Massimo Introvigne
Traduction d’Océane Le Gall
ROME, mercredi 6 juin 2012 (ZENIT.org) – « Mes amis, cessons nos plaintes ! Qu’un cri joyeux élève aux cieux nos chants de fêtes et nos accords pieux » : ces paroles tirées de l’Hymne à la joie de la 9ème Symphonie de Ludwig van Beethoven (1770-1827), sont vues par beaucoup comme un signe et un symbole de toute la visite de Benoît XVI dans la capitale lombarde.
Ces paroles évoquées par Benoît XVI à l’occasion du concert donné en son honneur et pour les délégations officielles de la VIIe Rencontre mondiale des familles, à la Scala de Milan, le 1er juin dernier, sont comme un appel à « tourner la page ».
Comme pour Beethoven, après la « terrible dissonance » qui annonce la partie finale de cet Hymne à la joie, l’Eglise, avec la joyeuse visite du pape à Milan, a idéalement « tourné la page » après des journées de difficultés et polémiques.
Certes, le pape ne pouvait ni ne voulait ignorer le contexte de crise qui entoure l’Eglise, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Mais plus qu’une analyse de la crise elle-même, il a voulu, tout au long de ce voyage, transmettre un message d’espérance, renvoyer à la beauté qui brille face au mal du monde et introduit à la vérité et au bien.
1. La beauté de l’art
Et c’est avant tout à la beauté de l’art que le pape, musicologue, a renvoyé, le 2 juin dernier, au Parc de Bresso, en dialoguant avec les familles, se souvenant avec eux de l’époque où, enfant, lui et sa famille, le samedi, se préparaient à la messe du dimanche en prêtant une attention particulière à la musique. « Le dimanche commençait de la façon suivante : nous entrions déjà dans la liturgie, dans un climat de joie. Le lendemain nous allions à la messe. J’habitais près de Salzbourg, donc nous avions beaucoup de musique – Mozart, Schubert, Haydn – et quand le Kyrie commençait c’était comme si le ciel s’ouvrait », avait-il dit.
Quant à la musique de Beethoven – comme il avait fait pour d’autres musiciens à l’occasion de concerts en son honneur – le pape en a parlé à la Scala sans cacher le fait que l’Hymne à la joie n’est pas un hymne spécifiquement chrétien », déclarant : « C’est une vision idéale d’humanité que Beethoven dessine avec sa musique: «La joie agissante dans la fraternité et l’amour mutuel, sous le regard paternel de Dieu» (Louis de la Croix). La joie que chante Beethoven n’est pas une joie spécifiquement chrétienne, elle est néanmoins celle de la coexistence fraternelle des peuples, de la victoire sur l’égoïsme, et elle est le désir que le chemin de l’humanité soit marqué par l’amour, presque une invitation qu’il adresse à tous, au-delà de toute barrière et de toute conviction ».
Célébrer la beauté d’une œuvre d’art centrée sur la joie a-t-il un sens, dans une terre comme l’Italie où tant de personnes pleurent les victimes du tremblement de terre ? Pour le pape, les parole tirées de l’« Hymne à la joie» de Johann Christoph Friedrich von, peuvent résonner comme « vides pour nous, voire ne pas paraître vraies ».
« Nous n’éprouvons pas du tout les étincelles divines de l’Elysée. Nous ne sommes pas ivres de feu, mais plutôt paralysés par la douleur, pour tant d’incompréhensibles destructions, qui ont coûté des vies humaines, qui ont démuni tant de gens de leurs maisons et biens », a dit le pape, relevant que « même l’hypothèse qu’au-dessus du ciel étoilé doit habiter un bon père, nous semble discutable. ».
L’homme, face à la souffrance, face à la mort et face catastrophes naturelles, se pose à chaque fois des questions dramatiques, a-t-il ajouté : « Le bon père est-il seulement au-dessus du ciel étoilé? Sa bonté ne descend-elle pas jusqu’à nous ? ». Et la rhétorique de Schiller, alors, ne suffit plus.
En cette heure, a-t-il expliqué, les paroles de Beethoven – «Mes amis, cessons nos plaintes …» – nous voudrions presque les rapprocher de celles de Schiller. Oui, cessons ces plaintes. Nous n’avons pas besoin d’un discours irréel sur un Dieu lointain, et d’une fraternité passive. Nous sommes à la recherche de Dieu près de nous. Nous recherchons une fraternité qui, au milieu de la souffrance, est un soutien pour l’autre et aide donc à nous faire avancer ».
Nous recherchons, a-t-il poursuivi, un Dieu qui ne trône pas à distance, mais entre dans notre vie et dans nos souffrances ». E ce Dieu est le « Dieu chrétien ».
2. La beauté de la sainteté
Mais Benoît XVI n’a pas parlé que de la beauté de l’art, il a aussi parlé de celle d’une vie sainte, évoquant la mémoire de saints milanais et la proposant à des jeunes devant recevoir le sacrement de la confirmation.
Dès ses premières salutations, le 1er juin dernier, sur la place de la cathédrale de Milan, le pape a passé en revue la vie de saints qui ont été évêques et archevêques de Milan : saint Ambroise (339 ou 340-397), saint Charles Borromée (1538-1584), le bienheureux Andrea Carlo Ferrari (1850-1921), le bienheureux Alfred Ildelfonse Schuster (1880-1954), le serviteur de Dieu Paul VI (1897-1978), « bon et sage qui, d’une main d’expert, a su guider et porter le Concile Vatican II à une heureuse issue », et auxquels Benoît XVI a voulu joindre un autre ancien évêque de Milan, le pape Pie XI (1857-1939), un homme déterminé à qui l’on doit « l’heureuse issue de la Question Romaine et la constitution de l’Etat de la cité du Vatican ».
