« Un souvenir de René Girard, explorateur des mécanismes de l’âme » : c’est le titre d’un hommage de L’Osservatore Romano en italien (Silvia Guidi) à l’anthropologue, philosophe et académicien français René Girard, décédé le 4 novembre, à Stanford, en Californie (Etats-Unis), où il enseignait depuis trente ans. Il était né à Avignon (France) le 25 décembre 1923.
Le quotidien du Vatican souligne le caractère concret de son observation : « Une pensée puissante d’originalité que celle de l’anthropologue et académicien de France qui a inventé — au sens étymologique de « découvrir » — de grandes théories comme le désir mimétique et le rite du bouc émissaire, né non pas de schémas spéculatifs abstraits, mais de l’observation de mécanismes intérieurs qui bougent cet animal structurellement social qu’est l’homme. »
Il souligne son réalisme : « De toute époque, l’être humain, pas dans le meilleur des mondes possibles mais dans le monde réel, où l’on souffre et meurt sous la main de ses semblables, victimes à leur tour — souvent inconscientes — d’un automatisme intérieur qui les transforme en bourreaux sûrs d’être dans le juste et d’obéir à un devoir moral. »
Observation mais aussi lecture des grands romanciers : « Ce « Darwin de l’anthropologie » comme on l’appelait en France pour ses idées littéralement proches des origines, était capable de percer l’obscurité d’un des coins les plus sombres de ce mystère que nous appelons « conscience », d’apporter une clef de lecture simple et géniale qu’il tirait beaucoup plus de la lecture attentive de chefs-d’œuvre comme ceux de Proust, Dostoïevski, Dante et Cervantès plutôt que des pages d’un manuel de philosophie. »
Il permet, continue L’Osservatore, « de regarder le christianisme d’un autre œil, dans une perspective différente que celle que nous connaissons: comme la réponse d’un Dieu miséricordieux qui désamorce la coercition répétée de la violence et sa sacralisation, et dans la personne de son Fils, accepte de se sacrifier pour libérer les hommes de la nécessité de nouveaux sacrifices ».
Il cite cette affirmation : « Le christianisme n’est pas seulement une affaire de mythologie ». Et cette explication : « Pour les grecs, la mort tragique du héros faisait en sorte que les personnes puissent revenir à leur vie de toujours en paix. Mais dans le cas des évangiles, la victime est innocente et les accusateurs sont coupables. La violence collective contre le bouc émissaire en tant qu’acte sacré et fondateur, est démasqué comme un mensonge. »
L’auteur souligne la fécondité du penseur jusqu’au bout : « René Girard a continué à travailler et écrire même après ses 90 ans. Il a été capable d’anticiper d’autres découvertes scientifiques — comme celle des neurones miroir, qui génèrent le processus psychologique de l’empathie — et de provoquer toute une histoire avec son dernier essai, Achever Clausewitz, sur le terrorisme et les fondamentalismes contemporains. »
Et de citer cette observation sans concession sur l’Europe aujourd’hui : « ‘‘La culture n’est-elle pas en train de s’évaporer en Europe et un peu partout ailleurs? J’ai bien peur que oui’’, écrit-il d’un ton à la fois amer et réaliste, dans un de ses derniers écrits. »
Avec une traduction d’Océane Le Gall