La prestigieuse publication bimensuelle des jésuites italiens, La Civiltà Cattolica, fait son entrée sur les tablettes, dans un esprit de « partage social », et elle met ses archives à la disposition des internautes gratuitement grâce à Google.
« La Civiltà Cattolica, par tradition et par nature, exprime une forme « élevée » de journalisme culturel en se situant sur une ligne de crête difficile », explique le père Antonio Spadaro, S.J., qui a présenté ce matin au Vatican les innovations de la revue dont il est le directeur, accompagné de Mgr Claudio Maria Celli, président du Conseil pontifical des communications sociales et de Mons. Antoine Camilleri, sous-secrétaire pour les Rapports avec les Etats.
Intervention du père Spadaro
« La Civiltà Cattolica » est la revue la plus ancienne d’Italie ; elle fait partie de celles qui n’ont jamais interrompu leurs publications. Elle sort depuis cent-soixante-trois ans, tous les quinze jours, sous la forme d’un fascicule de cent pages. C’est une revue culturelle qui contient des articles écrits uniquement par des jésuites. Ses rédacteurs sont des spécialistes mais ils utilisent un langage pour les « personnes étrangères aux travaux ». En outre, c’est une revue que nous pourrions dire « certifiée » par une harmonie particulière avec le Saint-Siège et qui parvient d’ailleurs par la valise diplomatique à tous les nonces dans le monde.
Née en 1850, La Civiltà Cattolica entend partager une expérience intellectuelle éclairée par la foi et profondément engagée dans la vie culturelle, sociale, économique, politique, artistique et scientifique de notre époque. Elle ne veut pas partager ses réflexions uniquement à l’intérieur du monde catholique, mais avec toute personne qui désire avoir des sources de formation fiables, capables de faire réfléchir et de faire mûrir un jugement personnel. Récemment, un de nos lecteurs, qui avait décidé de ne pas renouveler son abonnement, s’est reposé la question quelques mois plus tard, ayant la « sensation d’avoir acquis, à travers La Civiltà Cattolica, une forme d’esprit plus introspective et, probablement, plus humble que, disait-il, j’espère transmettre à mon fils ».
Notre véritable trésor, en tant que revue de la Compagnie de Jésus, est cette forma mentis qui a ses racines dans la spiritualité d’Ignace de Loyola : une spiritualité humaniste, curieuse et attentive à chercher la présence de Dieu dans le monde, qui a forgé, au cours des siècles, des saints, des intellectuels, des scientifiques et des formateurs… et même un pape. Le principe inspirateur de cette spiritualité est un critère très simple : « chercher et trouver Dieu en toutes choses », comme l’écrit saint Ignace. Dès que j’ai été nommé directeur, j’ai lu avec soin le premier éditorial de la revue et j’ai été très frappé par la manière dont, dès le début, notre revue a interprété sa propre « catholicité » : « Une civilisation catholique – Civiltà cattolica, en italien, ndlr – ne serait pas catholique, c’est-à-dire universelle, si elle ne pouvait pas se mêler à n’importe quelle forme de chose publique. »
La Civiltà Cattolica, par tradition et par nature, exprime une forme « élevée » de journalisme culturel en se situant sur une ligne de crête difficile. Nous voulons continuer de répondre à l’appel des papes adressé à la Compagnie de Jésus dans son ensemble, et en particulier à celui de Paul VI, repris ensuite par Benoît XVI : « Partout dans l’Eglise, même dans les champs d’activité de pointe et les plus difficiles, aux carrefours des idéologies, dans les secteurs sociaux, là où les exigences brûlantes de l’homme et le message permanent de l’Évangile on été ou sont confrontés, il y a eu, il y a les jésuites. »
Nous n’entendons pas simplement « suivre » et commenter des événements culturels ou des réflexions déjà exprimées. Pour autant que cela nous soit possible, nous voulons pressentir ce qui sera, anticiper les tendances et les phénomènes, en prévoir l’impact et donc garder éveillée l’attention de nos lecteurs. Paul VI nous avait dit d’avoir un « regard prophétique et dynamique tourné vers l’avenir […] pour découvrir, deviner si nécessaire, les signes des temps, c’est-à-dire les devoirs, les besoins, les voies ouvertes à l’avenir de la société et en particulier de l’Église en marche vers un lendemain.»
