Rite romain – IIIème dimanche du temps ordinaire
Jn 3, 1-5.10 ; Ps 24 ; 1 Cor 7, 29-31 ; Mc 1, 14-20
1) Conversion et joyeuse nouvelle.
Aujourd’hui la liturgie de la messe nous propose un passage de l’évangéliste Saint Marc qui – dans un style dépouillé et profond – synthétise tout le message de Jésus Christ en le présentant comme « Évangile de Dieu ». Cette bonne, joyeuse et divine nouvelle est proclamée en Galilée, région à la frontière des terres païennes. De cette façon la dimension fondamentalement missionnaire du message est soulignée.
La nouveauté grandiose de cette expression : « Évangile de Dieu » risque de nous échapper à nous qui sommes désormais bien loin de l’expérience des premiers lecteurs de Saint Marc.
Le mot, d’origine grecque, « évangile » est expliqué par l’expression « bonne nouvelle ». Cela sonne bien mais reste bien en dessous du niveau de grandeur sous-entendu par le mot « évangile ». Ce mot appartenait en effet au vocabulaire des empereurs romains qui se considéraient comme les seigneurs, les sauveurs et les rédempteurs du monde.
Les proclamations provenant de l’empereur s’appelaient « évangiles », indépendamment du fait que leur contenu soit joyeux ou non. Ce qui venait de l’empereur -c’était l’idée sous-jacente- était un message salvifique, ce n’était pas simplement une nouvelle mais la transformation du monde vers le bien.
En écrivant « l’Évangile de Dieu », Saint Marc enseigne que les empereurs ne sont pas les sauveurs du monde. Le vrai sauveur est Jésus, dont le nom signifie : « Dieu sauve ». Le Christ est le Verbe de Dieu et se manifeste comme parole efficace. En Lui et par Lui se réalise vraiment ce que les empereurs prétendaient pouvoir faire sans y parvenir.
« L’Évangile » n’est donc plus l’annonce de la victoire d’un puissant sur ses propres ennemis. « L’Évangile » de Dieu n’est plus la proclamation de la victoire d’un fort sur un faible. Cela n’a plus de rapport avec la joie de l’un et les pleurs de l’autre. « L’Évangile de Dieu », la joyeuse nouvelle, ne concerne plus le puissant de service. La joyeuse « bonne nouvelle » est proclamée par Jésus, doux et humble de cœur. Cette bonne nouvelle est proclamée au nom du Dieu-Amour, c’est Dieu lui-même qui dans le Christ se fait présent au monde et dans l’histoire.
Le passage « Proclamant l’Évangile de Dieu, Jésus disait : « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile » (Mc 1, 14) pourrait être reformulé ainsi : « Proclamant la bonne nouvelle, Jésus disait : « Les temps propices sont arrivés. Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez en la joyeuse nouvelle ».
Le sens de cette dernière phrase n’est pas : « Faites votre conversion morale et puis croyez aussi en la bonne nouvelle » mais plutôt : « Accueillez la bonne nouvelle avec une foi vivante. Ainsi toute votre façon de penser, de vouloir, d’agir sera transformée ». Convertissons-nous au Christ en le reconnaissant dans cette Voie, cette Vie, cette Vérité et dans cette personne par laquelle le Père rend visible tout son amour.
En résumé, si nous nous convertissons en transformant notre cœur et notre esprit, nous pouvons croire en cette bonne et joyeuse nouvelle que Dieu est là au milieu de nous. En un certain sens se convertir c’est voir au-delà, avoir un regard qui va au-delà. En effet « se convertir » est traduit du mot grec qui signifie littéralement « regarder au-delà » donc comprendre, au-delà des apparences, le vrai sens des choses.
Saint Jean, apôtre et évangéliste, introduit lui aussi le commandement à la conversion qui nous demande d’aimer notre prochain comme le Christ nous a aimés, avec la force de l’Évangile de la joie et la proclamation de la bonne nouvelle : « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. Voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 11-12).
Si nous nous convertissons au Christ qui nous invite à demeurer en Lui pour faire demeurer en nous sa joyeuse nouvelle, nous comprenons toujours mieux que la vraie signification du commandement de Dieu n’est pas d’être une obligation mais d’être communication d’amour. Le « commandement » à se convertir est une invitation d’amour que le Christ adresse à ses disciples pour qu’ils entrent en communion avec Lui, pour qu’ils accueillent son offre d’amitié.
