ROME, Dimanche 20 mars 2011 (ZENIT.org) – Les Actes des Apôtres rapportent qu’un des premiers convertis au christianisme fut un Ethiopien. Dès le 4e siècle, l’Ethiopie déclarait la foi catholique comme religion officielle. C’était l’un des premiers pays à le faire. Cependant, aujourd’hui, les catholiques représentent moins de 1% de la population totale. Malgré leur petit nombre, ils gèrent 90% des programmes sociaux du pays.
Dans cette interview accordée à l’émission de télévision « Là où Dieu pleure », Mgr Rodrigo Mejía Saldarriaga, vicaire apostolique de Soddo-Hosanna, évoque le travail accompli par l’Eglise au service du pays.
Q : Vous êtes né, vous avez grandi et vous été ordonné en Colombie. Comment vous retrouvez-vous en Ethiopie ?
Mgr Mejía : J’ai débarqué en Afrique en 1963 ; pas en Ethiopie, mais au Congo, l’ancien Congo belge, où j’ai travaillé pendant une vingtaine d’années. Ensuite je suis allé au Kenya où j’ai œuvré comme missionnaire pendant 14 ans, et maintenant je me trouve en Ethiopie depuis plus de 10 ans.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile à votre arrivée en Afrique ?
Je dirais que la plus grande difficulté a été de m’adapter à deux mentalités en même temps : la mentalité africaine d’une part et la mentalité européenne des missionnaires de l’autre : étant quasiment le seul d’Amérique latine, je devais travailler avec les Européens pour les Africains.
Comment décririez-vous la mentalité africaine ?
L’africain est ouvert, joyeux et communicatif ; il est facile de savoir ce que pense un africain. Les européens, en revanche, sont plus réservés, davantage des personnes de tête que de cœur.
Vous qui avez vécu dans tant de pays si différents, que trouvez-vous d’unique dans la foi des Ethiopiens ?
Le christianisme en Ethiopie est fortement marqué par la tradition juive, parce qu’il y avait une présence juive en Ethiopie, avant le christianisme. Et aujourd’hui encore, certaines traditions et coutumes remontent à l’Ancien Testament. Par exemple, ils ne mangent pas de porc et jeûnent deux fois par semaine.
Comment se présente le panorama religieux dans l’Ethiopie aujourd’hui ?
L’Ethiopie est le plus ancien pays chrétien, et le plus chrétien, d’Afrique. Près de 45% sont orthodoxes, 4%-5% protestants ; environ 30% sont musulmans et le reste appartient aux religions africaines traditionnelles. C’est, plus ou moins, la composition religieuse du pays.
Les catholiques représentent moins de 1% de la population, et pourtant l’Eglise catholique gère plus de 90% des programmes sociaux en Ethiopie. Comment expliquez-vous cela ?
Je pense que cela est conforme à l’orientation générale de l’Eglise catholique dans les missions, au fait que nous n’allons pas évangéliser seulement les âmes comme par le passé, mais les personnes. L’Ethiopie est un pays très pauvre, avec de grands besoins sociaux : besoins en matière d’éducation et de santé.
De quel genre de pauvreté s’agit-il ? Quel est le salaire moyen ?
Selon l’indice de développement humain élaboré par le Programme des Nations Unies, l’Ethiopie est le quatrième pays plus pauvre du monde, avec des besoins en éducation, en nourriture, en emplois. L’Ethiopie compte actuellement plus de 70 millions d’habitants, ce qui en fait le second pays le plus peuplé d’Afrique, après le Nigeria.
Mais ce n’est pas un pays pauvre en ressources agricoles, et il possède des minéraux. Pourquoi n’est-il pas capable de se développer ?
La terre est bonne, vous avez raison, mais les méthodes agricoles employées sont très, très traditionnelles. Une sorte d’agriculture de subsistance. L’Ethiopie, qui est le pays le plus montagneux d’Afrique, est donc fortement tributaire de l’eau de pluie. Quand le pays est touché par la sécheresse, c’est un drame pour les paysans.
Quel type de programmes l’Eglise a-t-elle mis en œuvre ?
L’Eglise catholique est reconnue pour ses institutions éducatives, du jardin d’enfant à l’enseignement secondaire. Et, plus récemment, a été lancé un grand projet pour démarrer une université catholique dans la capitale, et peut-être plus tard dans d’autres villes, avec différents campus. L’Eglise catholique est connue pour son engagement dans l’éducation, car nous sommes convaincus que l’éducation est le premier pas pour sortir de la pauvreté.
Les chrétiens représentent 45% de la population totale, mais les musulmans sont aussi très nombreux. Que pensent les musulmans de ce travail de l’Eglise, de sa forte présence, en particulier de ce type de programmes ?
Historiquement, l’Ethiopie a toujours été considérée, même dès les débuts de l’islam, comme un pays chrétien en Afrique, et ils l’ont accepté. Durant la persécution contre les musulmans, même à l’époque de Mahomet, l’Ethiopie a accueilli les musulmans comme réfugiés et, depuis ce jour, les musulmans ont promis qu’ils respecteraient l’Ethiopie, et ils ont tenu leur promesse. C’est une tradition, une tradition orale, qui s’est perpétuée encore aujourd’hui.
