Pape Paul VI @ Wikimedia commons / Ambrosius007

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« Je préfèrerais mourir » : d’où vient la citation de Paul VI sur le célibat

« Je pense la même chose », confirme le pape François

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« Je préfèrerais mourir ou donner ma démission » plutôt que de changer la loi sur le célibat des prêtres, disait Paul VI que le pape François a cité en répondant à la presse dans l’avion Panama-Rome (28 janvier 2019). Mais d’où est tirée cette citation ?

Ne parvenant pas à trouver cette phrase dans les textes pontificaux, Mgr Leonardo Sapienza, régent de la préfecture de la Maison pontificale, « intrigué », a demandé au pape François où il l’avait lue : « Il m’a répondu qu’il l’avait entendue de différentes personnes ; mais de continuer à chercher, car cela l’intéressait lui aussi. »

Avec l’aide des archivistes de la Secrétairerie d’Etat, la source a été trouvée : un échange lors d’une rencontre privée le 10 juillet 1970 avec le cardinal Bernard Alfrink, archevêque d’Utrecht (Pays-Bas), dont la Secrétairerie d’Etat a fait la transcription, que nous traduisons ci-dessous telle quelle.

Dans ce dialogue publié par L’Osservatore Romano du 17 novembre 2020, le régent voit la « passion de la fidélité à l’Eglise » de Paul VI. Il souligne ses différentes réponses claires : « j’aurais l’impression de trahir l’Eglise » ; ce serait « une décadence dont on ne guérit plus » ; « je n’aurais pas la conscience tranquille ». Jusqu’à l’exclamation finale, que le cardinal secrétaire d’Etat d’alors, Jean-Marie Villot, demanda en marge de « ne pas diffuser ».

Ayant lu ce rapport, le pape François écrit : « Je pense la même chose que saint Paul VI, avec une seule différence : lui est saint ». Et de conclure en s’adressant à Mgr Sapienza avec humour : « et que ne vous vienne pas l’idée de vous marier ».

Rapport de l’audience 

Le Saint Père affirme avoir beaucoup pensé à l’échange de la veille ; une fois le diagnostic précis posé, la situation hollandaise semble grave ; il faut en tenir compte avec compréhension et charité ; on ne peut pas exiger une pratique parfaite quand il y a du trouble ; nous ne voulons pas être uniformes ou juridiques dans la mise en pratique, nous comprenons la nécessité d’être attentifs.
Le cardinal a dressé le cadre.
Le pape n’a rien voulu ajouter ; il aurait pu le faire.
Ce voyage avait comme sujet la question du célibat.
Alfrink se réfère à la déclaration des évêques et en particulier aux deux points suivants : les hommes mariés et la réadmission de prêtres mariés dans le ministère. Sur ce point Alfrink n’insiste pas.
Le pape ajoute : impossible.
Le cardinal dit qu’il existe une catégorie de prêtres qui se leurrent et admet qu’il s’agit d’une illusion.
Le pape ajoute : il faut que l’on soit explicites.
Le cardinal affirme ne pas avoir eu de réponse à son rapport sur le cas Grossouw; le cardinal Seper [Franjo Seper, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi de 1968 à 1981, ndlt] n’aurait pas écrit ! S’il reçoit des instructions [paroles ajoutées au crayon sur le texte dactylographié, ndlr] le cardinal Alfrink fera ce qui lui sera dit : il appellera Grossouw.
Le pape pense qu’il faut tenir bon.
Le cardinal Alfrink: mais la raison impressionnante est qu’il n’y a plus de candidats au sacerdoce ; il insiste pour le sacerdoce aux hommes mariés.
Le pape dit que cela se répandrait aussitôt : il ne faut pas le faire. Le pape a une vision, il a la responsabilité; il aurait l’impression de trahir l’Eglise.
Alfrink réagit : laisser l’Eglise sans prêtres est un grand “malheur”; c’est une situation qui arrive aux Pays-Bas, mais aussi ailleurs. Cette façon d’aider l’Eglise peut être un bien.
Le Saint Père : le problème est complexe. Dans les missions, les voix d’autorités s’opposent. Il y a quelque remède dans l’admission du diaconat d’hommes mariés. Certes il manque le ministère sacerdotal. La situation peut être étudiée collégialement. Il faut réserver un thème de ce genre à un Synode. Mais cela exige deux ans au moins.
Alfrink: c’est long, mais l’Eglise est éternelle. Nous sommes les premiers en Europe à connaître ce manque, qui existe déjà en Amérique latine. C’est la préoccupation de l’épiscopat hollandais.
Saint Père : il faudrait approfondir l’analyse du problème ; les évêques qui n’ont pas de clergé veulent appeler des hommes mariés. Mais ils introduisent un changement de concept, une décadence dont on ne guérit plus.
Alfrink: établir des critères.
Saint Père : pas convaincu.
Alfrink: ces hommes existent ; nous les connaissons et nous reconnaissons leurs qualités.
Saint Père : qu’ils fassent de l’apostolat laïc.
Alfrink: nous en avons besoin. Il faut étudier le problème. Je n’attends pas une réponse pour ce soir.
Pape: je ne voudrais pas donner d’espérance “fallacieuse” ; et rappel de la lettre du 2 février de l’année en cours.
Alfrink: mais la lettre en parle.
Saint Père : je ne pense pas que cela s’applique à la Hollande. Il faut une grande réflexion pour les situations œcuméniques.
Alfrink: certaines parties de l’Eglise universelle peuvent se trouver dans des situations analogues.
Saint Père: je n’aurais pas la conscience tranquille. Ce serait un bouleversement de la discipline de l’Eglise latine.
Alfrink: je ne suis pas si pessimiste.
Saint Père: “moi non plus. La jeunesse viendra. Vous avez eu un siècle si fécond de vocations. Amour au Christ” (en français dans le texte).
Alfrink: ne pas perdre cela.
Saint Père : on ne peut pas avoir un double clergé.
Alfrink: vous pensez qu’il n’y aurait plus de clergé célibataire ?
Saint Père: non. Nous aurions des prêtres absorbés par d’autres devoirs, famille, travail.
Alfrink: c’est vrai ; une des raisons du célibat est en effet celle-ci : la disponibilité; il expose les perspectives d’un clergé marié : une partie complètement libre, l’autre ayant une profession (temps plein – temps partiel).
Saint Père: dévouement du prêtre à sa famille ; il n’y aura plus de recrutement de prêtres célibataires.
Alfrink: étudier plus à fond.
Saint Père: la Commission théologique étudiera les questions qui seront objet du Synode de 1971, mais elles ne sont pas encore fixées. Cela sera sans doute un des points. Mais par devoir de sincérité, je ne veux pas vous donner l’espérance que l’on parvienne au clergé marié. Je ne veux pas décider tout seul, car mon opinion serait négative ; je demanderai ce que pensent les autres confrères dans l’épiscopat. Cela pourrait être pour des cas extrêmes, ce ne serait pas la règle, ni la norme. Ce serait la ruine.
Alfrink: garder le célibat et à côté chercher des vocations d’hommes matures mariés.
Saint Père : vous pensez qu’une telle loi de l’Eglise résistera ? ou que l’on dira “on peut être marié et bon prêtre ”? Je préfèrerais mourir ou donner ma démission !

Traduction de Zenit, Anne Kurian

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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