La période ici étudiée s’étend du Concordat de Bologne (1516) au Concile de Trente (1545-1563). Les cartes des dynasties étant redistribuées, de nouvelles rivalités entre les souverains divisent l’Europe. En dénonçant les dérives politiques de l’Église, Luther conduit la Réforme protestante qui dérape en schisme. Sous ces conditions, comment la menace turque pourra-t-elle être arrêtée ? Bien plus, comment l’Église parviendra-t-elle à défaire cet imbroglio insupportable ?
Introduction
Entre le moment où Léon X accepte le Concordat de Bologne, le 18 août 1516, et celui où le Parlement de Paris se voit contraint de l’enregistrer par volonté royale, le 22 mars 1518, s’était produit un événement qui allait bouleverser gravement l’Europe, au moins pendant deux siècles. Le 31 octobre 1517, un moine augustin allemand, Martin Luther, avait publié en latin « 95 thèses destinées à prouver la vertu des indulgences », dans le but d’ouvrir un débat universitaire sur leur doctrine, car il l’estimait mal comprise et donnant lieu à des abus. Le débat théologique n’eut pas lieu, une série de polémiques s’enchaînèrent, ce qui deviendra le protestantisme naissait dans la très grande majorité des milieux humanistes. Mais personne, à ce moment là, n’avait pris la mesure de la gravité de ce qui allait se passer.
I La question italienne: Le pape face aux ambitions de Charles Quint et de François Ier
Les questions qui avaient provoqué les guerres d’Italie menées par les deux prédécesseurs de François Ier semblaient être réglées, quand il accéda au pouvoir et remporta la victoire de Marignan. Il faut rappeler que Louis XII, par le traité de Blois du 22 septembre 1504, avait promis (sous l’influence de sa femme, Anne) sa fille Claude en mariage à Charles de Habsbourg, petit-fils de l’empereur Maximilien, empereur germanique régnant, lequel avait arrangé les mariages de son fils Philippe avec Jeanne de Castille, et de sa fille Marguerite avec Jean d’Aragon. Le roi de France renonçait à la couronne napolitaine, mais obtenait de l’empereur l’investiture du duché de Milan ainsi que pour ses descendants mâles ou à défaut à sa fille aînée Claude qui devait épouser Charles. Si Louis XII mourrait sans descendant mâle, sa fille Claude apporterait en dot de nombreuses terres dont le comté de Blois, la Bretagne (qui démembraient la France) et le duché de Milan. Il fallait que Louis XII eût été bien malade pour signer de tels engagements ! Remis, Louis fut sensible aux réclamations de hauts personnages du royaume qui surent faire le nécessaire pour que le roi convoquât une assemblée de notables à Plessis-Lès-Tours le 14 mai 1506. Thomas Bricot, chanoine de Notre Dame de Paris et premier député de cette ville, célèbre pour son éloquence, prit la parole au nom de tous. Il remercia le roi de ce qu’il avait fait pour le peuple et déclara qu’on devait l’appeler « père du peuple », et il demanda humblement au nom de tout le royaume que sa fille Claude fût fiancée à François d’Angoulême qui devait être son héritier. Le traité de Blois était alors rompu. Il fallut, on s’en doute, calmer Philippe le Beau (duc de Bourgogne, fils de Marie de Bourgogne, fille de Charles le Téméraire) père de Charles de Habsbourg, qui le prit fort mal, mais qui, heureusement pour la France, mourut le 25 septembre de cette même année 1506, sans avoir eu le temps de mettre en action la ligue montée contre elle. Ensuite, nous avons vu qu’en 1513 Louis XII avait dû renoncer à l’Italie, en grande partie à cause du pape Jules Il. La France avait été attaquée au nord par les Anglais. Les impériaux, Francs-Comtois et Suisses, qui mirent le siège devant Dijon, purent entrer dans la ville pour être de suite repoussés par des soldats retranchés à l’intérieur et par une procession en l’honneur de Notre Dame du Bon-Espoir. Apprenant la victoire des Anglais et des impériaux à la bataille de Guinegatte le 16 juillet 1513 au nord, le gouverneur français Louis de la Trémoille négocia alors le traité de Dijon du 14 septembre 1513, que Louis XII refusa de ratifier à cause de la renonciation aux droits sur le duché de Milan et le comté d’Asti, attentatoire à la majesté royale. Dès son avènement, François Ier était donc en droit de reprendre la politique italienne de ses prédécesseurs, mais il avait maintenant un opposant naturel en la personne du petit-fils de l’empereur Maximilien qui, de par ses ascendants, pouvait revendiquer la Bourgogne et les mêmes droits que lui en Italie sans compter « l’encerclement » du royaume de France par les possessions habsbourgeoises.
Il Les premières orientations de la politique de Charles Quint
Cependant, Charles avait besoin de François pour pouvoir quitter les Pays-Bas et prendre la couronne d’Espagne qui lui revenait. En 1516, les deux rois signèrent le traité de Noyon, Charles reconnaissait à François ses droits sur le royaume de Naples, celui-ci promettant de les transmettre à sa fille Louise de France, âgée d’un an, qui devrait épouser Charles le moment venu. En attendant, le Habsbourgeois gardait Naples et la Navarre, avec de vagues promesses pour la famille royale d’Albret.
Par ailleurs, il était bien décidé à conserver ses droits sur Milan. Et la situation s’aggraverait quand Charles serait empereur. On pouvait y penser dès 1516, car Maximilien commençait à décliner.