Les chrétiens et les musulmans travaillent de concert aussi de cette façon pour le bien de leur pays ?
D’une façon générale oui. Les musulmans ne sont pas agressifs et sont respectueux. Et nos institutions sociales sont ouvertes à tous : aux orthodoxes, aux musulmans, et aux africains de diverses religions.
Dans les écoles, par exemple, quel est le pourcentage d’étudiants musulmans ?
Je n’ai pas de données précises. Avec les petits enfants, les musulmans ont lancé leurs propres écoles coraniques, bien entendu. Dans nos écoles secondaires, je dirais peut-être que 10%-15% sont musulmans.
En voyez-vous les effets dans le panorama politique ? Plus précisément, les musulmans, qui sont passés par une éducation catholique, sont-ils plus ouverts au christianisme, pas nécessairement pour se convertir, mais plus ouverts à une collaboration avec les chrétiens ?
Votre question est très intéressante parce que, même si nous avons des institutions catholiques, nous ne les utilisons pas pour l’éducation catholique en tant que telle, du moins explicitement. La religion n’est même pas enseignée dans nos écoles catholiques.
Vous n’avez pas l’autorisation ?
Non, nous enseignons la religion aux catholiques dans nos écoles en dehors des périodes scolaires et du programme scolaire, mais nous devons suivre le programme prescrit dans le pays.
Vous êtes évêque du diocèse de Soddo-Hosanna. Quel est votre plus grand défi comme berger de ce diocèse ?
Le défi le plus immédiat a été la sécheresse. Après ma nomination, nous avons connu cinq mois sans pluie. La terre est bonne, mais ces gens vivent toujours au niveau de subsistance et de pauvreté. Dans les périodes de sécheresse comme celle-ci, ils sont contraints de manger leurs graines, de sorte qu’à ces moments-là, ils n’ont rien à manger. C’est une pauvreté réelle et cette sécheresse a été l’un des premiers défis auxquels j’ai été confronté.
Que fait l’Eglise dans ce domaine ? Collabore-t-elle avec l’aide alimentaire ?
Avant tout, nous devons collaborer avec le gouvernement local et être en accord avec eux – leur demander l’autorisation officielle de faire venir de la nourriture et de la distribuer. Ensuite nous pouvons compter sur la générosité des gens à l’étranger pour nous envoyer de la nourriture ou de l’argent pour en acheter localement, parce que parfois la sécheresse est très localisée, et il y a de la nourriture dans les autres parties du pays, si bien que nous ne sommes pas obligés de la faire venir de l’étranger.
Quel serait vote appel aux catholiques du monde entier, en tant que berger de ce diocèse, et pour l’Ethiopie b> ?
L’appel le plus évident est qu’ils soient sensibilisés et connaissent beaucoup mieux l’Ethiopie, car ce pays n’apparaît, semble-t-il, à la télévision et à la radio que lorsqu’il y a des problèmes : quand sévit la famine ou qu’il y a des guerres et des conflits, ce qui risque de donner une image négative de l’Ethiopie. Alors que l’Ethiopie est un pays fantastique, qui offre une diversité de cultures. C’est, de surcroît, un pays magnifique, avec beaucoup de choses à contempler et admirer.
Ensuite pour les chrétiens, solidarité est le mot clé, solidarité avec les Ethiopiens dans leurs souffrances, dans leur pauvreté parce que nous sentons que, après la guerre froide et l’écroulement du Mur de Berlin, l’Europe est davantage orienté vers l’Europe de l’Est. Ce sont de nouveaux marchés pour l’investissement, alors que nous avons l’impression que l’Afrique en général et l’Ethiopie en particulier sont oubliés.
Sur le plan pastoral, quels sont vos besoins au quotidien ?
Dans notre vicariat, nous avons 34 jardins d’enfants qui appartiennent à l’Eglise catholique. Ces jardins d’enfants ne peuvent pas compter sur les frais de scolarité que peuvent payer les enfants ou les familles. Et en plus de l’éducation, nous leur donnons un peu de nourriture chaque jour au milieu de la matinée.
C’est leur unique repas ?
Pratiquement, oui. Si nous ne leur donnons pas ce repas, les enseignants voient que les enfants s’endorment et meurent de faim. Il s’agit donc d’un grand service et les parents envoient les enfants dans ces jardins d’enfants pas tant pour l’éducation que pour la nourriture. Mais nous avons besoin d’aide pour maintenir ces institutions et parfois nos bienfaiteurs disent « Nous vous aiderons au début, mais pas pour les dépenses courantes, ensuite ». Il semble logique qu’une institution soit auto-suffisante, mais dans notre contexte, ceci est très, très difficile, malgré nos efforts pour que les gens prennent davantage conscience de la nécessité de leur contribution locale. Ils font ce qu’ils peuvent, mais les difficultés demeurent.
Propos recueillis par Mark Riedermann pour l’émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l’association Aide à l’Eglise en Détresse (AED).
Sur le Net :
– Aide à l’Eglise en détresse France
www.aed-france.org
<p> – Aide à l’Eglise en détresse Belgique
– Aide à l’Eglise en détresse Canada
www.acn-aed-ca.org
– Aide à l’Eglise en détresse Suisse
www.aide-eglise-en-detresse.ch