Christophe Levalois, rédacteur en chef du site Orthodoxie.com, affirme que « les orthodoxes vivent douloureusement cette situation » de la guerre menée par la Russie en Ukraine. « Elle est pour eux un choc, car ce sont deux pays majoritairement orthodoxes, ils se sentent d’autant plus concernés par ce qu’il s’y passe qu’ils sont des peuples frères, explique-t-il dans un entretien avec Radio Vatican publié le 13 avril 2022. Dans chaque famille russe, il y a des Ukrainiens, et dans les familles ukrainiennes, des Russes. »
Il souligne « en outre » que les Russes et les Ukrainiens « sont très présents dans les mêmes paroisses en Occident, et marchent ensemble spirituellement, c’est donc un choc très douloureux ».
Répondant à la question de savoir pourquoi le patriarche russe Kirill soutient la guerre en Ukraine, Christophe Levalois explique que le « point fondamental » dans les « relations » entre le président Poutine et le patriarche est le fait qu’ils « partagent la même vision de ce qui est appelé le monde russe, Russkiy Mir ». « L’idée du « monde russe » est qu’il existe une même civilisation à la fois slave et orthodoxe. Sans forcément de connotation ethnique. Et tous les peuples héritiers de ce fondement sont considérés comme des peuples frères. »
Or, dans les discours aussi bien du président russe que du patriarche Kirill, poursuit Levalois, « il y a une accusation: les puissances occidentales cherchent à diviser et à séparer » les « peuples frères ». Le patriarche y ajoute encore « une connotation morale » : il accuse les puissances occidentales d’avoir apporté « une modernité comprise comme étant une destruction des valeurs traditionnelles de ce monde russe ».
Selon Levalois, la guerre « risque fort de consommer la rupture entre les deux pays et entre les orthodoxes qui relevaient du patriarcat de Moscou, qui étaient ukrainiens, mais qui avaient en même temps un lien spirituel avec le patriarcat de Moscou ». Il parle d’une « dénonciation très vigoureuse de cette guerre qui a été répétée à plusieurs reprises par le métropolite Onuphre, primat de cette Église orthodoxe ukrainienne ». Le métropolite « a demandé explicitement, et à plusieurs reprises, au patriarche Kirill d’intervenir auprès des autorités politiques de la Russie pour que la paix s’établisse le plus rapidement possible ». Même s’il continue de « commémorer le patriarche de Moscou » pendant les liturgies, « on s’aperçoit que les liens se défont entre les deux Églises ». « De plus en plus d’évêques, une quinzaine sur une centaine, dit Levalois, ont demandé la réunion d’un concile pour mettre en place l’autocéphalie de cette Église. Ce serait une rupture pour des personnes qui, jusqu’au 24 février, étaient fidèles à l’Église russe malgré des circonstances parfois difficiles. » « Cette guerre entraîne un retournement qui est opposé à cette vision du monde russe », affirme le rédacteur.
« Prises de position » des Églises orthodoxes
Certains chefs d’autres Églises orthodoxes rattachées au patriarcat de Moscou ont pris « une position » « ferme » par rapport à cette guerre, explique Levalois, mais ils n’envisagent pas « pour l’instant » de se tourner vers le patriarcat de Constantinople. Le rédacteur cite l’exemple du métropolite Jean de Doubna de l’archevêché des églises orthodoxes russes en Europe occidentale qui « a pris une position très ferme ». « Il a dit qu’il ne partageait pas du tout la position du patriarche Kirill, tout en rappelant son amour de l’Église russe et de la spiritualité russe. » Le métropolite Innocent de Vilnius (Lituanie) lui aussi « a très vigoureusement critiqué la position du patriarche », cependant « il a dit que c’était son point de vue personnel, sous-entendant que ce n’était pas le point de vue de l’Église ». « Il y a eu beaucoup de prises de position extrêmement vigoureuses et extrêmement fermes de la part aussi d’universitaires, de prêtres par rapport à cette situation dramatique », ajoute Levalois.
Le rédacteur en chef du site raconte, toujours à Radio Vatican, que les paroisses orthodoxes en Occident « ont mis en place des initiatives humanitaires pour envoyer des dons, pour accueillir les personnes ». « C’est notre ethos de chrétiens, dit-il, d’essayer, malgré l’horreur des situations, d’aider les personnes, de prier pour la paix, de consoler et de renouer les fils pour qu’après cette catastrophe, à nouveau, il puisse y avoir une réconciliation. »
Médiation du Saint-Siège
Interrogé sur la médiation du Saint-Siège et du pape dans ce conflit, Levalois note que « cette médiation est surtout importante à moyen et long terme » : elle sera « très importante pour renouer tous les fils brisés et trouver les moyens pour, avec le temps, beaucoup de temps, aller vers une réconciliation ».
Selon lui, l’Église catholique « connaît très bien depuis longtemps ses interlocuteurs orthodoxes » et elle est « très bien placée pour bien comprendre les différents enjeux, et bien comprendre également les désirs et les visions des uns et des autres ». « C’est très important pour établir la paix, une paix juste et durable », conclut le rédacteur.