Charles qui s’était fait proclamer roi des Espagnes avec sa mère Jeanne la folle arriva dans son nouveau royaume le 18 septembre 1517, avec ses conseillers flamands, ce qui fut mal vu. De plus, il parlait mal l’espagnol, et avec un très fort accent, ce qui ne facilitait pas les choses. Adrien d’Utrecht, fait archevêque de Tortosa, son ancien précepteur et conseiller, fut mal accepté comme régent. Beaucoup d’Espagnols, tant castillans qu’aragonais, avaient le sentiment de payer la campagne électorale de Charles pour l’empire avec des impôts qu’ils estimaient trop lourds. En juin 1520 il y eut divers soulèvements, une junte se forma avec à sa tête Jean de Padilla, qui arriva même à obtenir une entrevue avec la reine Jeanne. Le régent Adrien, précepteur de Charles, vit tout de suite le danger et sut diviser les conjurés, sans pouvoir éviter une violente guerre civile qui finit par rallier tous les Grands d’Espagne au roi Charles. On ne put éviter trois exécutions dont celle de Padilla le 24 avril 1521. Mais Charles avait pu se rendre à Worms pour la diète d’empire, rejoint par son frère Ferdinand qui l’avait précédé aux Pays-Bas, dès novembre 1520. La diète fut ouverte le 27 janvier 1521. C’est là que Luther, déjà excommunié devait se présenter. Il était venu muni d’un sauf-conduit de l’empereur, tout comme Jean Hus à Constance.
III Arrivée de Martin Luther sur la scène internationale
Comme mon propos ne porte pas sur la réforme luthérienne, je ne puis m’attarder ici sur cet important épisode, mais je dois le mentionner, car il va avoir bien évidemment des conséquences sur la papauté et la France, principale ennemie de Charles Quint. La réaction de l’empereur, « Sa Majesté Apostolique » et comme roi d’Espagne « le catholique », ne pouvait laisser indifférent le roi de France « Très Chrétien ». À Worms, l’empereur sera face à Luther, très brièvement. Les deux hommes furent à la hauteur du rôle qu’ils avaient à tenir. Je continue à penser que Luther, malgré son excommunication, n’avait aucune intention de créer une autre Église, il souhaitait une réforme de toute l’Église, pas forcément par voie conciliaire, mais plutôt par recours à la hiérarchie. Il croyait au droit divin et non au pouvoir d’une majorité. Un an avant Worms, il l’avait prouvé, en écrivant au pape Léon X et même dans son Manifeste à la noblesse chrétienne de la nation allemande. Il s’exprimait en ces termes « à Sa Sérénissime et Toute puissante Majesté l’empereur et à vous chers seigneurs… La misère et les épreuves qui pèsent sur tous les États de la chrétienté et particulièrement sur les pays allemands et qui ne m’ont pas incité tout seul et ont amené tout le monde à crier et à appeler, pour voir si Dieu donnerait à quelqu’un l’inspiration nécessaire pour tendre la main à la malheureuse nation. Que l’astuce et le malin, démasqués, ne soient plus en état de nuire… Dieu nous a donné comme chef un noble jeune homme, il a ainsi éveillé dans maints cœurs un Bon et grand espoir… Il conviendra que nous apportions notre contribution afin de mettre à profit les grâces du temps » (1). Luther respectera toujours l’empereur, il le manifestera aux princes qui le soutiendront quand se formera la ligue de Smalkalde (1531) qu’il n’acceptera que comme défensive, et ce jusqu’à sa mort en 1546. Luther put donc maintenir sa position à Worms et refuser de se rétracter. Charles Quint tint parole, Luther repartit libre vers Wittemberg, non sans être resté à Worms quelques jours. Il sera vite caché au château de la Warburg par Frédéric de Saxe pour qui l’empereur eut toujours du respect malgré son attachement à la réforme. Il n’oublia jamais qu’il lui devait en très grande partie son élection. Il mit certes Luther au ban de l’empire et déclara vouloir le combattre. Mais, pressé par le légat Aléandre de mettre cette menace à exécution de suite, il n’en fit rien, prit son temps, et ne prononça la sentence de condamnation que quand Luther fut en sûreté.
Léon X qui allait mourir en décembre de cette même année 1521 ne s’était pas pressé lui non plus. Vis-à-vis de Luther, le pape avait en réalité manifesté de la prudence. Très instruit, mais peu théologien, il ne pouvait imaginer en 1520 que cette affaire allait prendre de telles proportions. De plus, il venait de clore le Ve Concile de Latran en 1516 qui condamnait le conciliarisme, il lui était difficile d’en convoquer un autre. Il s’éloignait de l’alliance française pour se rapprocher de celui qu’il estimait être le plus capable de maintenir l’Italie en paix, l’empereur. Celui-ci semblait vouloir jouer la carte de la diplomatie, pourquoi pas ? Mais il n’aurait pas le temps.
IV Le très difficile pontificat de Léon X
Léon X, pape de 1513 au 1er décembre 1521, devait déjà assumer le lourd héritage de Jules Il, ayant été fort heureusement le témoin et l’acteur attentif de grands changements. Il éprouvait de la sympathie pour François Ier au lendemain de Marignan, le Concordat de Bologne le manifesta. Mais la question de l’élection du futur roi des Romains se révéla plus compliquée que prévue. Elle commença trop tôt, au point que Maximilien, qui ne mourut que le 12 janvier 1519, put y participer !
La compétition se faisait entre les deux plus riches et plus puissants monarques du temps. L’argent promettait de couler à flots, pour la plus grande joie des sept grands électeurs, ce qui explique très certainement le sage retrait d’Henri d’Angleterre. François Ier avait commencé par donner le mauvais exemple de la corruption, malgré les méfiances du président du Parlement de Paris, Guillard (2). Charles ne fut pas en reste car il y avait de la demande. Voici un bel exemple : Albert de Brandebourg, de la famille Hohenzollern. En 1513, âgé de 23 ans, il est archevêque de Magdebourg et administrateur apostolique du diocèse d’Halberstadt ; en 1514, il devint archevêque de Mayence et de ce fait prince-électeur et archichancelier du Saint-Empire. Il était ruiné parce qu’il avait dû payer les dispenses pour ses cumuls et trois fois les annates. Il avait dû emprunter à la banque Fugger d’Augsbourg, en gageant son emprunt sur la prédication des indulgences (payantes à l’époque) sur ses diocèses. Et c’était l’évêque dont dépendait Luther ! Il touchera de l’argent de François et de Charles. Il sera cardinal en 1518, mais cela ne suffira pas à remettre ses finances à flots. D’autres électeurs vont suivre son exemple. À quelques jours de l’élection, rien n’était joué. On conseilla à François Ier de se retirer, en fait il n’avait pas vraiment intérêt à gagner cette élection. C’était aussi l’avis du pape. Léon X pensait à un prince allemand peu puissant, surtout à Frédéric de Saxe. Il protégeait Luther, certes, mais cela pouvait avoir son intérêt. Luther n’apparaissait, pour le grand public que comme critique populaire des indulgences.
