Un geste simple du pape François, un geste de respect profond et de tendresse face à ce qu’il appelle la « monstruosité » de la Shoah: il a embrassé la main d’Avraham, de Chava, de Joseph, de Moshe, d’Eliézer, de Sonia, ces survivants dont la vie atteste la défaite de la haine et de l’exterminateur de six millions de juifs, citoyens de l’Europe flagellée par le Troisième Reich.
Le pape est arrivé, ce lundi 26 mai, à 10 h 20 au Mémorial de la Shoah de Yad Vashem, à Jérusalem, institué en 1953, qui est aussi un centre de recherche international avec une base de données, des archives mondiales, et qui, notamment, recueille les témoignages historiques sur les « Justes parmi les nations » qui ont sauvé des juifs au risque de la leur vie pendant la persécution nazie.
« En ce lieu, mémorial de la Shoah, nous entendons résonner cette question de Dieu : ‘‘Adam, où es-tu ?’’. En cette question il y a toute la douleur du Père qui a perdu son fils. Le Père connaissait le risque de la liberté ; il savait que le fils aurait pu se perdre… mais peut-être, pas même le Père ne pouvait imaginer une telle chute, un tel abîme ! », a dit le pape, dans une méditation profonde sur le mystère du mal et de la complicité humaine, avant de s’exclamer : « Jamais plus, Seigneur, jamais plus ! » et d’invoquer la miséricorde : « Souviens-toi de nous dans ta miséricorde. »
Le mémorial et les justes
Le Mont Herzl où se trouve le Mémorial est une colline boisée et fleurie, où serpente « l’Allée des justes »: une paix saisissante au regard des tragédies que racontent le mémorial, les photos, les documents, oppressants. Le mémorial des enfants permet d’aborder la tragédie avec une lueur d’espérance : une flamme se réfracte sur des miroirs comme à l’infini, rappelant ces jeunes vies fauchées par l’abomination nazie.
Le pape, accompagné du cardinal secrétaire d’Etat Pietro Parolin, du Premier ministre et du président israéliens, a été accueilli par Avner Shalev, président du directoire de Yad Vashem et par le rabbin Meir Lau. Il a salué les personnalités présentes dans la Salle du Souvenir.
« Nous sommes venus ici pour faire mémoire des Six millions exterminés par les nazis », a dit le président du mémorial en hébreu.
Après le chant de la chorale de jeunes filles – Ankor Choir -, le pape a ravivé la flamme du souvenir: premier moment de recueillement.
Iael Nidam-Orvieto a rappelé le sens de ce mémorial, en italien, en soulignant le courage des rebelles des ghettos, et le courage des justes.
Les survivants parlent au pape
Le pape a alors déposé une couronne de fleurs jaunes et blanches apportée par deux jeunes catholiques, Eva Kolodkina, de Jaffa, et Hoang Huy Nguyen, de Tel Aviv, et il s’est arrêté un moment à prier, debout, les mains jointes, la tête baissée, de cette prière profonde du pape Bergoglio qui entraîne ceux qui l’entourent.
En italien toujours, Mme Nidal-Orvieto a ensuite lu la lettre à sa soeur Clara d’une jeune juive de Roumanie, Ida Goldish, déportée avec Vily son petit garçon, et une autre sœur, Doba. L’enfant est mort de froid, puis sa mère, à 22 ans. Doba a survécu.
Revêtu du voile de prière, Asher Hainowitz a chanté la prière pour les morts « El Maleh Rahamim », déplorant le massacre des « chers six millions ».
Ces six survivants de la Shoah ont alors été présentés au pape, deux femmes, quatre hommes: Avraham Harshalom (Friedberg), 89 ans, de Biélorussie, un survivant de Auschwitz-Birkenau ; Chava (Eva) Shik, 75 ans, déportée avec sa soeur, Miriam, de Serbie, émigrée en Hongrie, toute leur famille est morte à Auschwitz, elle a été sauvée dans un couvent ; un Polonais, Joseph Gottdenker, 72 ans, sauvé par une famille catholique ; un Grec de Thessalonique, Moshe Ha-Elion, 89 ans, toute sa famille a été exterminée à Auschwitz, il a été interné à Mauthausen et représente les survivants de l’Association des survivants grecs ; un Polonais du Ghetto de Lodz, Eliezer (Lolek) Grynfeld, 91 ans ; Sonia Tunik-Geron, 90 ans,survivante du ghetto, toute sa famille a péri.
Le pape s’est approché de chacun, a embrassé les mains, les écoutant attentivement.
Jamais plus
Le pape a ensuite lu sa méditation, lentement, gravement: « Souviens-toi de nous dans ta miséricorde. Donne-nous la grâce d’avoir honte de ce que, comme hommes, nous avons été capables de faire, d’avoir honte de cette idolâtrie extrême, d’avoir déprécié et détruit notre chair, celle que tu as modelée à partir de la boue, celle que tu as vivifiée par ton haleine de vie. Jamais plus, Seigneur, jamais plus ! »
Il concluait: « Nous voici, Seigneur, avec la honte de ce que l’homme, créé à ton image et à ta ressemblance, a été capable de faire. Souviens-toi de nous dans ta miséricorde. »
Puis il a signé le livre, avant d’aller embrasser le président Peres et saluer le Premier ministre et le grand rabbin.
En espagnol, le pape a écrit ceci: « Avec la honte pour ce que l’homme, créé à l’image de Dieu, a été capable de faire; avec la honte pour le fait que l’homme s’est lui-mêmle fait le ppatron du mal; avec la honte pour le fait que l’homme se soit fait Dieu et a sacrifié ses frères. Plus jamais! Plus jamais! »
Un tableau lui a été offert: une copie d’une toile intitulée « Prière » peinte par Abraham (Abramek) Koplowicz au ghetto de Lodz (Pologne). Le jeune peintre avait 14 ans quand il a été tué à Auschwitz, a expliqué Avner Shalev.
La chorale des jeunes filles a entonné en hébreu le chant : « Qui est l’homme qui aime la vie ? Qu’il garde sa langue du mal et ses lèvres, qu’il se détourne du mal, cherche la paix » (Psaume 34).
Le pape est reparti à 11h (10h) pour rendre visite aux deux grands rabbins d’Israël.
Le pape Benoît XVI avait commenté le nom Yad Vashem, en 2009 : « Je leur donnerai dans ma maison et dans mes remparts un monument et un nom (…) ; je leur donnerai un nom éternel qui jamais ne sera effacé » (Is 56, 5). Ce passage du Livre du prophète Isaïe offre les deux mots simples qui expriment solennellement le sens profond de ce lieu vénéré : yad « mémorial » ; shem « nom ». Je suis venu pour rester en silence devant ce monument, érigé pour honorer la mémoire de millions de juifs tuées dans l’horrible tragédie de la Shoah. Elles ont perdu leurs vies mais elles ne perdront jamais leurs noms, car ils sont profondément gravés dans le cœur de ceux qui les aiment, de leurs compagnons de détention qui ont survécus et de tous ceux qui sont déterminés à ne plus jamais permettre qu’une telle atrocité déshonore à nouveau l’humanité. Plus que tout, leurs noms est à jamais inscrits dans la mémoire du Dieu Tout-puissant. »
Le pape François est le troisième pape à venir se recueillir en ce Mémorial de la Shoah, après le pape polonais Jean-Paul II, le 23 mars 2000 et le pape bavarois Benoît XVI, le 11 mai 2009, premier pape venu d’un pays qui n’a pas connu directement sur son territoire la Shoah.