Les « casques blancs » du pape à l’œuvre au Darfour (II)

Interview d’un membre de la communauté de Sant’Egidio

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ROME, Dimanche 7 novembre 2010 (ZENIT.org) – Tandis que se poursuit, année après année, le conflit dans la région soudanaise du Darfour, la crise humanitaire dans la zone ne fait que s’aggraver. Mais une organisation explore les voies de la paix, et elle a un avantage particulier  : aucun intérêt personnel, aucun programme secret.

Il s’agit de la communauté de Sant’Egidio, un mouvement catholique qui a le charisme du service des pauvres, et déjà à son actif une remarquable histoire de succès dans la recherche de la paix, même dans les conflits les plus complexes d’Afrique.

Dans cette interview accordée à l’émission « Là où Dieu pleure », dont nous publions ci-dessous la deuxième partie, un membre de la communauté, Vittorio Scelzo, raconte son expérience de médiateur de la paix au Soudan et parle des perspectives de paix au Darfour (Pour la première partie de l’interview, cf. Zenit du 31 octobre).

Comment entamer une négociation politique quand on veut parler de paix ? 

La paix pour nous est un don de Dieu. La paix est quelque chose que nous ne sommes pas en mesure de donner ; elle se reçoit de Dieu. C’est notre définition de la paix mais, bien entendu, il faut traiter avec les politiques quand il s’agit de régler un conflit humain et on doit utiliser le langage politique, les paroles politiques, et les mots employés par les belligérants.

Quelle paix recherchent les rebelles, pouvez-vous l’expliquer ?

La paix que recherchent les rebelles englobe des revendications sur la terre, l’unification des trois Etats du Darfour en un seul, des compensations, la représentativité et la participation au gouvernement. C’est ce que l’opposition a toujours recherché dans tout conflit, armé ou pas.

Quel type de paix propose le gouvernement ?

Le gouvernement propose la paix du statut quo, bien sûr, et ce n’est pas inhabituel. Quand il y a deux factions différentes autour de la même table, elles revendiquent la même chose, qu’elles nomment différemment. Notre tâche consiste à déplacer le problème du conflit armé, et nous proposons aux deux parties de poursuivre le combat non pas par les armes, mais par la discussion et la négociation.

Savez-vous que nous avons accueilli dans nos murs, pendant 27 mois, la négociation de paix pour le Mozambique. Il a été très intéressant de voir un rebelle, un homme habitué aux combats dans la jungle et la brousse, se convertir en homme politique.

Comment avez-vous vu cette transformation ? Que s’est-t-il passé quand vous lui avez demandé de venir à la table des négociations au lieu de combattre dans la jungle ?

Comme chacun sait, s’asseoir à la table de négociations constitue souvent l’objectif final de tous les belligérants parce qu’ils se battent pour un motif. Il faut le comprendre dans le sens que, parfois, il est facile de penser que les gens combattent parce qu’ils sont stupides, ou qu’ils sont mauvais. Certes, faire la guerre n’est pas bien, et nous savons que toute guerre, pour quelque cause que ce soit, n’est jamais légitime. Cependant, il faut chercher à comprendre pourquoi ce peuple est impliqué dans un conflit armé, et c’est un exercice utile également pour les combattants, qui leur permet de comprendre et clarifier pour eux-mêmes aussi pourquoi ils se battent, et de mettre leurs arguments et préoccupations sur la table.

C’est le cas du Darfour, mais la situation est la même avec le conflit armé du nord de l’Ouganda, avec l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army). Un des moments les plus difficiles pour eux [les parties impliquées dans le conflit armé] est lorsqu’ils décident de négocier ; le problème surgit quand on arrive à la table des négociations – vous aussi, qui êtes journaliste, vous rencontrez le même problème : quand vous êtes devant une feuille blanche, vous vous demandez ce que vous allez écrire sur cette feuille. Les rebelles eux-aussi se demandent : que dois-je écrire ? Quelles sont nos revendications ? Ce n’est pas facile. Vous [un rebelle] avez combattu tout ce temps et vous avez attendu ce moment, mais à présent que l’opportunité se présente, et que vous devez mettre noir sur blanc vos exigences, cela devient difficile ; mais c’est un moment très important, un moment où une personne se convertit de combattant en homme politique. Nous, bien sûr, croyons que la paix est un don de Dieu, mais lorsque nous traitons avec des êtres humains, il nous faut utiliser les instruments de la politique, qui sont donc très importants, et parfois notre négociation devient un lieu où ces personnes peuvent employer les instruments politiques.

Pourquoi vous êtes si activement engagés dans la recherche de la paix en Afrique ?

