraux sont insuffisants. En l’absence de bases religieuses solides, l’attrait islamique et les médias laïcs exercent une forte influence et contribuent à la faiblesse de la foi.

Un domaine dans lequel l’Eglise catholique se distingue particulièrement est celui de l’instruction scolaire. Comment voyez-vous l’importance de l’éducation pour l’avenir du christianisme en Egypte ?

Nous avons 186 écoles catholiques dans le pays, avec plus de 150 000 élèves, dont au moins 50% sont musulmans. On comprend alors l’importance de l’éducation. Premièrement, elle assure une certaine sécurité à notre peuple, qui acquiert une bonne et solide formation religieuse et morale, et un niveau d’éducation très élevé. Deuxièmement, elle offre aux chrétiens, comme aux musulmans, l’occasion de se fréquenter dès l’enfance. Ils grandissent ensemble, nouent des amitiés et les parents font connaissance, et apprécient l’Eglise catholique et le catholicisme en général. Ces élèves, garçons et filles, qui ont grandi ensemble dans nos écoles catholiques, deviendront de futurs responsables de la société, et ceux qui ne partagent pas notre foi vont pouvoir s’ouvrir davantage et mieux nous connaître – pas seulement notre foi mais nous-mêmes en tant qu’individus, et ils peuvent nous aider quand avons à résoudre des problèmes.

Ainsi l’éducation catholique, pourrait-on dire, constitue la clé de la modération du paysage politique à l’avenir ?

Modération et aussi dialogue interreligieux ; très important.

Votre Béatitude, quel message souhaitez-vous transmettre à la communauté internationale ?

A la communauté internationale, je dirais que nous apprécions énormément ce qui se fait pour améliorer partout la démocratie, la liberté, et contribuer à améliorer les conditions économiques de tous les pays, particulièrement en Egypte. Sur le plan religieux, nous sommes très reconnaissants pour les prières des communautés spirituelles, pour leur intérêt et leur partage de nos difficultés, et pour l’aide qu’elles ont apportée à nos Eglises et à nos institutions afin que nous puissions accomplir notre mission, pas seulement pour les chrétiens, mais pour tout le monde. J’aimerais saisir l’occasion pour remercier Aide à l’Eglise en détresse et les autres organisations catholiques pour leur soutien et leur aide.

Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Traduit de l’anglais par ZENIT (Elisabeth de Lavigne)

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Sur le Net :

Pour plus d’information : www.WhereGodWeeps.org

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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