D’ailleurs dès 1518, Léon X, qui avait envoyé le cardinal Thomas de Vio, plus connu sous le nom de Cajetan (forgé à partir de la forme latine de sa ville d’origine Gaète) à la diète d’Augsbourg où devait officiellement se décider une véritable croisade contre les Turcs, et l’élection de Charles comme le souhaitait secrètement Maximilien, demanda à ce cardinal grand théologien de rencontrer Luther. Ce qu’il fit. Mais cela ne signifiait en rien que l’affaire Luther était prise au sérieux, du fait de la notoriété de Cajetan ! Ce dernier était simplement sur place et put faire un rapport exact de la situation que, lui, avait parfaitement comprise. En trois jours d’échanges, il ne lui avait pas échappé que Luther allait beaucoup plus loin que la dénonciation d’abus. Et si le pape n’avait pas commencé des poursuites contre Luther, c’était simplement parce que rien n’était encore joué pour les élections à l’empire. Léon X, habile politique et bien renseigné, savait maintenant que la seule façon d’empêcher Charles d’être élu, ce qui était aussi l’avantage de la France, était une candidature allemande, et pas n’importe laquelle ! C’est pourquoi, il usa de diplomatie en envoyant en Saxe son camérier, Von Miltitz, qui avait remis la rose d’or au prince Frédéric, protecteur du moine récalcitrant. Chargé aussi de rencontrer Luther, il put même conclure une sorte de trêve avec lui, évoquant les élections impériales et laissant entendre qu’ensuite le pape prendrait l’affaire en mains, et Luther accepta. Léon X craignait à juste titre l’élection de Charles dont la politique italienne serait plus difficile pour lui que celle de François. Celle de Frédéric aurait été inexistante, et assurait la paix. Mais François s’entêta, continuant une propagande électorale de plus en plus coûteuse. Quand l’empereur Maximilien mourut le 12 janvier 1519, beaucoup de choses changèrent alors et cela avait commencé dès la fin de la diète d’Augsbourg où l’élection de Charles n’avait pu se faire. Ce dernier avait commencé à mettre en pratique les conseils de son grand père encore vivant et envoya lui aussi des sommes importantes à certains électeurs sensibles à la chose. Le vent tournait en sa faveur, ce qui incita François à faire de la surenchère et le pape à le soutenir ouvertement. Du coup, c’est dans l’entourage de Charles (précisément sa tante Marguerite d’Autriche, régente des Pays-Bas) (3) qu’on prit peur, au point de lui suggérer de présenter son frère, l’archiduc Ferdinand d’Autriche, que Ferdinand le catholique avait désigné comme successeur en Espagne, mais que Charles son aîné avait évincé (il ne lui permettra pas non plus la course à l’élection impériale, mais saura rester en bons termes avec lui, et lui préparer son heure de gloire) (4). Et cela permit à l’archevêque Albert de recevoir encore de l’argent pour soutenir Charles et faire sa propagande. Mais il était légat du pape qui venait de réaffirmer soutien à François, d’où une ultime démarche de Charles auprès du Saint-Père pour l’assurer de son soutien pour lui et ses États ainsi que pour sa famille, les Médicis. Le pape laissa alors la liberté d’agir à son légat selon les circonstances… Charles fut alors élu roi des Romains le 29 juin 1519. Il dut rapidement revenir d’Espagne laissant de gros soucis pour s’en charger d’autres. Mais n’oubliant jamais que son principal adversaire demeurait François Ier et ce au moment où le pape prenait ses distances avec le roi de France et même allait disparaître
V L’alliance entre l’empereur et le roi d’Angleterre, la fin de Léon X
Cette année 1521 allait marquer un tournant dans la politique européenne du simple fait de l’ascension de Charles Quint. Charles avait souhaité avant son élection à l’Empire qu’Henri VIII fût arbitre entre lui et la France en cas de risques de conflit. Une rencontre eut lieu à cet effet le 4 août 1521 entre les envoyés des trois puissances concernées, le cardinal Wolsey pour l’Angleterre, Duprat pour la France notamment. En fait, l’Angleterre avait déjà parti lié avec Charles Quint ; ce dernier n’avait fait aucun geste pour la famille d’Albret, aussi le roi de France très déçu, avait commencé des opérations militaires en Navarre, apparaissant comme l’agresseur. Instruit du changement de comportement de Léon X, François voulut lui supprimer les annates et se rendre à Rome. Cette même année le connétable Charles de Bourbon fut renvoyé de son poste de gouverneur de Milan et remplacé par le Maréchal de Lautrec, les Français étant de plus en plus mal vus par les Italiens. Ils devront donc quitter Milan. C’est alors que la femme du connétable mourut et que son héritage fit débuter un procès avec la mère du roi. Le connétable n’attendra pas la fin, ira se mettre au service de Charles Quint et commandera ses armées à Pavie. Et le pape mourut ! Le cardinal Wolsey se serait bien vu le remplacer, tout comme Jules de Médicis. Mais les cardinaux électeurs avaient bien conscience que les problèmes théologiques et la réforme de l’Église primaient. Adrien Florensz, né à Utrecht le 2 mars 1459, ne leur était pas particulièrement connu, mais n’étant pas d’accord entre eux et le sachant proche de Charles Quint, ennemi du roi de France qui les inquiétait de plus en plus, ils virent en faveur ce cardinal. D’origine modeste, à force de travail, il avait pu étudier à l’université de Louvain. D’étudiant il était devenu professeur, puis recteur, doyen de l’église Saint-Pierre, puis chancelier de l’université jusqu’en 1507. C’était donc un théologien professionnel. En 1507, il était devenu précepteur de Charles Quint qui, nous l’avons vu, lui avait confié de très grandes responsabilités politiques en Espagne, en avait fait un archevêque et un cardinal. Il aura même en Espagne le titre de vice-roi !