Venu à Milan pour la VIIème rencontre mondiale des familles, le pape, parmi tous les saints de Milan, a tenu à rappeler aussi la sainteté de Jeanne Beretta Molla [1922-1962], épouse et mère, « très engagée dans l’Eglise et la vie civile, qui fit resplendir la beauté et la joie de la foi, de l’espérance et de la charité ».
Tous ces saints, a relevé Benoît XVI, entretenaient des liens spéciaux avec Rome, étaient d’une fidélité inébranlable envers le pape. A commencer par saint Ambroise, a-t-il expliqué, qui « comme on le sait, provenait d’une famille de Rome et a toujours entretenu des liens avec la Cité éternelle et avec l’Eglise de Rome, manifestant et vantant la primauté de l’évêque qui la préside.
En Pierre, disait-il, « réside le fondement de l’Eglise et le magistère de la discipline » (De Virginitate, 16, 105); mais encore la célèbre déclaration: « Là où se trouve Pierre, là se trouve l’Eglise » (ExplanatioPsalmi40, 30, 5). La sagesse pastorale et le magistère d’Ambroise, a précisé encore le pape, laisseront « une empreinte indélébile dans l’Eglise universelle et marqueront en particulier l’Eglise de Milan, qui n’a jamais cessé de cultiver sa mémoire et d’entretenir son esprit ».
Aux jeunes gens devant recevoir le sacrement de confirmation, le pape – comme il l’avait déjà fait en Grande Bretagne, en s’adressant aux étudiants des écoles catholiques, le 17 septembre 2010 – a demandé d’être des saints: « Soyez des saints! Mais est-il possible d’être des saints à votre âge ? Je vous réponds: certainement! Saint Ambroise, grand saint de votre ville, l’écrit aussi dans une de ses œuvres : «Chaque âge est mûr pour le Christ» (De Virginitate, 40). Le témoignage de nombreux saints de vos âges le démontre, comme Dominique Savio (1842-1857), ou Maria Goretti (1890-1902). La sainteté est la voie normale du chrétien: elle n’est pas réservée à quelques élus, mais elle est ouverte à tous ».
On peut aussi rappeler, à ce propos, l’engagement personnel de Benoît XVI pour la reprise de la cause de béatification d’AntoniettaMeo, «Nennolina» (1930-1937), proclamée vénérable en 2007, contre toute objection sur une présumée impossibilité à devenir saints à 7 ans.
Aux jeunes devant faire leur Confirma
tion le pape a indiqué le chemin qui mène à la beauté de la sainteté, dons de l’Esprit Saint, qui sont de « superbes réalités » mais aujourd’hui trop souvent oubliées. Le premier don, a-t-il dit, est la sagesse qui « vous fait découvrir combien le Seigneur est bon et grand, et qui, comme son nom l’indique, imprègne votre vie d’une grande saveur, pour que vous soyez, comme le disait Jésus, « le sel de la terre ».
Le second est le don d’intelligence, afin que « vous puissiez comprendre en profondeur la Parole de Dieu et la vérité de la foi ». Le troisième : le don de conseil, « qui guidera chacun de vous à la découverte du projet de Dieu sur votre vie personnelle ». Le quatrième : le don de force, « pour vaincre les tentations du mal et toujours faire le bien, malgré les sacrifices que cela pourrait demander ».
Cinquième don : celui de science, « non pas de la science au sens technique du terme, comme on l’enseigne à l’Université, mais en tant que science dans son sens le plus profond, celle qui apprend à trouver dans la création les signes, les traces de Dieu, à comprendre comment Dieu parle en tout temps et me parle à moi, et à savoir comment animer mon travail de chaque jour par l’Evangile; à comprendre qu’il y a une profondeur dans les choses, et à la comprendre, donnant ainsi du goût au travail, même difficile ».
Sixième don : celui de piété, « qui entretient la flamme de l’amour pour notre Père qui est aux cieux, et permet de prier avec la confiance et la tendresse d’un enfant aimé; de pas oublier la réalité fondamentale du monde et de ma vie: que Dieu existe et que Dieu me connaît et attend ma réponse à son projet ».
Enfin, arrive le septième don, peut-être le plus difficile à comprendre pour un jeune d’aujourd’hui, et qui est la crainte de Dieu. Mais « craindre Dieu ne veut pas dire en avoir peur », a expliqué Benoit XVI, « cela veut dire ressentir pour Lui un profond respect, respecter la volonté de Dieu qui est le vrai dessein de ma vie et le chemin par lequel doit passer ma vie personnelle et communautaire pour être bonne ».
« Aujourd’hui, avec toutes les crises qui frappent le monde, nous voyons qu’il est important que chacun respecte cette volonté de Dieu qui est inscrite dans nos cœurs », a ajouté le pape, « nous devons vivre en accord avec elle », transformant cette crainte de Dieu en « désir de faire le bien, de faire la vérité, de faire la volonté de Dieu. »
(Seconde partie de cette relecture demain, jeudi 7 juin)