Le christianisme est « une appartenance à un peuple, à un peuple choisi gratuitement par Dieu », a souligné le pape François. En effet, « derrière Jésus », il y a « une histoire de grâce, une histoire d’élection, une histoire de promesse », qui est celle « de Dieu avec son peuple ». Et, a fait observer le pape, « dans cette histoire du peuple de Dieu, jusqu’à Jésus-Christ, il y a eu des saints, des pécheurs et beaucoup de gens ordinaires, bons, avec leurs vertus et leurs péchés ».
Dans son homélie à la messe de ce jeudi 7 mai 2020, dans la chapelle de la Maison Sainte-Marthe, le pape François a commenté la première lecture, tirée des Actes des apôtres. Paul, invité à prendre la parole dans la synagogue, annonce Jésus-Christ à partir de l’histoire du peuple d’Israël, de « l’histoire du salut. Le pape a invité à prier pour demander « cette conscience d’être un peuple », comme l’ont chanté Marie dans le Magnificat, et Zacharie dans le Benedictus.
« Si nous n’avons pas cette conscience d’appartenir à un peuple, nous serons des chrétiens idéologues », a-t-il déclaré. Car, a averti le pape, quand on perd cette mémoire « on voit apparaître les dogmatismes, les moralismes, les éthicismes, les mouvements élitistes ». Parce que « le peuple est absent », cette « fameuse ”foule” qui suivait Jésus, qui avait le flair de cette appartenance à un peuple ».
Voici notre traduction de l’homélie du pape François.
HG
Homélie du pape François
Quand Paul est invité à parler à la synagogue d’Antioche [de Pisidie] pour expliquer cette nouvelle doctrine, c’est-à-dire pour expliquer Jésus, proclamer Jésus, il commence à parler de l’histoire du salut (cf. Ac13, 13-21). Paul s’est levé et a commencé : « Le Dieu de ce peuple, le Dieu d’Israël a choisi nos pères ; il a fait grandir son peuple pendant le séjour en Égypte » (v.17)… et [il a raconté] tout le salut, l’histoire du salut. C’est ce qu’avait fait Étienne avant son martyre (cf. Ac 7,1-54) et Paul aussi, une autre fois. C’est ce que fait l’auteur de la Lettre aux Hébreux, quand il raconte l’histoire d’Abraham et de « tous nos pères » (cf. He 11, 1-39). C’est ce que nous avons chanté aujourd’hui : « L’amour du Seigneur, sans fin je le chante ; ta fidélité, je l’annonce d’âge en âge » (Ps 88 (89),2). Nous avons chanté l’histoire de David : « J’ai trouvé David, mon serviteur » (v.21). Matthieu (cf. Mt 1, 1-14) et Luc (cf. Lc 3, 23-38) le font aussi : quand ils commencent à parler de Jésus, ils prennent la généalogie de Jésus.
Qu’y a-t-il derrière Jésus ? Il y a une histoire. Une histoire de grâce, une histoire d’élection, une histoire de promesse. Le Seigneur a choisi Abraham et il est allé avec son peuple. Au commencement de la messe, dans le chant du début, nous avons dit : « Dieu, quand tu sortis à la tête de ton peuple, quand tu marchas dans le désert ». Il y a une histoire de Dieu avec son peuple. Et c’est pourquoi, quand on demande à Paul d’expliquer le pourquoi de la foi en Jésus-Christ, il ne commence pas par Jésus-Christ : il commence par l’histoire. Le christianisme est une doctrine, oui, mais pas uniquement. Ce ne sont pas seulement des choses que nous croyons, c’est une histoire qui apporte cette doctrine qu’est la promesse de Dieu, l’alliance de Dieu, être élus par Dieu.
Le christianisme n’est pas seulement une éthique. Oui, c’est vrai, il a des principes moraux, mais on n’est pas chrétien uniquement avec une vision éthique. C’est davantage. Le christianisme n’est pas une élite de gens choisis pour la vérité. Ce sentiment élitiste qui continue ensuite dans l’Église, non ? Par exemple, je suis de cette institution, j’appartiens à ce mouvement qui est mieux que le tien, à celui-ci, à cet autre… C’est un sentiment élitiste. Non, le christianisme, ce n’est pas cela : le christianisme est une appartenance à un peuple, à un peuple choisi gratuitement par Dieu. Si nous n’avons pas cette conscience d’appartenir à un peuple, nous serons des chrétiens idéologues, avec une toute petite doctrine d’affirmation de vérités, avec une éthique, avec une morale – c’est bien – ou avec une élite. Nous sentons que nous faisons partie d’un groupe choisi par Dieu – les chrétiens – et que les autres iront en enfer ou, s’ils sont sauvés, ce sera par la miséricorde de Dieu, mais ce sont les rejetés… Et ainsi de suite. Si nous n’avons pas conscience d’appartenir à un peuple, nous ne sommes pas de véritables chrétiens.