Suite à une manœuvre manquée du cardinal Jules de Médicis, il fut élu pape le 14 février 1522 et prit le nom d’Adrien VI. Son élection semble bien n’avoir réjoui personne. À la cour de France, la colère s’exprima ouvertement ! Louise de Savoie ira jusqu’à dire que « Charles Quint aurait pu tout aussi bien se nommer pape lui-même. François Ier manifesta son dépit en refusant de reconnaître « le maître d’école de l’empereur » (5). Seuls, chez les Français, les cardinaux voyaient en lui l’homme de la situation, un théologien de métier, doublé d’un véritable esprit religieux, et un homme d’expérience qui avait la possibilité de pacifier la chrétienté et de l’unir contre le danger ottoman. D’ailleurs, il commencera par refuser d’entrer dans la coalition anti-française, rappelant qu’elle était en rupture avec le dernier acte politique officiel de son prédécesseur Léon X : Voilà qui mérite d’être souligné pour ce « très proche » de Charles Quint. La guerre avait en effet repris à grande échelle, François Ier voulait absolument reprendre Milan, refusant de voir que la cause était perdue, autant pour des raisons psychologiques que militaires. C’est probablement ce qui poussa Adrien VI, le 3 juin 1522, à adhérer à la ligue s’opposant au retour de la France en Italie.
VI L’ambition aveugle du roi Très Chrétien face à la clairvoyance de Sa Majesté Apostolique
François ne vit dans la démarche du pape qu’hostilité personnelle, arrêta l’envoi des annates et expulsa l’ambassadeur du Saint-Siège. On savait à ce moment là qu’une flotte turque importante était regroupée à Istanbul par Soliman le Magnifique et que celui-ci avait signé un traité de neutralité avec Venise ! Elle arriva le 24 juin 1522 en vue de Rhodes, seule place de l’Asie mineure tenue par les chevaliers Hospitaliers de Saint Jean. Le 18 juillet, à l’arrivée de Soliman, le siège commença. L’île était défendue par les seuls chevaliers, sous les ordres de leur nouveau Grand maître, Philippe de Villiers de l’Isle-Adam. La résistance des assiégés fut vive autant que les assauts par mer et à partir de la terre. Le 14 novembre, on envisagea la reddition, négociée entre le 10 et 19 décembre. Le Grand maître obtint la liberté des 160 chevaliers restants et des habitants de Rhodes qui voulaient partir avec eux. Ils devaient aussi évacuer toutes leurs garnisons du Dodécanèse. Soliman maîtrise ainsi toute la Méditerranée orientale. Charles Quint qui comprenait l’utilité des chevaliers en de tels lieux, leur donnera, après une errance de sept ans l’île de Malte, le 24 mars 1530. À la chute de Rhodes, le pape adressera de vifs reproches à tous les souverains chrétiens y compris Charles Quint qui rejettera tout sur François Ier, ce qui était exact en grande partie. On pourrait dire la même chose concernant « la trahison » du connétable de Bourbon, excellent militaire, mais pas grand politique. Un peu de hauteur de vue et de diplomatie de la part du roi de France aurait peut-être pu éviter ce malheur. Ce qui est certain, c’est qu’à la veille de Pavie le roi de France disposait, d’une supériorité financière et militaire sur Charles Quint pour obtenir une paix plus qu’honorable, comme Louis XII après sa victoire de Ravenne en 1512. Mais il aurait fallu renoncer à poursuivre l’aventure italienne, et d’abord remporter une victoire militaire en utilisant, grâce à de bons stratèges ses supériorités ! Mais au soir du 24 février 1525, François Ier est battu et pire, fait prisonnier après une lutte courageuse qui a forcé l’admiration de tous. En apprenant les nouvelles exactes de la bataille le 10 mars à Madrid, Charles va prier dans son oratoire et ne manifester aucune joie exubérante ou tapageuse. Il écrit à Charles de Lannoy, principal artisan de la victoire à Pavie (qui a sauvé la vie de François Ier en l’arrachant aux mains des Suisses, et auquel le roi a remis son épée) de prendre soin de la santé du roi et de donner régulièrement de ses nouvelles à sa mère Louise de Savoie. Le roi sera emmené à Madrid et retenu prisonnier. Les ambitions françaises concernant l’Italie apparurent terminées. Un seul prince italien allait donc compter pour la France : le nouveau pape, d’autant plus qu’on le savait hostile à Charles Quint.
VII Un nouveau Médicis sur le trône de Pierre : un diplomate « florentin »!
À la mort d’Adrien VI, le cardinal Jules de Médicis, fils naturel de Julien de Médicis assassiné à Florence, frère Laurent le Magnifique (déjà candidat au conclave précédent), fut élu fin 1523 après un très long conclave (début octobre – 19 novembre 1523). Il était opposé au cardinal Pompéo Colonna, membre d’une famille ennemie des Médicis, plus militaire qu’homme d’Église et tout dévoué à Charles Quint. Jules de Médicis devient Clément VII fin 1523, parce que beaucoup crurent, avec raison, que la France pouvait l’emporter en Italie (c’était avant Pavie). Ce conclave indique bien que les préoccupations essentielles du Saint-Siège étaient revenues à la politique internationale dominée par la lutte entre François Ier et Charles Quint, et la menace turque ; l’affaire Luther et ses suites n’apparaissaient plus hélas de premier intérêt.