En somme la conversion chrétienne n’est pas tant une relation nouvelle à un impératif ou à des idées neuves qu’une relation personnelle avec Jésus qui propose son amitié pour permettre un accueil festif, humble et reconnaissant de la vérité salvifique.
2°) Se convertir et suivre le Christ.
Si se convertir, c’est demeurer dans le Christ et le suivre, cela signifie que l’expression « être en Lui » désigne un mouvement. Il y a une idée de mouvement dans la conversion, comme dans le parcours du tournesol qui tous les matins redresse sa corolle et la met en route sur les sentiers du soleil. Alors « se convertir » veut dire « se tourner vers » la lumière parce que la Lumière est déjà là.
La communion avec Lui implique en effet de le suivre. Le Christ n’est pas tant une Parole à écouter ou à lire, il est le Logos, c’est à dire la Parole qui donne signification et sens (entendu comme direction) à la vie et qui éclaire nos pas.
Saint Marc écrit : Jésus « passant le long de la mer de Galilée, vit Simon et André, le frère de Simon, il leur dit : « Venez à ma suite ». Jésus ne leur dit pas « Apprenez », parce que la première caractéristique du disciple chrétien est de « suivre ». D’habitude c’est le verbe « apprendre » qui accompagne le mot disciple. En employant le verbe « suivre », l’évangile souligne qu’on ne trouve pas à la première place une doctrine mais une façon de vivre qui implique de cheminer avec le Maître, en s’identifiant à lui.
Suivre le Christ selon l’Évangile n’est jamais un appel à rester immobile, mais un appel à cheminer. L’appel évangélique est une invitation à sortir, à aller dans le monde et à partir mission. Si suivre le Christ n’implique pas « de se mettre derrière le Christ », cela veut dire que l’on se suit soi-même. Suivre selon l’Évangile ne ressemble pas à d’autres façons de suivre qui invitent au contraire à se mettre à l’écart et à se renfermer sur soi-même.
C’est ainsi que commence une existence toute nouvelle : en se mettant derrière le Christ qui appelle et qui se propose comme chemin pour la vie de ses disciples et pour la nôtre aussi.
Jésus voit et parle à deux personnes, la nature de la relation qu’il initie est le signe de la nouveauté de l’Amour. « Venez à ma suite. Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes » : ce qui veut dire que Jésus demande à Simon et André de se convertir non en accomplissant je ne sais quoi mais en le suivant et en faisant en sorte que sa propre mission de salut devienne leur vocation.
La vocation à la conversion c’est entrer en relation avec lui, se laisser aimer par lui et porter son amour et sa vérité dans le monde. Jésus demande que nous répondions à son amour : Jésus aime et demande à être aimé. La nouveauté de l’histoire c’est le début de cette relation d’amour qui permet de goûter l’amour et de l’insérer en chaque instant et en chaque action où la vie se déploie. C’est cela la conversion que Jésus demande : ne pas faire de la vie un moyen pour réaliser des choses mais vivre la vie avec un Amour tel que tout prenne vie.
3) Suivre le Christ comme les Vierges consacrées.
Les Vierges consacrées nous donnent un exemple de comment suivre le Christ en étant son disciple. Par leur geste d’offrande d’elle-même au Seigneur, ces femmes témoignent que suivre Jésus, c’est imiter Jésus, chaste, pauvre et obéissant, c’est prier Jésus pour être rendues capable d’aimer avec son amour, de donner avec son cœur, de servir avec sa lumière et d’œuvrer avec ses dons.
Par leur vie consacrée, elles témoignent d’abord que l’initiative vient du Christ et que son appel est gratuit. Ensuite, elles montrent qu’il est possible de répondre à l’appel de Jésus même si cet appel implique un détachement si radical et profond que Saint Marc parle même d’abandonner son père et son travail. Abandonner son métier et sa famille c’est comme se déraciner. Mais cela en vaut la peine, parce qu’ainsi on peut s’enraciner dans le Christ.