De 1850 à 1933, la revue ne signait pas les articles pour signifier qu’ils sont l’expression non pas d’un individu mais d’une communauté, le fameux « collège des écrivains », actuellement composé de sept jésuites. Mais aujourd’hui plus que jamais, la culture a changé. On verra donc augmenter, par rapport au passé, la présence de signatures internationales de pères jésuites et la variété des sujets traités, même si la revue reste toujours « cuisinée » sur place, au sein d’une rédaction stable.
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En quoi consistent les principales innovations ?
La Civiltà Cattolica n’a pas changé de présentation graphique depuis 1970. C’est maintenant la première fois, en cent-soixante-trois années de vie de la revue, que cette présentation est soumise à une véritable conception coordonnée, qui va du changement de style du titre à la création d’un logo, de la mise en page de la couverture aux pages intérieures, jusqu’à la déclinaison pour tablette.
Le véritable fil conducteur graphique de la revue, depuis la fondation jusqu’à ce jour, est la police de caractère Bodoni, qui a été conservée et valorisée, en passant du Bodoni Poster au Bodoni Normal, légèrement redessiné, pour avoir une identité sobre, ravivée par la présence de la couleur bordeaux. Tous les titres intérieurs sont restés en Bodoni. En revanche, les caractères des pages intérieures ont changé, et sont passés du Simoncini Garamond au Cardo, police plus « ronde » et claire qui rend la lecture plus reposante. Les pages intérieures ont été conçues à nouveau selon trois variantes, en fonction de la section de la revue, à une ou deux colonnes.
Au niveau de la structure, les « chroniques » disparaissent, dans un monde où la chronique est confiée aux quotidiens, et aujourd’hui aux blogs et aux tweets en temps réel. En revanche, nous insisterons sur les « ponts », c’est-à-dire sur les réflexions, les évaluations critiques, les raisonnements, y compris sur les aspects contemporains les plus actuels, grâce à la rubrique « Focus » avec des articles liés à l’actualité politique, économique, internationale, de société, de droit. La réflexion sur l’Église aura une place fixe au cœur, c’est-à-dire au centre, de la revue. De nouvelles rubriques mobiles apparaîtront comme le « Profil » et l’« interview ».
Nos prédécesseurs avaient demandé à l’imprimeur d’acheter en Angleterre une « machine rapide » pour remplacer la presse à main. Et ceci, par fidélité à la demande faite par Pie IX au sujet de leurs écrits, de « les répandre et les diffuser largement dans tous les pays », comme on le lit dans l’encyclique Gravissimum supremi. En 1854, le tirage a atteint 13000 exemplaires. Aujourd’hui, cela signifie pour nous d’aborder les supports numériques pour que la revue soit accessible à un plus grand nombre de personnes. Ainsi, la revue est aujourd’hui disponible sur toutes les tablettes avec application sur iPad, iPhone, Android, Kindle Fire et Windows 8. Dès maintenant il est possible de charger les deux derniers numéros de la revue : le dernier de l’ancienne version et le premier de la nouvelle.
La Civiltà Cattolica, née en 1850, a sillonné des décennies dans lesquelles ont changé non seulement les modalités de la communic
ation mais aussi ses significations. Notre temps est profondément marqué par les réseaux sociaux et par les nouveaux media numériques. Aujourd’hui, communiquer signifie de moins en moins « transmettre » des nouvelles et de plus en plus être témoin et « partager » avec les autres des visions et des idées. C’est pourquoi le contenu de la revue, sous la forme de base d’un résumé, devient « ouvert » aux réseaux sociaux pour la lecture, le partage, le commentaire, le débat, sous les formes qui seront possibles dans ces réseaux : pas sur notre site, mais dans les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter.
Par ailleurs, grâce à la collaboration de Google, nous avons lancé un projet qui permettra d’accéder sur la toile à tous les fascicules publiés de 1850 à 2008. Google avait en effet numérisé les ouvrages dans le contexte de son projet Google Livres, à travers des accords avec diverses bibliothèques en Europe et aux États-Unis. Les ouvrages encore protégés par les droits d’auteur seront désormais disponibles avec notre autorisation.
Nous autres, jésuites qui composons aujourd’hui la rédaction de La Civiltà Cattolica, nous sommes convaincus que, comme l’a dit Benoît XVI en 2006, « La Civiltà Cattolica, pour être fidèle à sa nature et à son devoir, ne manquera pas de se renouveler continuellement ». Et le renouvellement que nous présentons aujourd’hui est une étape sur ce chemin.