Au lendemain de Pavie, Charles Quint se considéra comme tellement vainqueur en tout qu’il imposa à François Ier, prisonnier, un traité humiliant, le traité de Madrid, dont il ne pouvait, à l’évidence, appliquer certaines clauses, celles qui portaient sur la cession de terres appartenant au domaine royal. Charles Quint ne pouvait l’ignorer, connaissant les promesses du sacre de Reims, auquel d’ailleurs il avait assisté pour François Ier. Il commit alors une erreur assez surprenante pour un homme de génie et de sa classe, si du moins on entend établir une paix durable : humilier un ennemi vaincu. On peut faire sentir le poids de sa victoire – et la rançon demandée était plus que significative ! Le reste n’était pas acceptable, surtout pour un roi comme François Ier, plus sensible aux questions d’honneur, et la religion en faisait partie, nous le verrons, qu’à n’importe quoi d’autres ! Il signa cependant au nom de l’intérêt supérieur de l’État qui exigeait sa libération, laissant deux de ses fils en otages à Madrid, dont le futur Henri Il, qui ne l’oubliera jamais ! Rentré en France, François réunit des théologiens, et sur leurs conseils ne tint pas parole pour ne pas violer les promesses du sacre. Charles Quint se prépara alors à reprendre les hostilités. Et c’est bien là ce qui inquiéta Clément VII et ses proches.
Si le Saint-Siège avait été « fluctuant » dans son alliance avec la France quant à son entreprise italienne, c’était bien parce qu’il craignait une présence française dans la péninsule qui fît de l’ombre à ses États. Avec Charles Quint, que les spécialistes de la curie avaient vu à l’œuvre, capable de diriger des États éloignés parce qu’il savait déléguer avec discernement, ce dont François n’était pas capable avec le même bonheur, ils craignirent alors une totale mainmise impériale sur toute l’Italie, pouvant remettre en cause l’indépendance des États pontificaux, donc la liberté de l’Église, plus que jamais nécessaire avec l’affaire Luther. N’oublions pas que dès Worms, des proches du pape avaient trouvé l’empereur trop mou devant le moine allemand !
C’est donc le pape lui-même qui se fit le promoteur de la ligue de Cognac, anti-impériale appelée Sainte Ligue de Cognac, signée le 22 mai 1526. En firent partie en plus du pape : le roi de France, le duché de Milan, Venise, Gênes et Florence. Dans un premier temps, Charles Quint va agir sur le pape, usant de la bonne vieille méthode de la jalousie séculaire des grandes familles italiennes. C’est bien sûr la famille Colonna qui va être sollicitée, d’autant qu’elle a en place à Rome un rejeton battu au dernier conclave, expert de plus en coups de force armés ! Le 20 septembre, le cardinal Prospero Colonna lança ses soldats dans Rome, et ce fut le saccage ! Clément demanda alors le secours de l’empereur qui l’accorda en échange de la rupture du pape avec François Ier. Prospero se retira à Naples avec ses troupes. Il y commanda d’une main de fer. Mais aussitôt débarrassé de l’encombrant personnage, Clément se tourna de nouveau vers François Ier. C’est pour cette raison que l’empereur demanda à Charles de Bourbon (l’ancien connétable) et au général Georg von Frundsberg de marcher sur Rome avec 35.000 soldats, dont beaucoup étaient des lansquenets, luthériens allemands. Mais le général allemand tomba malade et Bourbon fut tué sur une échelle en attaquant les remparts de Rome. La mise à sac de la ville commença alors sans chef réel, le 6 mai 1527, pour se terminer en février 1529, ce qui est énorme. Le pape fut obligé de se réfugier au château Saint-Ange, beaucoup de gardes suisses qui l’accompagnèrent y laissèrent la vie. Charles Quint était absent et les deux chefs préposés à cette attaque destinée à faire peur au pape, dans l’impossibilité de commander, l’un malade, l’autre mort. Il est donc faux de parler du « sac de Rome par l’empereur Charles Quint ». Précisons aussi qu’il n’y avait pas que des lansquenets luthériens qui se livrèrent à ces horribles exactions, il y avait des Flamands, des Espagnols et des Italiens, mais tous avaient un point commun avec les lansquenets : ils étaient privés de solde depuis un an !
Nous l’avons vu, Charles Quint manquait cruellement d’argent ! Or, Rome était réputée très riche ! Et il y passait certes beaucoup d’argent et cela faisait fantasmer. Il est vrai que les lansquenets avaient aussi en tête les injures de Luther contre le pape. Rome était « la Grande Prostituée de Babylone » ayant à sa tête l’Antéchrist ! Mais il n’y avait pas que les luthériens pour parler de la corruption de Rome à cette époque là en Europe ! (6). Charles Quint éprouvera tout de même le besoin de s’expliquer publiquement sur cette lamentable affaire en donnant deux motifs principaux : l’armée était sans chef et le courroux divin s’était abattu sur Clément VII et ses mauvais cardinaux qui ne faisaient rien pour réformer et pacifier l’Église. Un traité de paix signé à Barcelone le 24 juin 1529 ramena la paix entre le pape et l’empereur, grâce à des concessions réciproques. Celui qui n’était qu’empereur élu sera couronné à Bologne par le pape Clément VII le 24 février 1530. Le pouvoir des Médicis sera rétabli à Florence, et c’est à la demande du pape Clément, lui-même membre des hospitaliers, que l’empereur leur donnera l’île de Malte. Et cela n’empêcha pas Clément VII de renouer avec la France. Comme prévu, il se déplaça, malgré sa mauvaise santé en France et rencontra François Ier à Marseille le 28 octobre 1533. C’est là que fut conclu le mariage du futur Henri Il avec Catherine de Médicis, et il créa quatre cardinaux français, rétablissant ainsi les bonnes relations traditionnelles. Grand mécène et humaniste, il prit par exemple parti pour Copernic sans agir efficacement contre la Réforme protestante, ce fut la grande et terrible lacune du pontificat. Il mourra le 25 septembre 1534, n’ayant pas su éviter le schisme avec l’Angleterre.