Cette question me donne l’occasion de parler un peu plus de la communauté de Sant’Egidio. En effet, je pense qu’il est très difficile de comprendre pourquoi une communauté comme la nôtre s’est impliquée dans ce type insolite d’initiatives, comme partir dans la brousse pour rencontrer des rebelles etc. Notre communauté a été fondée en 1968 à Rome. Vous connaissez les évènements de mai 68 : l’idée de révolution, changer le monde, et nous avons voulu, nous aussi, changer le monde ; mais nous avons pensé que le meilleur moyen de le faire était de commencer par nous-mêmes, de commencer avec nos cœurs, de commencer avec l’évangile. L’Evangile et la prière sont donc devenus les deux piliers sur lesquels nous avons fondé notre communauté. Le troisième pilier est le service des pauvres. A Rome, nous avions des écoles gratuites pour les enfants des banlieues. Aujourd’hui, dans les 70 pays où la communauté est présente avec 50,000 membres, le service des pauvres signifie beaucoup. Notre principale préoccupation est d’aider les enfants dans toutes les parties du monde où nous sommes établis. Par exemple, en Afrique, cela signifie aller dans les rues pour rencontrer les enfants de la rue, visiter les prisons etc.

Quelle est votre conviction personnelle ? Pourquoi vous engagez-vous en faveur de la paix en Afrique par exemple, au Darfour ou dans d’autres pays ?

J’avais 14 ans quand je suis entré dans la communauté en 1989. Je n’avais pas idée, bien sûr, de m’engager pour la paix. Je venais de rencontrer des camarades de classe qui m’ont proposé de rejoindre ce que nous appelons une « école de la paix », située à la périphérie de Rome. J’y suis allé et je dois dire que je suis tombé amoureux de ces malheureux enfants. Ils avaient des difficultés scolaires et nous avons commencé à mettre en pratique ce que l’ « école de la paix » était censée faire. C’était une école du soir, gratuite, et nous aidions ces enfants venus d’Ethiopie et d’Erythrée, les premiers immigrés ici en Italie. Je suis tombé amoureux de ces gens, et j’ai donc compris que je pouvais aider les autres.

Cela a été une joie, parce que c’était amusant et parce que cela donnait un sens à ma vie. J’avais 14 ans ; je pensais à ce que je ferais quand je serais grand. Eh bien, j’ai trouvé une source et un sens à ma vie, le même sens que j’ai encore aujourd’hui, et qui doit être enraciné dans la prière et l’Evangile, les piliers de Sant’Egidio, et le service des pauvres. L’Afrique est l’un des pauvres qui frappent à notre porte et la « guerre est la mère de toutes les pauvretés » ; ce qui est clair pour nous. Nous explorons les voies de la paix, cherchons à restaurer la paix parce que nous sommes convaincus que la

« guerre est la mère de toutes les pauvretés » et si vous allez au Darfour, cela devient clair, parce que vous voyez comment les gens vivent dans les camps. Je l’ai vu au Liberia. Je l’ai vu dans le nord de l’Ouganda.

Quelle est exactement la pauvreté dans ces camps ? Pouvez-vous nous expliquer ce que sont ces camps
?

La plus grande tragédie au Darfour est que les gens ne sont pas autorisés à vivre dans leurs propres villages, mais sont contraints de fuir. La plupart d’entre eux sont au Tchad, certains sont encore au Darfour, mais ils vivent dans des camps. Plus de 2 millions de personnes vivent dans ces camps. La vie dans le camp – vous n’avez rien. Vous êtes toujours dans l’attente de quelque chose qui vienne de l’extérieur : les ONG internationales, les programmes alimentaires – vous dépendez d’eux. Un des problèmes que nous cherchons à résoudre concerne les zones contrôlées par les rebelles ou par le gouvernement ; il n’y a pas d’accès pour l’aide alimentaire. Aussi ces gens ne sont pris en charge par personne. Autrement dit, la « guerre est la mère de toutes les pauvretés ». J’ai visité le camp dans le nord de l’Ouganda ; 1,8 millions de personnes ont vécu dans ce camp aux alentours de Gulu pendant 20 ans à cause de la guerre absurde avec l’armée de résistance du Seigneur.

Propos recueillis par Marie-Pauline Meyer, pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).

Sur le Net :

Pour plus d’information : www.WhereGodWeeps.org

– Aide à l’Eglise en détresse France  
www.aed-france.org

– Aide à l’Eglise en détresse Belgique

www.kerkinnood.be

– Aide à l’Eglise en détresse Canada  
www.acn-aed-ca.org

– Aide à l’Eglise en détresse Suisse 
www.aide-eglise-en-detresse.ch

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ZENIT Staff

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