Leur vie nous pousse à faire nôtre la prière que le prêtre prononce aujourd’hui au début de la messe : « Oh Père, toi qui dans ton fils nous as donné la plénitude de ta parole et de ton don, fais que nous sentions l’urgence de nous convertir à toi et d’adhérer de toute notre âme à l’Évangile afin que notre vie annonce aussi à ceux qui doutent et à ceux qui sont loin, l’unique Sauveur, Jésus Christ. »
En prenant exemple sur les Vierges consacrées, chacun de nous, tous les matins au réveil, est capable de dire : « Moi aussi je peux me « convertir », je peux et je dois tourner mes pensées, mes sentiments et mes choix vers Dieu, pour qu’il entre davantage dans mon cœur et dans celui du monde. »
Lecture Patristique
Saint Césaire d’Arles (+ 543)
Sermon 144, 1-4
CCL 104, 593-595
La lecture de l’évangile, frères bien-aimés, nous a fait entendre ces paroles du Seigneur : Convertissez-vous, car le Royaume des cieux est tout proche (Mt 4,17). Le Royaume des cieux est le Christ qui, nous en avons la certitude, connaît les actes bons et mauvais et juge tous les motifs de nos actes.
Aussi nous faut-il devancer Dieu en confessant nos fautes et réprimer tous les dérèglements de l’âme avant le jugement. Nous nous exposons au danger si nous ne savons quel traitement suivre pour nous guérir du péché. Nous devons faire pénitence avant tout parce que nous savons que nous aurons à rendre compte des raisons de nos errements.
Voyez, frères bien-aimés, combien la bonté de notre Dieu est grande envers nous, si grande qu’il veut remettre le péché de celui qui s’en reconnaît coupable et le répare avant le jugement. Car lui, le juste juge, fait toujours précéder le jugement d’un avertissement, pour n’avoir jamais à exercer une justice sévère. Si Dieu veut tirer de nous des ruisseaux de larmes, ce n’est pas pour rien, frères bien-aimés, mais pour que nous puissions recouvrer par le repentir ce que nous avions perdu par la négligence.
Car notre Dieu sait que l’homme n’a pas toujours une volonté droite, et qu’il peut souvent pécher dans sa chair ou commettre des écarts de langage. Aussi nous a-t-il appris la voie du repentir par laquelle nous pouvons réparer les dommages que nous avons causés, et nous corriger de nos fautes. Pour être sûrs d’en obtenir le pardon, nous ne devons donc jamais cesser de regretter nos péchés.
Si affaiblie que soit la nature humaine par tant de blessures, personne ne doit désespérer. Car le Seigneur est d’une générosité si grande qu’il répand de bon cœur sur tous ceux qui sont à bout de force les dons de sa miséricorde.
Mais l’un de vous dira peut-être : « Pourquoi craindrais-je, puisque je ne fais aucun mal ? » Sur ce point, écoutez ce que dit l’apôtre Jean : Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous égarons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous (1Jn 1,8). Que personne donc ne vous égare, mes bien-aimés, car la pire espèce de péché est de ne pas apercevoir ses péchés. Alors que tous ceux qui reconnaissent leurs fautes peuvent se réconcilier avec Dieu en se repentant, aucun pécheur ne mérite davantage notre pitié que celui qui croit n’avoir rien à se reprocher.
Je vous exhorte donc, mes bien-aimés, avec les paroles de l’Écriture, à vous tenir humblement sous la main toute-puissante de Dieu (1P 5,6). Et que personne ne refuse de réparer son péché, puisque personne n’en est exempt, car ce serait déjà une faute que de prétendre être sans péché. Il peut se faire que l’un soit moins coupable que l’autre, mais nul n’est exempt de tout péché. Les hommes sont certes pécheurs à des degrés divers ; il n’y en a pourtant aucun qui soit net de toute souillure.
Voilà pourquoi, mes bien-aimés, il faut que ceux qui se sont rendus coupables d’offenses plus graves implorent leur pardon avec plus de foi. Quant à ceux qui se sont préservés des fautes les plus honteuses, qu’ils prient afin de ne pas les commettre. Par la grâce de Jésus Christ notre Seigneur, qui vit et règne avec le Père et l’Esprit Saint pour les siècles des siècles. Amen.