En effet, Henri VIII demandait la reconnaissance en nullité de son mariage avec Catherine d’Aragon, veuve de son frère, arguant de l’interdiction du Lévitique. Un tribunal ecclésiastique s’était réuni en 1528 en Angleterre en présence d’un légat du pape, mais les discussions traînèrent et le légat n’avait pas reçu pouvoir de prononcer la nullité. Le pape demanda alors que l’affaire soit jugée à Rome. Cela persuada Henri qu’il avait été mal servi par le cardinal Wolsey et il l’exila en le remplaçant par Thomas More comme Lord Chancelier, pourtant opposé au divorce. En 1532, le roi obtint du pape la nomination de Thomas Cranmer comme archevêque de Cantorbéry, qui pourtant penchait sérieusement pour le luthéranisme, mais rien n’était officiel, car Henri restait toujours un adversaire des idées luthériennes. Cranmer présida alors un tribunal ecclésiastique qui prononça la nullité du mariage d’Henri et Catherine le 25 mai 1533. Et cinq jours plus tard il officialisera le mariage d’Henri et d’Anne Boleyn. Henri fut alors excommunié par le successeur de Clément VII, Paul III nouvellement élu. Il fit de même pour l’archevêque Cranmer, mais la chose ne fut pas de suite rendue publique. Henri fit alors voter le 3 novembre 1534 l’Acte de suprématie qui faisait de lui le chef de l’Église d’Angleterre, mais ce n’était pas pour autant la naissance de l’anglicanisme. Tout le reste de la doctrine catholique était en effet maintenu.
VIII Alexandre Farnèse devient le pape Paul III le 13 octobre 1534
Il appartenait à une très grande famille ducale romaine, sa mère est une Caetani, de la famille de l’ancien pape Boniface VIII. Il avait reçu une excellente éducation à Rome, puis à Florence où il rencontra le futur Léon X, Jean de Médicis. Alexandre fut un érudit, ayant accompli toutes ses humanités. Le 24 septembre 1493, à 25 ans, il fut créé cardinal diacre par Alexandre VI. Il est vrai que sa sœur Giulia Farnèse était la maîtresse du pape Borgia. D’où son surnom de « cardinal du jupon » (cardinale della gonella). Jeune, il se comporta comme tous ceux de son âge appartenant aux grandes familles romaines, clercs ou non. Mais il faut noter qu’il eut ses quatre enfants avec la même femme et qu’au fur et à mesure qu’il montait dans la hiérarchie des responsabilités ecclésiastiques, il se conforma progressivement à leurs règles de vie. Il fut très riche, mais très généreux et grand mécène. Beaucoup d’artistes n’auraient pas pu vivre sans lui. Il n’a pas vu l’achèvement de son palais, mais on peut dire qu’il l’avait en quelque sorte prévu ! C’est un des plus beaux palais de Rome, aujourd’hui l’ambassade de France en Italie. Il aimait les gens, ses enfants en particulier. Il les a avantagés et c’est bien normal. Mais cela ne s’était pas fait au détriment d’autres. Il nomma des gens remarquables au Sacré-collège. Avant d’être élu pape en 1534, à 66 ans (âgé pour l’époque) et il aurait pu l’être avant, son ascension avait été ininterrompue, d’Alexandre VI à Clément VII inclus ; il était de plus un homme très généreux, toujours très populaire auprès des Romains. Esprit réfléchi par l’expérience de la vie, il avait compris bien avant d’autres le problème urgent de son temps : la réforme protestante ! En 1534, au moment où il devenait pape, celle-ci faisait tache d’huile en dépassant les frontières de l’Allemagne comme s’en doutaient depuis un moment plusieurs observateurs avertis. Et pendant douze ans, son prédécesseur avait négligé cela ! D’où ce mot terrible de Paul III sur Clément VII : « Il m’a volé douze ans de mon pontificat. » (7)
L’année 1534 fut celle de la terrible affaire des placards en France, qui allait entraîner une réaction du pape auprès du roi François ; ce fut aussi celle aussi de l’acte de suprématie qui allait l’obliger à excommunier Henri d’Angleterre. Et personnellement, je pense qu’il eut mieux valu, dans l’intérêt de la foi catholique et du peuple anglais, déclarer la nullité de ce premier mariage pour la raison invoquée par le roi Henri VIII, ou par d’autres, plutôt que d’arriver à l’impasse de 1534. Clément VII, dans son intransigeance avec le roi d’Angleterre, voulait plus ménager ce qu’il pensait relever de la susceptibilité de Charles Quint que la sainteté du mariage catholique – Catherine d’Aragon était la tante de Charles Quint ! Et il s’est trompé, n’ayant compris ni la personnalité de l’empereur, ni l’intérêt sur le long terme de l’Église catholique. Le grand mérite d’Alexandre Farnèse à vues humaines, fut d’intervenir, en ressentant la grâce d’état à l’instant où on lui annonça le résultat de l’élection du conclave, en l’acceptant et en prenant le nom de Paul, apôtre dont les écrits étaient mis en avant par tous les protestants. Il précédait un autre pape, Paul VI. Mais ce qu’il importe de comprendre, c’est que les deux Paul, le III comme le VI, ne firent qu’une seule concession à Luther, à savoir la justesse du point central de sa controverse, la question de fond, la question dont dépend que l’Église vive ou meure, autrement dit qu’elle évangélise ou se condamne à n’envoyer que des messages vides et sans suite : la justification de l’homme pécheur par la foi en Jésus-Christ ! Luther avait eu raison de faire porter l’essentiel de son message sur cette question. Mais l’ensemble de ses réponses était aussi peu satisfaisant que les polémiques de ses adversaires qui n’élevaient pas le débat à la hauteur qu’il méritait. Car ce qui était impossible en 1517 était devenu nécessaire dès 1521, la réunion d’un concile œcuménique, parce qu’il était clair que l’excommunication de Luther n’avait rien réglé, que ce n’était pas le travail des princes chrétiens de régler les problèmes théologiques, même s’il étaient très catholiques, nous allons le voir avec Charles Quint et ses tentatives sincères mais irréalistes de réconciliation, et ce, par manque de connaissances théologiques et négligence de fait du Magistère. En prévenant Charles Quint qu’il ne devait pas se mêler de régler cette question à partir d’accords au sein du Saint-Empire et en écrivant à François Ier qu’il s’y prenait mal, Paul III sauvait la papauté de son siècle et reprenait en son nom et d’une manière définitive les choses en mains !
