Le pape François donne le secret de « la plus belle préparation pour aller dans les périphéries » : « Quand nous allons annoncer Jésus-Christ à des personnes qui ne le connaissent pas, ou qui mènent une vie qui ne semble pas très morale, penser que je suis plus pécheur que lui, parce que si je ne suis pas tombé dans cette situation, c’est par la grâce de Dieu. Ceci est une condition indispensable. »
Le pape a reçu le 30 avril 2015 la Communauté de vie chrétienne (CVX) et la Ligue missionnaire des étudiants, à l’occasion de l’ouverture du Congrès national italien des deux groupes de spiritualité ignatienne, qui s’est tenu à Frascati du 30 avril au 3 mai, sur le thème « Au-delà des murs ».
Au cours de la rencontre, le pape a répondu d’abondance de cœur à quatre questions des participants. Dans cette traduction de la première réponse, il décrit la bonne attitude pour visiter les prisons : « avant tout se dire à soi-même : « Si je ne suis pas ici, comme elle, comme lui, c’est par pure grâce de Dieu »… On ne peut pas entrer dans une prison avec un esprit du style : « je viens ici te parler de Dieu parce que, excuse-moi, tu es d’une classe inférieure, tu es un pécheur… » »
Après de la personne qui souffre, le pape recommande de « ne rien dire. Prendre sa main, le caresser, pleurer avec lui, pleurer avec elle… S’approcher du cœur qui souffre. Bien souvent, nous ne pouvons rien dire, rien, parce qu’une parole serait une offense. Seulement des gestes. Les gestes qui font voir l’amour. »
Enfin, il a souligné « la différence entre la charité par habitude et « faire progresser » » : « la charité par habitude te tranquillise l’âme : « Aujourd’hui, j’ai donné à manger, maintenant je vais dormir tranquillement ». Vouloir faire progresser rend ton âme inquiète : « Je dois faire davantage… Et demain ceci, et après-demain cela… » ».
A.K.
Dialogue du pape avec les participants (1/4)
Paola – Saint-Père – ce n’est pas une façon de parler – je suis Paola. Je rends un service à la prison d’Arghillà, dans la province de Reggio Calabria. Là-bas, je rencontre beaucoup de souffrance et toutes les contradictions de notre monde. Nous vous demandons une lumière. Entre nous, dans cette ambiance, il est facile de parler d’espérance, c’est un mot qui nous est familier ; mais comment le faire avec un condamné à perpétuité ? Avec un homme défini comme un « pas-de-fin-de-peine » ? Et puis je voulais aussi vous demander comment affiner notre conscience, de sorte qu’être avec ceux qui souffrent ne soit pas pour nous un simple acte de charité, mais que cela puisse convertir notre cœur, en profondeur, et nous rende capables de lutter courageusement pour un monde plus juste ? Merci, Saint-Père parce que, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons, vous faites sentir à chacun de nous que nous sommes un enfant bien-aimé.
Pape François – Paola, j’ai écrit ici tes deux questions – il y en a deux ! Tu sais que j’aime bien dire – c’est une manière de parler, mais c’est la vérité de l’Évangile – que nous devons sortir et aller jusqu’aux périphéries. Sortir aussi pour aller à la périphérie de la transcendance divine dans la prière, mais toujours sortir. La prison est une des périphéries les plus terribles, avec le plus de souffrance. Aller dans les prisons signifie avant tout se dire à soi-même : « Si je ne suis pas ici, comme elle, comme lui, c’est par pure grâce de Dieu ». Pure grâce de Dieu. Si nous ne sommes pas tombés dans ces erreurs, ou même dans ces délits ou dans ces crimes – certains sont graves – c’est parce que le Seigneur nous a tenus par la main. On ne peut pas entrer dans une prison avec un esprit du style : « je viens ici te parler de Dieu parce que, excuse-moi, tu es d’une classe inférieure, tu es un pécheur… ». Non, non ! Je suis plus pécheur que toi, et c’est le premier pas. Dans une prison, cela peut nous demander beaucoup de courage, mais nous devons toujours le dire. Quand nous allons annoncer Jésus-Christ à des personnes qui ne le connaissent pas, ou qui mènent une vie qui ne semble pas très morale, penser que je suis plus pécheur que lui, parce que si je ne suis pas tombé dans cette situation, c’est par la grâce de Dieu. Ceci est une condition indispensable. Nous ne pouvons pas aller dans les périphéries sans avoir conscience de cela. Paul, Paul en avait conscience. Il dit de lui-même qu’il est le plus grand pécheur. Il a aussi une parole très dure sur lui-même : « Je suis un avorton » (cf. 1 Cor 15,8). Mais c’est dans la Bible, c’est la Parole de Dieu inspirée par l’Esprit-Saint ! Ce n’est pas faire une tête d’image pieuse, comme on parle des saints. Les saints se sentaient pécheurs parce qu’ils avaient compris cela ! Et la grâce du Seigneur nous soutient. Si toi, si moi, si chacun de vous n’a pas cela, il ne pourra pas recevoir le mandat de Jésus, la mission de Jésus : « Allez jusqu’aux limites du monde, à toutes les nations, dans les périphéries » (cf. Mt 28,20). Et qui sont ceux qui ont été incapables de le recevoir ? Les personnes fermées, les docteurs, ces docteurs de la loi, ces personnes fermées qui n’ont pas accepté Jésus, qui n’ont pas accepté son message de sortir. Ils avaient l’air de justes, ils avaient l’air de gens d’Église, mais Jésus leur dit quelque chose qui n’est pas très beau : « Hypocrites ! ». C’est comme cela que Jésus les appelle. Et pour nous faire comprendre comment ils sont, la photo que Jésus fait d’eux est : « Vous êtes des sépulcres blanchis » (cf. Mt 23,27). Celui qui est fermé ne peut pas recevoir, est incapable de recevoir ce courage de l’Esprit-Saint, il reste fermé et il ne peut pas aller dans la périphérie. Tu demandes au Seigneur de rester ouverte à la voix de l’Esprit, pour aller dans cette périphérie. Et puis demain, peut-être, il te demandera d’aller dans une autre, tu ne le sais pas… Mais c’est toujours le Seigneur qui nous envoie. Et dans la prison, toujours dire cela, avec toutes ces personnes qui souffrent : pourquoi cette personne souffre-t-elle et moi non ? Pourquoi cette personne ne connaît-elle pas Dieu, n’a-t-elle pas d’espérance dans la vie éternelle, pense-t-elle que tout finit ici, et moi non ? Pourquoi cette personne est-elle accusée devant les tribunaux parce qu’elle est corrompue, et celui-ci… et moi non ? Par grâce du Seigneur ! C’est la plus belle préparation pour aller dans les périphéries.
