Alors que les gouvernements, les scientifiques et les parents sont confrontés à un malaise croissant concernant l’exposition des enfants au monde numérique, deux événements survenus aux antipodes l’un de l’autre ont exacerbé le débat. L’Australie est devenue le premier pays à interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de seize ans, et une nouvelle étude de l’Académie américaine de pédiatrie met en garde contre le fait que l’utilisation précoce d’un smartphone est corrélée à une détérioration de la santé des adolescents. Ensemble, ces éléments dressent le portrait d’un monde qui se demande comment accompagner les jeunes dans un environnement façonné par les écrans, les algorithmes et une connectivité incessante.
L’interdiction totale en Australie, approuvée par le gouvernement du Premier ministre Anthony Albanese et qui entrera pleinement en vigueur en décembre, est la réponse politique la plus forte à ce jour à l’inquiétude des parents face aux dangers d’Internet. La loi reflète un sentiment national selon lequel les plateformes sociales fonctionnent moins comme des espaces de loisirs que comme des moteurs de pression sociale, des lieux où l’intimidation, les comportements prédateurs et la marchandisation de l’image de soi sont devenus trop omniprésents pour être ignorés.
Cette mesure n’est pas apparue ex nihilo. Depuis des années, les parents australiens s’inquiètent du fossé entre la maturité physique de leurs enfants et l’intensité psychologique des environnements en ligne. Le gouvernement a désormais répondu par une interdiction que certains saluent comme une mesure attendue depuis longtemps et que d’autres considèrent comme excessive, risquant de pénaliser les familles responsables. Romain Fathi, chercheur à l’Université nationale australienne de Canberra, décrit cette loi comme une expérience audacieuse dont les conséquences, bénéfiques ou non, ne se révéleront qu’avec le temps.
Les preuves scientifiques s’accumulent sur l’impact des écrans
Pendant ce temps, les preuves continuent de s’accumuler concernant les effets néfastes des smartphones sur le bien-être des adolescents. Une étude évaluée par des pairs et publiée le 1er décembre dans Pediatrics, s’appuyant sur des données provenant de plus de 10 000 enfants, a mis en évidence un lien étroit entre l’acquisition précoce d’un smartphone et les troubles du sommeil, l’obésité et les symptômes dépressifs. Les participants avaient en moyenne à peine douze ans ; la plupart avaient obtenu un appareil à l’âge de onze ans.
Les auteurs de l’étude avertissent que ces effets ne sont pas simplement le résultat de facteurs socio-économiques ou de styles parentaux inégaux. Même lorsque ces variables ont été contrôlées, les jeunes de treize ans qui venaient de recevoir leur premier smartphone ont déclaré une santé mentale plus fragile et une qualité de sommeil moindre que leurs camarades. Les plus jeunes utilisateurs étaient particulièrement vulnérables : plus l’introduction à la connectivité constante était précoce, plus les risques étaient importants.
Les chercheurs de l’hôpital pour enfants de Philadelphie, qui ont contribué au rapport, attribuent ce projet à l’inquiétude croissante des milieux médicaux concernant l’impact neurologique et psychologique de la saturation numérique sur les esprits en développement. Ran Barzilay, auteur principal de l’étude, souligne que les smartphones ne peuvent être considérés comme universellement nocifs. De nombreux adolescents en dépendent pour communiquer en toute sécurité, obtenir un soutien scolaire et s’intégrer socialement. Mais selon lui, cet appareil est devenu un facteur de santé important, que les parents doivent évaluer avec le même sérieux que l’alimentation, l’exercice physique et les habitudes de sommeil.
Barzilay exhorte les familles à aborder la question de la possession d’un smartphone non pas avec crainte, mais avec lucidité. Établir des règles familiales, contrôler l’utilisation nocturne, ajuster les filtres de contenu et encourager les activités physiques sans écran peut changer radicalement la donne. Selon lui, l’interdiction totale n’est ni réaliste ni toujours nécessaire ; en revanche, une surveillance réfléchie peut s’avérer indispensable.
Face à l’inquiétude, les institutions resserrent les règles
Les législateurs s’empressent également de réagir. Aux États-Unis, trente États et le district de Columbia limitent désormais l’utilisation des téléphones dans les écoles. Certains exigent que les élèves enferment leurs appareils dans des pochettes scellées pendant toute la journée, d’autres autorisent un accès limité pendant les repas ou les récréations en plein air. Les administrateurs scolaires signalent que l’utilisation non contrôlée des téléphones nuit à la concentration et compromet les résultats scolaires, une opinion partagée par plus de la moitié des directeurs d’écoles publiques interrogés par le Centre national des statistiques de l’éducation.
Pourtant, ces restrictions restent très controversées. Les associations de parents d’élèves font valoir que les téléphones constituent une bouée de sauvetage en cas d’urgence et un outil pratique pour coordonner les emplois du temps complexes des familles. Une importante association de parents d’élèves américaine a rapporté l’année dernière que 78 % des parents souhaitaient que leurs enfants soient joignables pendant les heures de classe, un chiffre que les législateurs ont du mal à ignorer. Lorsque les décideurs politiques tentent d’imposer des interdictions générales, les détracteurs avertissent qu’ils risquent de résoudre un problème tout en en créant un autre : rompre des lignes de communication vitales.
Derrière ces impulsions contradictoires se cache un schéma psychologique qui préoccupe les experts. Une méta-analyse de 117 études réalisée par l’American Psychological Association a révélé qu’un temps d’écran prolongé peut accentuer les difficultés émotionnelles et comportementales chez les enfants, difficultés qui, à leur tour, les conduisent à passer encore plus de temps devant les écrans comme mécanisme d’adaptation. Une fois établi, ce cycle devient de plus en plus difficile à briser.
Les communautés religieuses ont observé ces évolutions avec un intérêt particulier, reflétant leurs préoccupations de longue date concernant la dignité humaine, la vie relationnelle et la formation de la conscience dans une culture hypermédiatisée. Si les institutions religieuses ont toujours défendu le potentiel de la technologie en matière de connexion et d’éducation, elles reconnaissent également la fragilité de l’enfance et la complexité morale des environnements numériques. Le débat actuel, qui se déroule dans les assemblées législatives, les laboratoires, les écoles et les cuisines, touche non seulement aux politiques publiques, mais aussi au tissu spirituel et social qui soutient les familles.
Ce qui reste clair, c’est que les sociétés entrent dans une période charnière. L’interdiction australienne pourrait marquer le début d’une nouvelle ère réglementaire ; les recherches accumulées indiquent que l’enfance numérique doit être abordée avec beaucoup plus d’intentionnalité. Les parents, les éducateurs et les décideurs politiques sont désormais confrontés à un défi commun : protéger les jeunes sans les isoler, les guider sans les étouffer et veiller à ce que les outils destinés à enrichir la vie humaine ne la diminuent pas discrètement.
