Mgr Enrico Dal Covolo
Traduction d’Océane Le Gall
ROME, vendredi 20 juillet 2012 (ZENIT.org) – Ne pas profiter des homélies pour faire étalage de son érudition ou pour tenir un meeting : c’est une des autres recommandations faites par Mgr Enrico Dal Covolo, recteur de l’université pontificale du Latran, dans cette troisième partie de sa réflexion sur le ministère de la prédication.
En toile de fond, le titre de la troisième partie de l’Instrument de travail : « Transmettre la foi », pour préparer la prochaine Assemblée générale du synode des évêques sur le thème de la Nouvelle évangélisation pour la transmission de la Foi chrétienne .
Dans cette troisième partie, Mgr Dal Covolo, revient sur la définition et la méthode fondamentale d’une « bonne » homélie, dans le sillage de la Bible et des Pères de l’Eglise, en particulier sur les deux mouvements « aller » et « retour » qui doivent la rythmer :
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La première recommandation est de veiller à ce qu’il y ait un bon équilibre entre le « voyage aller » et « le voyage retour ». On se heurte souvent à des homélies « déséquilibrées » : soit trop repliées sur l’exégèse des textes, où l’on fait étalage d’une information biblique et liturgique érudite ; soit, au contraire, trop déséquilibrées sur le plan de l’actualisation, où le risque extrême est de transformer l’homélie en meeting.
Dans le premier cas le fidèle n’est pas accompagné dans l’interprétation de la Parole pro nobis, hic et nunc; dans le second cas, la Parole risque de devenir pur prétexte pour dire ce qui parait bien au prédicateur à ce moment-là. Il convient de rappeler que ce voyage de retour, soit l’actualisation, sera d’autant plus fécond que le voyage aller aura été soigneusement préparé.
Entre alors ici en ligne de compte une deuxième recommandation, liée elle aussi au magistère de nos Pères : faire des homélies qui mettent le cœur en valeur. Car le cœur est le centre des deux mouvements de la lectio divina: la Parole, lue et méditée, descend au fond des cœurs, puis de là repart pour la confrontation par la prière et dans la vie.
Tant d’homélies pèchent d’intellectualisme, alors qu’au contraire, l’homélie doit parler au cœur des fidèles, dans le sens biblique et patristique du terme. Pour la Bible et les Pères, le cœur est l’intimité de l’homme. C’est là que nous tenons notre destin en main, où se jouent les grandes décisions, où toutes nos facultés sont en quelque sorte appelées à faire corps ensemble. C’est en ce sens que le prédicateur doit parler « de cœur à cœur »: cor ad cor loquitur.
La tradition chrétienne reconnait dans le cœur le chemin qui conduit à des rencontres vraies et authentiques. « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route, et qu’il nous faisait comprendre les Écritures? », se demandent étonnés les disciples d’ Emmaüs.
En ce sens, le prédicateur a pour icone la très sainte Vierge Marie. Dans l’Evangile de l’enfance Luc répète par deux fois que Marie « retenait tous ces événements dans son cœur » (2,19.51). L’évangéliste entend dire par là que dans l’écrin précieux de son cœur la Vierge Marie « conservait avec grand soin » (sunetérei) chaque relique du mystère de Jésus. Mais à une des deux fois Luc ajoute: « Et elle les méditait… » (2,19). Ici est utilisé un autre verbe très significatif: le verbe grec symbállein, auquel se rattache le mot symbole. On veut dire par là que Marie non seulement veillait jalousement dans son cœur sur le Verbe de Dieu, mais elle cherchait en plus à confronter les paroles de la révélation à sa propre vie, pour apparemment « les mettre en pratique ».
Repartons maintenant de la Bible et des Pères, pour illustrer cette place centrale que le cœur doit avoir dans la méthode de l’homélie.
A son ami Théodore, médecin de l’empereur, Grégoire le Grand recommandait : « Apprends à connaitre le cœur de Dieu dans les paroles de Dieu ».
Mais pour que cela puisse vraiment se vérifier, il faut que la Parole soit « digérée » dans le cœur de l’homme. Cette image de la digestion ‘est peut-être pas très attirante (Bernard exhortait même ses moines à être animalia munda et ruminantia), mais elle a le mérite de rappeler de manière incisive que la Parole de Dieu est la vraie nourriture de notre cœur.
A cet égard la tradition des Pères est très riche. Je me limite à un seul exemple.
On lit sur le bienheureux Aelred di Rievaulx, disciple et biographe de saint Bernard qu’il parlait ex biblioteca sui cordis. Le cœur d’Aelred (et à plus forte raison celui de Bernard, son maître) était devenu comme un écrin, c’est-à-dire une précieuse étagère où s’alignaient bien ordre tà biblía, soit les saintes Ecritures, les « livres » par excellence.
Ceci est le meilleur compliment que l’on puisse faire à quelqu’un qui dit une homélie: quand il parle, il parle de la bibliothèque de son cœur. C’est-à-dire qu’il sent vraiment que son travail visant à « actualiser » la Parole vient d’un cœur imprégné de cette Parole, en parfait équilibre avec elle.
Les homélies qui ont eu le plus influencé la vie des fidèles viennent de personnes qui ont été les témoins de cette union intime avec le mystère de Dieu.
Pensons – pour quelque exemple – à saint François d’Assise. Il a été dit que ses écrits étaient si « parfumés d’Evangile » (comme l’étaient ses homélies, dit-on) que si l’on enlevait l’Evangile il ne resterait plus rien.
Ou bien pensons à saint Charles Borromée, et à sa célèbre Homélie 45, dans laquelle l’évêque s’adresse directement au crucifix: « Pourquoi as-tu voulu naitre en d’aussi basses conditions, vivre toujours en elles et mourir parmi les ignominies? Pourquoi as-tu souffert tant de peines, tant d’offenses, tant d’outrages, tant de douleurs et tant de plaies, et à la fin d’une mort aussi cruelle, versant ton sang jusqu’à la dernière goutte ?… ». Et saint Charles conclut son homélie en proclamant « heureux vraiment ceux qui ont imprimé dans leur cœur le Christ crucifié, et ne s’évanouit jamais ».
Pensons aussi au saint curé d’Ars qui, au moment le plus beau, interrompait son homélie pour, dans une ineffable intensité, s’adresser au Tabernacle, disant simplement: « Mais qu’importe tout ceci? Il est là!… ».
Mais l’exemple probablement le plus impressionnant est l’homélie de saint Louis M. Grignion de Montfort. Du haut de son pupitre, le moment venu, le prédicateur prend son crucifix, et sans un mot se met à le contempler longuement puis se met à pleurer. Le peuple, à son tour, ne parvient pas à retenir ses larmes, quand le prédicateur descend et présente à chacun le crucifix pour un baiser. « La prédication a été courte”, commente le biographe, « mais il ne faut pas moins de toute la vie d’un saint pour la préparer ».
(La quatrième partie de cette réflexion sera publiée lundi prochain, 23 juillet. La deuxième partie a été diffusée jeudi 19 juillet)