Et ensuite, tu dis : « De quelle espérance puis-je parler, avec ces personnes en prison ? ». Beaucoup sont condamnés à mort… Non, en Italie, il n’y a pas la peine de mort, mais la perpétuité… La perpétuité est une condamnation à mort parce qu’on sait qu’on ne sortira pas de là. C’est dur. Qu’est-ce que je dis à cet homme ? Qu’est-ce que je dis à cette femme ? Peut-être… ne rien dire. Prendre sa main, le caresser, pleurer avec lui, pleurer avec elle… Comme cela, avoir les mêmes sentiments que Jésus-Christ. S’approcher du cœur qui souffre. Bien souvent, nous ne pouvons rien dire, rien, parce qu’une parole serait une offense. Seulement des gestes. Les gestes qui font voir l’amour. « Tu es condamné à perpétuité, ici, mais je partage avec toi ce morceau de vie de condamné à perpétuité ». Partager par amour, rien de plus. C’est cela, semer l’amour. Et puis, tu mets ton doigt dans la plaie : « Comment affiner notre conscience, pour qu’être avec celui qui souffre ne soit pas pour nous un simple acte de charité, mais convertisse notre cœur et nous rende capables de lutter courageusement pour un monde plus juste ? ». La charité est une marche : – Tu as faim ? – Oui. – Je te donne à manger, aujourd’hui. La charité est le premier pas vers le progrès. Et cela n’est pas facile.
Comment faire progresser les enfants affamés ? Comment les faire progresser… Nous parlons d’enfants maintenant : comment faire progresser les enfants sans éducation ? Comment encourager les enfants qui ne savent pas rire et qui, si tu les caresses, te donnent une gifle parce que, chez eux, ils voient que leur papa donne des gifles à leur maman ? Comment les aider ? Comment encourager les personnes qui ont perdu leur travail, comment les accompagner et les faire progresser, avancer avec elles ? Avec celles qui ont besoin d’un travail parce que, sans travail, une personne se sent privée de sa dignité. Oui, elle va bien, tu lui donnes à manger. Mais la dignité, c’est que ce soit lui ou elle qui rapporte de quoi manger à la maison : c’est cela qui donne la dignité ! C’est faire progresser – le président en a parlé (le pape fait allusion au président de CVX qui a parlé avant lui) : tout ce que vous faites… Il y a une chose qui fait la différence entre la charité par habitude – je ne dis pas la charité pour sortir des difficultés les plus graves – entre la charité par habitude et faire progresser, c’est que la charité par habitude te tranquillise l’âme : « Aujourd’hui, j’ai donné à manger, maintenant je vais dormir tranquillement ». Vouloir faire progresser rend ton âme inquiète : « Je dois faire davantage… Et demain ceci, et après-demain cela, et qu’est-ce que je fais… » : cette saine inquiétude de l’Esprit-Saint. C’est ce qui me vient à l’esprit. Que ce ne soit pas pour nous simplement de la charité, mais que cela convertisse notre cœur. Et cette inquiétude que te donne l’Esprit-Saint pour trouver des voies pour aider, pour faire progresser nos frères et sœurs, cela t’unit à Jésus-Christ : c’est une pénitence, c’est une croix, mais c’est la joie. Une joie grande, grande, grande, que te donne l’Esprit quand tu donnes toi-même. Je ne sais pas si cela t’aide, ce que je t’ai dit… Parce que, quand on me pose des questions, le danger – et c’est aussi un danger pour le pape – c’est de croire que tu peux répondre à toutes les questions… Mais le seul qui puisse répondre à toutes les questions, c’est le Seigneur. Mon travail, c’est simplement d’écouter et de dire ce qui me vient de l’intérieur. Mais c’est très insuffisant et très peu.
Traduction de Zenit, Constance Roques