Par ordre chronologique, Paul III va d’abord intervenir en France en tant que pape dès 1534, année de son élection. Précisons tout d’abord que les sympathisants de la Réforme protestante en France étaient composés, comme partout, d’humanistes qui ne s’intéressaient qu’à la suppression de certains abus et à une meilleure prise en compte de l’antiquité chrétienne, mais qui ne souhaitaient pas aller au delà, comme certains de leurs compagnons de route. François Ier, un peu en dilettante, appartenait à cette catégorie. On le vit dès 1528, quand une statue de la Vierge fut mutilée à Paris. Il fit une procession de réparation. Le 1er novembre 1533, le recteur de l’université de Paris, Nicolas Copp, prononça l’homélie d’usage sur les béatitudes. Son sermon fut probablement rédigé par le jeune Calvin, il était d’inspiration luthérienne. La Sorbonne qui en 1518 avait été une des premières facultés à condamner Luther ne s’y trompa pas. Elle dénonça l’hérésie. Calvin se réfugia en province, Copp disparut, le roi avait promis de sévir, ce qu’il ne fit pas, pour ne pas contrarier les princes allemands luthériens dont il avait déjà fait ses alliés. Les protestants français ne comprirent pas le sens de cette « tolérance », aveuglés par l’amitié que portait le roi pour sa sœur Marguerite de Navarre, clairement partisane des idées de Luther. Aussi, dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, on trouva en divers endroits stratégiques de France, jusque dans la chambre du roi des placards contre la messe dénonçant « Les horribles grands et importants et importables abus de la messe papale » allant jusqu’à faire du « gros mot de transsubstantiation » une « doctrine des diables contre toute vérité ». Là, c’en était trop, le roi s’emporta, on l’avait provoqué comme roi catholique, on avait osé se moquer en termes injurieux de la messe (procédé désavoué par Calvin lui-même qui avait dû quitter la France). L’auteur est connu aujourd’hui, c’était un reformé assez fanatique, Antoine Marcourt, un homme à « histoires », comme on dit. Mais cela entraîna des répressions féroces, d’abord les bûchers de la place Maubert à Paris et d’autres ! D’où la réaction de Paul IlI, pape depuis quelques jours. Il écrivit au roi en juin 1535 « Adverty de l’exécrable et horrible justice que Le Roy François Ier faisoit en son royaume sur les luthériens, Paul IlI luy manda qu’il pensoit bien qu’il le fist en bonne part, néanmoins que Dieu, le créateur, a usé de miséricorde que de rigoureuse justice, et que c’était une cruelle mort que de faire brûler vif un homme ; donc, le requéroit de vouloir apaiser sa fureur et rigueur de justice en leur faisant grâce et pardon » (8). François dut d’ailleurs se justifier auprès des princes allemands en assimilant les victimes aux paysans révoltés qu’ils avaient réprimés durement en 1525, ce qui était évidemment faux.
Ensuite le pape allait « recadrer Charles Quint pour ses tentatives d’accords en Allemagne ! La première datait de 1530 à la diète d’Augsbourg. Il avait été demandé aux luthériens d’exposer l’essentiel de leurs thèses en distinguant bien les points non sujets à controverses (la Trinité par exemple) des autres (la justification par la foi, entre autres…) Melanchthon s’acquitta de cette tâche et présenta son texte le 25 juin 1530, avec l’accord de Luther. Il est important de relever que la diète s’était ouverte par une procession début juin pour la Fête-Dieu et que de nombreux princes luthériens et leurs amis l’avaient suivie, certes plus par déférence pour l’empereur que par foi en cette forme de piété, mais cela montrait aussi qu’ils ne jugeaient pas cette pratique idolâtre, comme les protestants radicaux qui suivirent Zwingli. (9) Il y avait donc encore un climat d’entente. Les points plus complexes touchant l’Église n’avaient pas été abordés et les définitions qui relevaient de l’ecclésiologie étaient extrêmement courtes, parce qu’on estimait les développements liés aux réponses qui seraient faites sur la justification par la foi au cours d’un débat qui ne put avoir lieu (10). C’est ainsi que ce texte de Melanchthon deviendra une confession de foi, ce qui n’était pas sa vocation première, la Confession d’Augsbourg, reconnue rapidement par tous les luthériens. Mais même s’il n’y eut pas débat, Charles Quint acquit assez de crédit pour obtenir du pape un accord pour réunir une diète à Cologne pour élire son frère Ferdinand roi des Romains, assurant ainsi une succession habsbourgeoise. Élu, il est couronné roi le 11 janvier 1531 (11). Quatre ans plus tard, Pau IlI avait donc un sérieux argument pour montrer à Charles Quint l’impossibilité d’arriver à un accord séparé entre Allemands. Mais fort de ce qu’il ressentait, non sans raison, comme des succès, l’empereur persévéra et cela peut se comprendre, malgré le désir officiellement exprimé par le pape de réunir un concile à Mantoue en y invitant les protestants. Une telle réunion allait prendre du temps à se mettre en place et à délibérer. La présence protestante était loin d’être assurée, malgré une réponse apparemment positive de