"La rage et la lumière : un prêtre dans la révolution syrienne" 2/2

Le livre du P. Paolo Dall’Oglio, SJ

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« La non-violence active, politique » est « une transcendance des conflits » : « elle est toujours nécessaire. [Elle] dialogue, témoigne, critique, assiste, ouvre des chemins de réconciliation, va au-delà », écrit le P. Dall’Oglio.

Voici la suite des extraits du livre « La rage et la lumière : un prêtre dans la révolution syrienne », écrit par Paolo Dall’Oglio, jésuite disparu en Syrie depuis le 27 juillet dernier (cf. Zenit du 6 août 2013). (cf. Zenit du 25 septembre 2013 pour la première partie)

« A cause du fort impact international de mon engagement de restauration, d’accueil et de dialogue au Monastère de Mar Moussa, je bénéficiais sans nul doute d’un espace de parole et d’une liberté d’opinion incomparablement plus grande que d’ordinaires citoyens, soumis dès leur plus tendre enfance aux manipulations du Régime les plus dépourvues de scrupules et bâties sur un nationalisme toujours en droit d’écraser les individus, en parfaite connaissance de cause, pour l’affirmation du sujet collectif représenté par le Duce (Qa’id, en Arabe). »

« Je fus très vite objet de rudes critiques et d’accusations injustes précisément parce que ma liberté de parole semblait impossible aux yeux de beaucoup, même si celle-ci restait néanmoins très limitée et que je prenais beaucoup sur moi, par rapport à la situation européenne par exemple. »

« C’était au fond de bonne guerre : j’offrais un visage qui illustrait internationalement l’ouverture et le pluralisme au moins programmatique du pouvoir syrien et eux acceptaient que je me comportasse comme si la démocratie, bien qu’imparfaite, suivait son cours. »

« J’ai travaillé continuellement dans la perspective du succès des négociations de paix, dans la vision d’un Moyen Orient réconcilié dans la justice. C’est pourquoi j’ai œuvré pour le succès du « chemin d’Abraham » (the Abraham Path Initiative) malgré les accusations de sionisme rampant dont m’affublaient les nationalistes plus sectaires et antisémites. »

« J’ai entretenu des amitiés sincères et solidaires avec les mouvements palestiniens représentés à Damas, sous diverses tendances politiques, et j’ai entretenu au nom de l’Eglise de nouvelles relations avec le mouvement islamiste palestinien Hamas. »

« J’ai toujours déclaré que l’islamisme politique était une grande réalité régionale et qu’il n’était pas imaginable qu’il faille renoncer à la démocratie, aux droits civils et à l’autodétermination des peuples pour supprimer le programme islamiste, celui des salafistes, des Frères musulmans ou d’autres groupes plus ou moins modérés. »

« C’est un sujet pluriel, incontournable, mais néanmoins exposé à une évolution, souvent rapide. C’est pourquoi j’ai toujours entretenu des relations avec les leaders naturels, choisis et suivis par la rue et le peuple des mosquées, des musulmans syriens, refusant de m’aplatir devant les autorités approuvées et nommées par le Régime. »

« Il est évident que la guerre est rarement une solution et est de toute façon une solution négative et boiteuse. Toutefois avec l’enseignement traditionnel de l’Eglise je rappelle, malgré les risques d’équivoques et d’hypocrisies criminelles, la légitimité de la guerre juste, le droit à la défense armée, le devoir de protéger les pays et les populations victimes de violentes agressions internes et/ou externes. Néanmoins j’encourage les actions non violentes et je m’engage à œuvrer pour leur succès. »

« Je pense à la non-violence active, politique, comme à une transcendance des conflits. Ce n’est pas toujours une alternative praticable en soi, mais elle est toujours nécessaire : Bien plus qu’un correctif intégratif, avant durant et après les conflits armés, la non-violence dialogue, témoigne, critique, assiste, ouvre des chemins de réconciliation, va au-delà! »

« Quand le fils d’Assad a pris le pouvoir en 2000 les espoirs pour un changement démocratique sans effusion de sang qui puisse réconcilier la société syrienne profondément divisée et souffrant derrière la façade des réalisations glorieuses du Régime, se sont rallumés. »

« La visite du pape en 2001 aussi avait la valeur d’un signe d’espérance, bien que l’année précédente sa visite à Jérusalem ait été le dernier moment de calme avant le début de la deuxième tragique intifada palestinienne. »

« Le bref Printemps de Damas a été étouffé par une répression la plus douce possible pour éviter de perdre ce crédit que la société accorde à M. Bashar, pour ne pas perdre espoir en l’avenir. »

« Depuis 2010 la décision du régime est prise: le dialogue n’est plus autorisé, impossible d’organiser des conférences même sur des questions d’énergie solaire, on enquête sur mes amis … Le tourisme est hyper contrôlé. A la fin mon permis de résidence est retiré; je reste en Syrie sans papiers de résidence et ne peux donc plus voyager …Mais entretemps le Printemps arabe a commencé. On espère encore que Bashar, avec l’aide peut-être de sa belle et sensible épouse, prendra la tête d’une réforme radicale dans son pays, en utilisant le Printemps comme moyen pour révoquer les vieilles magies familiales… Rien  à faire, depuis mars 2011 il est clair que le choix d’une répression inconditionnelle est le choix stratégique… Tout le reste, dialogue et réformes cosmétiques, ne sert à rien d’autre qu’à gagner du temps pour éviter l’intervention internationale et à créer une fumée devant les yeux de l’opinion publique. »

« La version officielle de la manipulation légendaire de l’Etat est prête : il n’y a aucune révolution, mais uniquement l’action de terroristes islamistes radicaux … Les démocrates sont emprisonnés et brisés, les islamiques sont criminalisés et poussés à réaliser la thèse du régime sur la nature terroriste du mouvement… Je peux garantir que je suis moins isolé parmi les chrétiens syriens qu’on ne  le pense, mais ma voix est une des rares notes qui se sont élevées pour dire que nous chrétiens nous ne pouvons pas rester avec un Régime qui torture et opprime, mais que nous ne pouvons pas non plus rester neutres. L’histoire est à un point de non-retour. Et nous, de quel côté sommes-nous ? »

Imaginons un instant que, même avec l’aide déterminante des chrétiens, le Régime parvienne à écraser la révolution… Pouvons-nous prévoir 500 mille morts et 10 millions de personnes en fuite… Que reste-t-il de notre témoignage chrétien? A supposer même que les chrétiens reviennent en Syrie, que reviendraient-ils y faire après avoir accepté un tel génocide ? Le reste de cette tragique histoire, y compris mon expulsion il y a un an, se trouve dans le livre, « Colère et Lumière ». »

Traduction d’Océane Le Gall

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ZENIT Staff

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