Ces larmes de Glyzelle qui inspirent le pape François

Un regard contemplatif fixé sur le Christ et sur la réalité

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Les larmes de la jeune Glyzelle Palomar, 12 ans, ont inspiré le discours du pape François aux jeunes de Philippines ce dimanche 18 janvier, sur le campus de l’université Saint-Thomas de Manille, devant 30 000 jeunes, sous la pluie : « Si vous n’apprenez pas à pleurer vous ne serez pas de bons chrétiens.”

Pour la seconde fois en deux jours, le pape François laisse de côté le discours préparé et parle d’abondance du cœur, en espagnol, avec une traduction consécutive en anglais: mais que se passe-t-il ?

Il pose son regard sur les larmes de la jeune Glyzelle et se laisse émouvoir et inspirer, il écoute les témoignages de quatre jeunes garçons et il laisse de côté le texte préparé pour correspondre de plus près à leurs demandes.

Glyzelle Palomar et Jun Chura, 14 ans, ont été sauvés de la rue par l’ONG Tulay Kabataan (Fondation ANAK-Tnk) dont le pape a visité le centre d’accueil le 16 janvier. Le pape s’est tout de suite passé au poignet droit le petit bracelet blanc qu’ils lui ont offert. Une grande soeur de Glyzelle puis un petit frère ont aussi été pris en charge: ils étaient dans la rue, leurs parents étant trop pauvres pour les élever. On estime à 1,5 million les enfants des rues aux Philippines, dont 70 000 à Manille.

« Il y a beaucoup d’enfants négligés par leurs parents, beaucoup deviennent des victimes de beaucoup de choses terribles arrivent comme les drogues ou la prostitution. Je me nourrissais avec ce que je trouvais dans les ordures. Je ne savais pas où aller, et je dormais sur le trottoir. Des choses terrible, que je n’aime pas, arrivaient à mes compagnons, dans la rue. On leur enseignait comment voler, à tuer aussi, ils n’avaient plus de respect pour les adultes », a raconté Glyzelle, la gorge nouée.

« Pourquoi Dieu permet-il que ces choses arrivent à des enfants innocents? Pourquoi si peu de gens viennent nous aider? », a demandé Glyzelle en laissant échapper ses larmes.

La réalité plus importante que les idées

Au terme de son allocution improvisée, le pape a expliqué pourquoi il avait laissé le texte préparé : « Une phrase me console : la réalité vaut plus que les idées. La réalité que vous êtes vaut plus que les idées que j’avais préparées. » Autrement dit, le pape a vu une réalité qui se présentait à lui et à laquelle il sentait devoir répondre. Il a vu parce qu’il a écouté, regardé, contemplé.

Le mot est lâché. Le pape est un « contemplatif », comme le révèle son regard grave fixé sur le grand crucifix que les jeunes ont porté en procession jusqu’au podium au début de la rencontre. Un regard extérieur et intérieur sur le Christ qu’il écoute, comme il le recommande à un jeune, Ricky, en mettant un doigt sur ses lèvres : « Tu donnes, tu donnes, avec tes amis, tu aides, mais est-ce que tu acceptes de recevoir ? Chut ! La réponse est dans ton cœur ! »

Et en même temps, un contemplatif de la réalité qui se présente à lui, qui s’impose à lui, et en quelque sorte, que le Christ lui donne à contempler. C’est de ce regard intense, de cette écoute intense à la fois du Christ et du monde que naissent sentiments, pensées, paroles, actions.

Et qu’est-ce qu’il a été donné à contempler au pape  en premier ce dimanche matin sur le campus ? Les larmes de la jeune Giselle, ancienne enfant des rues qui a tenté de partager sa dure expérience. La gorge nouée, elle n’a pas pu finir son petit discours, elle n’arrivait pas à réprimer la montée de ses larmes.

Lorsqu’elle s’est approchée du pape, il lui a posé la main sur la tête pour la réconforter et elle s’est blottie timidement contre lui.

Faire de la place à la femme

Ses larmes ont inspiré au pape deux enseignements, l’un sur l’importance du regard de la femme sur la réalité, de son rôle dans la société, l’autre sur le courage des larmes.

Giselle était la seule fille à témoigner: une « petite représentation », a dit le pape, mais ce n’est « pas assez ». Il ajoute en souriant: « Quand le prochain pape viendra à Manille, il faudra plus de filles ! »

Il explique, et chaque phrase est scandée par des ovations : « La femme a beaucoup à nous dire dans la société d’aujourd’hui. Parfois nous sommes trop machistes et nous ne laissons pas de place à la femme. La femme est capable de voir les choses un regard différent. De poser des questions que nous les hommes nous ne sommes pas capables de comprendre. »

Et Giselle n’a pas pu poser sa question au pape au terme de son petit discours. Le pape fait observer : « Attention ! Elle a posé aujourd’hui la seule question qui n’a pas de réponse. Et elle a dû le dire par des larmes. Cette question, c’est celle de la souffrance des enfants : pourquoi faut-il que les enfants pleurent ? »

Soyez courageux, pleurez !