Luther en 1536 (12), et la guerre civile menaçait de plus en plus l’empire. Cependant, Paul III réussit un tour de force en 1538 : Il se rendit à Nice dans le couvent des franciscains, en juin, et à partir de là rencontrera séparément, l’empereur et le roi plusieurs fois. Ceux-ci finiront par se voir et se parler le mois suivant à Aigues Mortes pour conclure une trêve de dix ans. L’action de Paul III releva considérablement l’éclat de la papauté, après des actes qui l’avait plutôt ternie, et cela va expliquer largement la suite. Mais dans l’instant, Charles se sentant en paix avec la France mais menacé tant par la ligue de Smalkalde des luthériens que par les Turcs, est pressé de retrouver l’unité religieuse de son empire. D’où la convocation de la diète de Ratisbonne en 1541 et la reprise de négociations théologiques. (13) Sur le point capital de la justification par la foi, ce fut un échec doublement salutaire. Il montra à Charles Quint que Paul IlI avait raison de soutenir que seul un concile pouvait régler cette question et ce pape venait de prouver à Nice qu’il était un négociateur autant réaliste qu’efficace. De plus, comme le fait remarquer le père Bernard Sesboüé SJ, dans l’excellent livre que j’ai maintes fois cité, ce texte de Ratisbonne montra au Concile que certaines manières d’aborder cette question n’étaient pas bonnes et lui fit rédiger sans doute un de ses meilleurs décrets en 1547 et beaucoup plus tard, je puis en témoigner pour l’avoir vécu, permit la signature des accords d’Augsbourg en 1999, entre l’Église catholique et la Fédération Luthérienne mondiale sur cette question précise.
IX La grande victoire de Paul IlI: la convocation d’un concile œcuménique
Ce grand pape aura la consolation de voir une partie de la réussite de ses efforts. Après avoir dû négocier pour le choix de la ville. En 1536, il avait été question de Mantoue, mais cela se révéla impossible. Il fallait se mettre d’accord sur une ville sous tutelle impériale, mais qui n’effraya pas les protestants dont le pape souhaitait la venue. On se mit d’accord sur Trente, ville d’empire en Italie. Le concile fut convoqué par le pape le 22 mai 1542 et s’ouvrit à Trente le 13 décembre 1543 dans la cathédrale de San Vigilio. Trente-et-un évêques seulement furent présents, ce qui commençait mal, et il faut y voir très certainement une manœuvre de Charles Quint qui continuait à réunir des diètes en Allemagne pour traiter des questions religieuses soumises au Concile de Trente. Et là, il manqua de loyauté vis-à-vis du pape et commit une erreur politique. Il échouera comme prévu sur le plan doctrinal, gênera les débuts du Concile, causant l’absence des protestants et le petit nombre de représentants allemands. Ce qui ne l’empêcha pas d’être tenu au courant par ses envoyés espagnols, Diego de Mendoza et Francisco Alvarez de Toledo. Il craignait, comme d’ailleurs la France au nom de son gallicanisme, un rétablissement et un renforcement du catholicisme traditionnel trop brutal, alors qu’il souhaitait atteindre ce but par des compromis qui auraient sauvegardé l’unité du Saint-Empire. Mais son échec doctrinal l’obligea à la guerre qui troubla la marche du Concile (25 sessions de 1545 à 1563). Il fut vainqueur des princes protestants à la bataille de Mulhlberg le 24 avril 1547, mais dut signer la paix de Passau avec les protestants le 2 août 1552, après sa défaite à Innsbruck (le roi Henri Il qui détestait Charles Quint s’était allié aux troupes protestantes). Et en 1550, Charles Quint avait demandé à Jules III , successeur de Paul III de rouvrir le Concile de Trente ! Pressentiment juste, mais tardif!
Père Michel Viot
1) Pierre Chaunu, Michèle Escamilla, Charles Quint, éditions Fayard 2000, p. 159
2) Albert Buisson, Le Chancelier Antoine Duprat, Librairie Hachette 1935, pp. 141 et 142. Pour comprendre toute la complexité de l’élection à l’empire, on lira avec intérêt le chapitre V, p. 131 à p.144, qui prouvent, au travers de l’activité du Chancelier de France et d’autres serviteurs de la couronne, que le roi aurait dû se dispenser de pareille aventure.
3) Pierre Chaunu, op. cité, p. 123.
4) Pierre Chaunu, op. cité, p. 93
5) Pierre Chaunu, op. cité, p.195
6) Pierre Couhault, « Prologue aux guerres de religion : le sac de Rome 1527 », Encyclopédie d’histoire numérique en ligne ISSN2677-6588
7) Bernard Sesboüé, « Sauvés par grâce » Les débats sur la justification du XVI ème siècle à nos jours, Éditions Facultés Jésuites de Paris 2000, p. 67. Le meilleur livre paru en français sur le vrai débat entre catholiques et protestants au XVIe siècle.
8) Jacques Hillairet, Dictionnaire historique des rues de Paris, ce qui concerne la place Maubert où les bûchers furent dressés. Editions de Minuit, 1963.
9) Pierre Chaunu, op. cité, p. 248
10) Bernard Sesboüé, op. cité, pp. 47-55
11) Pierre Chaunu, op. cité, p. 252
12) Cette réponse est en effet constituée par les articles de Smalkalde de 1536, et personnellement je doute fort que leur lecture ait pu inciter un concile catholique à négocier quoique ce soit !
13) Bernard Sesboüé, op. cité, pp. 55-63