France : Enquête sur l'Agence de la biomédecine

Fermeture et surreprésentation des médecins ?

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ROME, Jeudi 21 octobre 2010 (ZENIT.org) – L’hebdomadaire français La Vie publie un dossier intitulé « L’Agence de la biomédecine a-t-elle trop de pouvoir ? » Une synthèse de « Gènéthique ».

Peu connue du grand public, l’Agence de la biomédecine (ABM) est une instance nationale chargée de « missions ultrasensibles » dans les domaines touchant à la biomédecine et posant souvent des questions éthiques brûlantes : la génétique, l’embryologie, l’assistance médicale à la procréation (AMP), le dépistage prénatal, les greffes, etc. Sans équivalent en Europe,  l’ABM compte 300 salariés et 1000 experts, issus, en majorité, du milieu médical et scientifique.

Concrètement, l’ABM se charge de contrôler la pratique des médecins spécialisés dans l’AMP, le diagnostic prénatal et le diagnostic préimplantatoire (DPI) ; elle répartit les organes pour les greffes ; elle encadre les recherches utilisant des cellules humaines, notamment les cellules embryonnaires. L’ABM met aussi au point des statistiques nationales – concernant par exemple les fécondations in vitro et les interruptions médicales de grossesse, autorisées en cas d’anomalies du foetus – et rend des avis sur des sujets de bioéthique pour le gouvernement. Prises « entre les attentes immenses des couples et des malades, les enjeux commerciaux de la recherche, et le respect du corps humain », les activités de l’ABM se trouvent au coeur de questions éthiquement controversées.

L’une des questions les plus sensibles concerne les recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines. L’ABM est chargée de délivrer les autorisations pour ce type de recherches. En 2005, le tollé suscité par l’annonce de la nomination, comme nouvelle directrice de l’Agence, de Claire Legras, clairement opposée à la recherche sur l’embryon, illustre les tensions éthiques qui entourent la recherche sur l’embryon. Le gouvernement avait reculé devant cette nomination après que des médecins s’étaient insurgé contre ce « mauvais coup fait aux chercheurs ». Les opposants à la recherche sur l’embryon humain critiquent aujourd’hui les décisions prises par l’Agence, jugée trop accueillante aux demandes des chercheurs qui veulent travailler sur l’embryon. La Fondation Jérôme Lejeune a ainsi reproché à l’ABM d’interpréter la loi de bioéthique de manière laxiste en autorisant des recherches sur les cellules souches embryonnaires humaines sans respecter les deux exigences clefs permettant ces recherches à titre dérogatoire : que celles-ci permettent des « progrès thérapeutiques majeurs » et qu’elles soient menées en « l’absence de méthode alternative d’efficacité comparable ». 

Antoine Beauquier, avocat de la Fondation Jérôme Lejeune, dénonce la façon dont l’Agence « juge la loi et la réécrit » : « les visées thérapeutiques sont trop lointaines et il existe une alternative à l’embryon avec, par exemple, les cellules souches adultes prélevées sur le malade et reprogrammées » (Cf. Synthèse de presse du 18/10/10). Interrogée sur ces critiques, Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice de l’ABM, répond que l’agence suit les conditions posées par le législateur : « il ne faut pas qu’il existe de « méthode alternative d’efficacité comparable » et l’objectif doit être des « progrès thérapeutiques majeurs ». Pour nous, cela veut dire qu’on n’a le droit de sacrifier un embryon humain que pour faire avancer la santé humaine. C’est strictement ce que nous avons autorisé jusqu’à présent. En rejetant les projets mal ficelés ou relevant de la cosmétique ».

Certains observateurs considèrent que l’ABM reste trop fermée aux regards extérieurs. Même si elle publie chaque année un rapport d’activité, personne ne peut assister aux débats du Conseil d’orientation, lieu stratégique dans le processus de décision de l’agence, puisque c’est lui qui délivre les autorisations de recherche. Les comptes-rendus de ces débats ne sont pas publiés et l’ABM met en avant le secret industriel. « Le Conseil d’orientation travaille sur des projets de recherche protégés avec, à la clé, des découvertes et des brevets. La confidentialité est donc indispensable » affirme Emmanuelle Prada-Bordenave.

Alors qu’elle doit décider de choix de société qui touchent à la dignité humaine, l’ABM a-t-elle un pouvoir trop étendu ?  Les avis divergent. Pour le Pr. Israël Nisand, chef du service d’assistance à la procréation de Strasbourg, le pouvoir que détient l’ABM est « un  progrès par rapport à la situation antérieure, car elle nous oblige à rendre des comptes ». Il regrette que l’agence ne soit pas plus présente encore : « les inspections restent rares et trop formelles. les contrôles portent plus sur la tenue des dossiers que sur la pertinence des interruptions médicales de grossesse, par exemple ». Le député Jean Leonetti souhaite aussi un rôle renforcé de l’ABM : elle devrait avoir un rôle de vigie alertant les députés des avancées scientifico-techniques. A l’inverse, d’autres dénoncent la « subjectivité » de l’agence qui pousse toujours dans le sens d’une liberté de recherche plus grande sur l’humain. Le biologiste Jacques Testart, qui souhaite une « réappropriation démocratique » de la science et qui a participé à la création de la fondation Sciences citoyennes, affirme que l’ABM est « un outil au service des biologistes et des médecins ». Si elle se « présente comme une instance de contrôle […] ses propositions vont toujours dans le même sens, en faveur de la ‘liberté de recherche’ et de l’utilisation de l’humain. […] Arrêtons de croire que c’est une agence objective ». Il interroge : « Où sont les comptes rendus des débats? Les réunions sont-elles ouvertes à la presse ? Il me paraît anormal que ce conseil d’orientation reste secret, alors qu’il est chargé de réguler des activités publiques importantes pour la population et pour les patients. sans transparence, son rôle ne me paraît pas valide ».

Quand l’ABM justifie le secret en évoquant le risque de pression sur ses membres et la confidentialité des recherches, Jacques Testart explique que « cela revient à affirmer qu’on est dans le business, pas dans la santé publique. Que la recherche sur l’embryon, par exemple, est utile pour développer des brevets, pas pour soigner des malades ». Quant à donner plus de responsabilités encore à l’ABM, il observe qu’en rendant des avis au gouvernement sur ce qu’il faut autoriser ou non, celle-ci tend déjà à prendre des attributions qui sont celles du CCNE : « qui doit conseiller le gouvernement en matière d’éthique ? Le risque serait grand de dire l’éthique en fonction des promesses scientifiques, de la demande des gens ou du marché de la biomédecine ». Dans le même sens, l’ancien sénateur Claude Huriet explique qu’ « il faudrait pour le moins renforcer la participation citoyenne dans cette instance pour que l’on n’en reste pas à un débat entre chercheurs, médecins et patients. Les questions de bioéthique concernent tous les citoyens et pas seulement les associations de malades ».

On constate en effet, que parmi les membres de l’ABM, les médecins et les biologistes sont « surreprésentés » ; ni anthropologue, ni sociologue pour participer aux débats.

Source : La Vie (Claire Legros) 21/10/10

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ZENIT Staff

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