Le site de la Conférence des évêques de France publie cette réflexion de Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre, Président du Conseil Famille et Société, pour le Dimanche de la santé 2013, le 10 février, à la veille de la Journée mondiale du Malade.
Réflexion de Mgr Jean-Luc Brunin
La profonde modification ces dernières décennies du contexte de la vie journalière n’est pas sans effet sur la qualité des relations humaines. Par sa pratique, la pastorale de la santé expérimente le caractère humanisant de la parole dans la rencontre comme dans la visite « en vérité ». La parole permet à la personne d’écrire son récit de vie, lui donnant ainsi de vivre son unité et de rester en lien, « d’advenir en humanité », notamment quand la maladie, le handicap ou le vieillissement surgissent.
Aujourd’hui, trop de situations, de conditions de vie, de rapports sociaux ont un effet déshumanisant sur les personnes. La crise de notre société, si elle affecte les institutions, atteint surtout les sujets dans leur devenir humain. Dans ce contexte, la pastorale de la santé apparaît comme un véritable service d’humanité au nom du Christ Sauveur des hommes. La célébration du Dimanche de la santé qui sera célébrée le 10 février 2013, veut attirer notre attention sur la place de la parole dans les relations établies avec les malades, leurs familles et les soignants. Ces quelques réflexions ne prétendent pas à l’exhaustivité sur la question, mais elle veut offrir quelques réflexions pour donner sens à la pratique fondamentale de la pastorale de la santé : la visite.
Une société où la relation sociale est malmenée
Nous vivons dans une société qui ne permet plus à l’individu d’être naturellement unifié. La stabilité relationnelle et sociale, la continuité traditionnelle sous mode d’héritage, si elles sont des caractéristiques et des valeurs de l’ancienne ruralité, deviennent illusions dans beaucoup de situations actuelles. Nous nous trouvons devant l’impérieuse nécessité de retrouver des chemins nouveaux pour garantir une place à l’homme au coeur de son environnement social, surtout quand la personne est marquée par la maladie, le handicap ou le vieillissement.
Aux contacts primaires et directs se substituent de plus en plus des contacts secondaires et médiatisés. L’éclatement des familles pour des impératifs professionnels conduit à l’affaiblissement des liens de parenté au profit de liens d’élection. Mais lorsque des personnes se trouvent limitées dans leur mobilité, le réseau de leurs liens d’élection tend souvent à disparaître sans que le resserrement des liens familiaux ne soit envisageable, sinon épisodiquement.
Dans la plupart des situations aujourd’hui, on assiste à la disparition de la notion de voisinage. Branchés sur la vie du monde par les médias et Internet, on ignore souvent tout de ses voisins. L’écart entre espace public et espace privé s’agrandit. On assiste alors à l’érosion des bases traditionnelles de la solidarité. On doit s’en remettre aux institutions des collectivités locales ou de l’État pour organiser la solidarité et traiter, par exemple, les situations de dépendance.
Dans un tel contexte de mobilité généralisée, la maladie, le handicap et le vieillissement risquent vite de prendre un tour tragique. Coupant la personne de ses réseaux sociaux, ils la replacent devant son profond isolement existentiel. La personne âgée, malade ou handicapée s’éprouve souvent comme marginale, même au sein de sa propre famille. Ceux qui l’approchent et la visitent attestent qu’elle n’est plus dans le coup de la vie sociale qui se déroule de façon trépidante à côté d’elle. Ils abandonnent leurs activités pour vivre un instant de présence auprès d’elle. Ils suspendent leur rythme de vie pour offrir quelques minutes de leur temps. Puis ils repartent vers le monde des bien-portants et des actifs, pour reprendre un rythme de vie jugé normal. La visite est une brève parenthèse ouverte dans un espace d’occupations multiples. Plus ou moins confusément, la personne âgée, malade ou handicapée éprouve un malaise qu’elle exprime parfois par un « je vous donne du souci » ou « il ne fallait pas vous déranger ».
La visite comme constitution d’une communauté de récit
Lorsque, dans le cadre de la pastorale de la santé, nous visitons les personnes malades ou âgées, nous prenons le temps. Les personnes visitées le sont pour elles-mêmes, gratuitement. Au cours de la visite, nous échangeons des paroles. Il nous faut avoir le souci de former avec elles, une communauté de récit. C’est une condition pour garantir le caractère humanisant de notre rencontre. Nous ne pouvons nous limiter au seul aspect informatif : le beau temps, les nouvelles des enfants, les difficultés et les souffrances liées à leur état. Les visites doivent pouvoir conduire les personnes sur un autre registre. On échange des paroles au niveau performatif, c’est-à-dire un discours qui crée une situation nouvelle et transformatrice du quotidien. Il ne s’agit pas de meubler le temps de la visite par de vains propos. Mais notre présence auprès des personnes visitées doit devenir occasion de susciter la parole. La visite constitue alors une communauté de récit. C’est ainsi que les initiatives de la pastorale de la santé pourront devenir service d’humanité.
Permettre à la personne visitée de faire le récit de ce qui l’a marquée dans son existence, ce qu’elle semble avoir réussi ou raté, ce qu’elle éprouve et ressent vis-à-vis des événements et des étapes de sa vie, c’est lui offrir la chance de se construire une histoire. Une histoire est davantage qu’une énumération de souvenirs, c’est une construction de soi-même par le récit. C’est comme cela qu’on ne cesse d’advenir en humanité. Une personne sans histoire, une vie sans histoire ne sont pas vraiment humaines. Les acteurs de la pastorale de la santé mettent à profit la distance qui existe avec les personnes malades, handicapées ou âgées pour leur faire raconter ce qui a fait et fait aujourd’hui la trame de leur vie. Ils forment avec elles une communauté de récit qui leur permettra de construire leur histoire et de se réapproprier leur vie. Ce n’est pas curiosité malsaine, mais une aide offerte pour que la personne reste humaine jusqu’ au bout de son existence.
La démarche de susciter et donner la parole pour faire histoire a aussi une dimension pastorale. Ce n’est qu’à cette condition qu’il sera possible dans la prière, dans la réception de la communion eucharistique ou dans la célébration du sacrement des malades, d’inviter la personne à faire l’offrande de sa vie au Père avec celle du Fils. Nous ne pouvons offrir à Dieu que ce que nous avons réassumé.
Quand la parole humaine croise la Parole de Dieu
La visite, acte fondamental d’une pastorale de la santé, est un acte qui engage la parole humaine pour une rencontre en vérité. Dans le dialogue où nos paroles humaines s’échangent et circulent et nous font exister les uns avec et pour les autres, s’offre un espace d’accueil de la Parole de Dieu. Elle peut s’inscrire dans la trame de nos entretiens et de nos échanges. En assurant ce service de la parole humaine, nous pouvons faire écho à la Parole de Dieu. Elle s’inscrit alors dans la trame de nos paroles humaines pour les renouveler et les ouvrir à de nouvelles dimensions liées à la rencontre avec Dieu qui nous sauve et nous offre sa vie.
Prenant au sérieux la parole humaine, la pastorale de la santé est service de l’entretien que Dieu ne cesse de vouloir engager avec les hommes comme le rappelle le Concile Vatican II : « le Dieu invisible s’adresse aux hommes en son immense amour ainsi qu’à des amis ; il s’entretient avec eux pour les inviter et les admettre à partager sa propre vie. » (Dei Verbum, § 2).
Mgr Jean-Luc Brunin
Évêque du Havre
Président du Conseil Famille et Société