C’est pourquoi Paul explique Jésus à partir du commencement, de l’appartenance à un peuple. Et bien souvent, bien souvent, nous tombons dans un esprit partial, dogmatique, moraliste ou élitiste, non ? Le sentiment d’appartenir à l’élite est ce qui nous fait tant de mal et nous perdons ce sentiment d’appartenir au saint peuple fidèle de Dieu, que Dieu a élu en Abraham et auquel il a promis, la grande promesse, Jésus, et il l’a fait avancer avec espérance et il a fait alliance avec lui. La conscience d’être un peuple.
Je suis souvent frappé par ce passage du Deutéronome, je crois que c’est au chapitre 26, lorsqu’il dit : « Une fois par an, quand tu iras présenter tes offrandes au Seigneur, les prémices, et quand ton fils te demandera : ”Mais papa, pourquoi fais-tu cela ?”, tu ne dois pas lui dire : ”Parce que Dieu l’a ordonné”, non : ”Nous étions un peuple, nous étions comme cela et le Seigneur nous a libérés…” » (cf. Dt 26, 1-11). Raconter l’histoire, comme l’a fait ici Paul. Transmettre l’histoire de notre salut. Encore dans le Deutéronome, le Seigneur conseille : « Quand tu arriveras sur la terre que tu n’as pas conquise – c’est moi qui l’ai conquise – et que tu mangeras des fruits que tu n’as pas plantés et que tu habiteras dans des maisons que tu n’as pas construites, au moment d’apporter ton offrande… » (cf. Dt 26,1), il reprend – le fameux credo deutéronomique –: « Mon père était un Araméen nomade, qui descendit en Égypte » (Dt 26,5)… « Il y est resté pendant 400 ans, puis le Seigneur l’a libéré, l’a conduit… ». Il chante l’histoire, la mémoire du peuple, du fait d’être un peuple.
Et dans cette histoire du peuple de Dieu, jusqu’à Jésus-Christ, il y a eu des saints, des pécheurs et beaucoup de gens ordinaires, bons, avec leurs vertus et leurs péchés, mais tous. La fameuse « foule » qui suivait Jésus, qui avait le flair de cette appartenance à un peuple. Un soi-disant chrétien qui n’a pas ce flair n’est pas un véritable chrétien ; il est un peu particulier et il se sent un peu justifié sans le peuple. L’appartenance à un peuple, avoir la mémoire du peuple de Dieu. Et ils nous enseignent cela, Paul, Étienne, Paul encore une fois, les apôtres… Et le conseil de l’auteur de la Lettre aux Hébreux : « Souvenez-vous de vos anciens » (cf. He 11,2), c’est-à-dire de ceux qui nous ont précédés sur ce chemin du salut.
Si l’on me demandait : « D’après vous, quelle est la déviation des chrétiens d’aujourd’hui et de toujours ? Quelle serait, selon vous, la déviation la plus dangereuse des chrétiens ? », je dirais sans hésiter : le manque de mémoire d’appartenance à un peuple. Quand c’est absent, on voit apparaître les dogmatismes, les moralismes, les éthicismes, les mouvements élitistes. Le peuple est absent. Un peuple pécheur, toujours, nous le sommes tous, mais qui en général ne se trompe pas, qui a le flair d’être un peuple élu, qui marche derrière une promesse et qui a fait une alliance qu’il ne respecte peut-être pas, mais il le sait.
Demander au Seigneur cette conscience d’être un peuple, que la Vierge Marie a si bien chanté dans son Magnificat (cf. Lc 1, 46-56), que Zacharie a aussi bien chanté dans son Benedictus (cf. Lc 1, 67-79), des cantiques que nous prions tous les jours, matin et soir. La conscience d’être un peuple : nous sommes le saint peuple fidèle de Dieu qui, comme le disent les Conciles Vatican I, puis Vatican II, a tout entier le flair de la foi et qui est infaillible dans cette façon de croire.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat