Les réflexions de Jean XXIII partent du fait que Dieu est le fondement de tout ordre moral. C’est sur ce principe que reposent les droits de la personne (chap. I), qui sont la base sur laquelle est construit l’édifice du document : Les rapports entre les hommes et les pouvoirs publics au sein de chaque communauté politique (chap. II), les rapports entre les communautés politiques (chap. III), les rapports des individus et des communautés politiques avec la communauté mondiale (chap. IV). À l’intérieur de ce schéma relativement simple, le pape Roncalli affirme que la paix a de multiples dimensions, qui vont des relations individuelles aux relations internationales.
La paix ne concerne pas seulement les rapports entre les États : elle concerne tous les niveaux de l’existence humaine et sociale, y compris la dimension intime de toute personne. Cela l’amènera à parler d’un « désarmement intégral » qui engage « aussi les âmes » (n. 113).
Le pape insiste beaucoup sur les conditions qui rendent la paix possible : un ordre précis dans l’univers et dans la société, dont les quatre principes fondamentaux sont la vérité, la justice, l’amour et la liberté. La paix n’est pas seulement l’absence de guerre, mais c’est un ensemble de relations fraternelles entre les personnes et entre les communautés.
Ayant dit cela, Jean XXIII ne propose pas une idéologie morale figée : il distingue les bases morales de la vie individuelle et collective et les propose à tout homme de bonne volonté.
L’encyclique de la paix examine aussi un certain nombre d’autres questions : le développement, la collaboration avec les non-chrétiens, le travail, les pouvoirs publics, l’immigration. Arrêtons-nous sur trois thèmes spécifiques :
1 – La dimension prophétique des droits de l’homme et de sa dignité. Le texte reprend les points les plus importants de la Déclaration universelle de l’ONU de 1948, mais, comme le veut la tradition dans l’Église, il insiste beaucoup sur les devoirs qui incombent à chacun. La clé de lecture se fonde sur la loi naturelle, dans le souci de se référer à une plateforme qui puisse être reconnue par tous. À partir de cette réflexion, se développeront de nombreux mouvements chrétiens et non-chrétiens pour la défense des droits de l’homme et de sa dignité.
2 – Le désarmement. L’encyclique analyse bien le mécanisme de la course aux armements nucléaires (n. 111) : quand une partie investit dans les armes, la partie opposée veut rétablir l’équilibre. Le pape rappelle que « La justice, la sagesse, le sens de l’humanité réclament par conséquent, qu’on arrête la course aux armements » (n. 112). Jean XXIII fait reposer son argumentation sur la raison mais aussi sur l’utilité : qu’est-ce que la guerre peut apporter, sinon la destruction ? Il invite ensuite à examiner en profondeur la nécessité d’un équilibre international authentiquement chrétien. Ce sont des positions classiques, dans la mesure où elles invitent à « la réduction parallèle et simultanée de l’armement existant », mais elles sont accompagnées d’un appel fort à « un équilibre à base de confiance réciproque, de loyauté dans la diplomatie, de fidélité dans l’observation des traités » (n. 118), à une recherche positive de la paix sans laquelle tout désarmement est impossible.
3 – Les institutions internationales. Selon la tradition, dont la genèse remonte à l’œuvre du théologien espagnol Francisco de Vitoria (XVIe siècle), enrichie par le jésuite Taparelli d’Azeglio (XIXe siècle) et par Pie XII, Jean XXIII affirme la nécessité d’un ordre moral qui protège le bien commun de l’humanité pour demander la constitution d’une autorité publique ayant une compétence et une vision universelle. Il souligne ce qui lui semble positif dans l’ONU, souhaitant que celle-ci soit fidèle à sa mission de garante des droits de la personne humaine. Ce dernier point est particulièrement important : l’ONU, à cette époque, sortait de la paralysie dans laquelle l’avait bloquée la guerre froide ; son œuvre en faveur de la détente et du développement pouvait laisser espérer un grand avenir pour cette institution.
Un autre grand mérite de Pacem in terris est d’avoir su accueillir les préoccupations de toute l’humanité. L’Église est appelée à recueillir ces préoccupations, en particulier celle, essentielle, de la paix.
Nous pouvons y voir, en devenir, cette Église que Paul VI définira comme « experte en humanité » ; l’Église est appelée à défendre tous les hommes dans les grands combats de son temps : indépendance du tiers-monde, programmes de développement, promotion de la paix, droits de l’homme. Pour le pape Roncalli, l’Église entre ainsi en communion avec les grands courants de l’époque moderne, sans peur ni réticences, en en reconnaissant les valeurs. La Constitution Gaudium et spes développera cette position par la suite.
Tous ces éléments font comprendre la raison du grand succès de cette encyclique, succès qui a largement dépassé le monde chrétien. La vision prophétique, l’ouverture à tous les hommes lui ont permis d’être diffusée au-delà de la communauté catholique. Le langage simple et moderne, le ton positif et confiant dans l’avenir mais exigeant pour tous, répondaient aux attentes de beaucoup, à la fin de la guerre froide.
Avant Populorum progressio, c’est certainement l’encyclique qui a eu le plus grand retentissement et la diffusion la plus importante. Elle a facilité le dialogue avec les non-chrétiens, en particulier avec les mouvements marxistes, en en reconnaissant les éléments positifs et dignes d’approbation. Elle a représenté un changement d’attitude remarquable, spécialement à travers la reconnaissance de l’action des groupes concrets de personnes, de droite comme de gauche, dans des pays libéraux ou socialistes. D’où la possibilité d’ouverture de Vatican II vers l’Europe de l’est, développée par Paul VI, et encore davantage par Jean-Paul II.
Traduction d’Hélène Ginabat
[La première partie de cette analyse a été publiée le mardi 23 avril 2013]