Le pape évoque les larmes de compassion du Christ dans l’Evangille. Il recommande : vous-mêmes, soyez courageux, pleurez ! Mais il invite à un discernement : « Il y a une compassion mondaine qui ne sert à rien. (…) Vous-mêmes avez dit quelque chose de cela. Est-ce que j’ai appris à pleurer quand je vois un jeune qui a faim, se drogue, n’a pas de maison, est abusé, utilisé comme esclave ? »

Plus encore, le pape cite la jeune fille en exemple : « Elle nous a enseigné à pleurer. N’oublions pas cette grande question : pourquoi tant d’enfants pleurent. Elle l’a posée en pleurant. »

Ces larmes, a insisté le pape, « nous ont posé la question : pourquoi les enfants pleurent-ils, pourquoi il cela arrive-t-il ? La réponse c’est soit le silence soit la parole qui naît des larmes. »

Pour pouvoir comprendre ces larmes, pour pouvoir répondre, le pape avertit : « Apprenons à pleurer… Si vous n’apprenez pas à pleurer vous ne serez pas de bons chrétiens, c’est un défi.”

Il conclut : « Soyez courageux, n’ayez pas peur de pleurer ! N’oubliez pas cette leçon. »

Un don des larmes que saint Ignace de Loyola avait en abondance, surtout à la fin de sa vie, comme en témoigne son journal spirituel dans lequel il n’écrit parfois qu’un mot : « larmes ».

Les trois langages du sage

Le pape explique ainsi aux jeunes en quoi consiste  la sagesse chrétienne. Il y a, dit-il, trois langages à utiliser: « penser, sentir, faire », « penser bien, sentir bien, bien faire », « harmonieusement ». « Lorsque l’information descend au cœur, tu peux la réaliser, harmonieusement », répond-il à une question sur l’information et l’informatique.

Et cette attention intérieure à la fois au Christ et à la réalité rend disponible aux « surprises de Dieu » : «  Le vrai amour, c’est aimer et de se laisser aimer, le plus important, c’est de se laisser aimer par Dieu. L’amour t’ouvre à la surprise et suppose le dialogue entre celui aime et celui qui est aimé. Dieu est le Dieu des surprises : il nous attend avec une surprise. Dieu nous surprend, laissons-nous surprendre par Dieu. Et n’ayons pas la psychologie du computer qui a toutes les réponses et pas de surprise. Pour être sage, il faut vous laisser surprendre par Dieu. »

Même disponibilité « pour ceux que nous aidons » : le pape contemple l’appel du jeune homme riche. Le jeune riche demande: « Qu’est-ce qui me manque ? » « ‘Il te manque juste une seule chose’ : écoutons cette parole de Jésus en silence. ‘Une seule chose te manque’… »

Le pape commente : les scribes « ne laissaient jamais le peuple leur donner quelque chose mais Jésus s’est laissé émouvoir par le peuple. Il te manque une seule chose : devenir un mendiant, apprendre à mendier, à ceux auquel nous donnons. Ce n’est pas facile à
comprendre, apprendre comment mendier. Apprendre à recevoir avec humilité de ceux que nous aidons ».

Le premier « défi » que le pape confie aux jeunes c’est donc « d’apprendre à aimer et d’apprendre à se laisser aimer ».  

Et puis, certes, de « faire quelque chose pour les pauvres » mais en même temps de «  demander aux pauvres de vous donner la sagesse qu’ils ont » : « c’est que je voulais vous dire aujourd’hui ».

Le pape exhorte les jeunes à être des « sages » de cette sagesse-là.

Le texte préparé fait partie du message

Ce que le pape avait préparé, c’était de recommander aux jeunes de ne pas se laisser voler leur honnêteté, leur intégrité morale, de ne pas avoir peur d’être « ridicule », en s’appuyant sur la force du Christ.

Le deuxième « défi » qu’il leur proposait c’est celui de la sauvegarde de la création, pour ne faire une « beau jardin ».

Le troisième défi : faire « davantage » pour les pauvres.

Lorsque le pape improvise ce n’est donc pas que le discours préparé n’est pas à prendre en considération : le Vatican le publie et indique qu’il est à recevoir comme « prononcé ». Autrement dit, l’homélie non prononcée de Tacloban fait partie du message du pape François aux sinistrés du typhon Yolanda/Haiyan du 8 novembre 2013.

Font aussi partie de ce message l’homélie prononcée d’abondance du coeur dans la pluie et le vent, et le tweet et le message publié sur la page facebook de la visite papale aux Philippines disant sa « tristesse » de devoir écourter son séjour pour éviter d’être pris dans la tempête tropicale.

Font aussi partie de ce message ses gestes : il prend le temps de passer en papamobile au milieu de la foule, revêtu comme elle d’un imperméable jaune transparent, il se rend à la cathédrale de Palo où il était attendu pour une rencontre qui n’aura pas lieu, il bénit – seulement en en passant mais quand même – le « Centre Pape François » pour les pauvres.

Font partie du message aux jeunes et le texte improvisé et le texte prononcé, et les gestes de compassion du pape pour les jeunes. N’a-t-il pas commencé par prier avec la foule pour la jeune Kristel qui a perdu la vie samedi et  pour sa famille ?

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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