Ce jeudi 9 janvier, dans la Salle des bénédictions du Palais apostolique, le Saint-Père a reçu en audience les membres du Corps diplomatique accrédités auprès du Saint-Siège pour la présentation des vœux de Nouvel An.
Après les paroles d’introduction du doyen du Corps diplomatique, S.E. M. Georges Poulides, ambassadeur de Chypre auprès du Saint-Siège, le pape a prononcé le discours suivant :
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Nous nous retrouvons ce matin pour un moment de rencontre qui, au-delà de son caractère institutionnel, se veut avant tout familial : un moment où la famille des peuples est symboliquement réunie par votre présence pour échanger des vœux fraternels en laissant de côté les querelles qui divisent, et en redécouvrant plutôt ce qui unit. Au début de cette année, qui revêt pour l’Église catholique une importance singulière, notre rencontre a une valeur symbolique particulière, car le sens même du Jubilé est de “faire une pause” dans la frénésie qui caractérise de plus en plus la vie quotidienne, pour se ressourcer et se nourrir de ce qui est vraiment essentiel : se redécouvrir enfants de Dieu et frères en Lui, pardonner les offenses, soutenir les faibles et les pauvres, faire reposer la terre, pratiquer la justice et retrouver l’espérance. C’est à cela que sont appelés tous ceux qui servent le bien commun et exercent cette forme élevée de charité qu’est la politique.
C’est dans cet esprit que je vous accueille en remerciant tout d’abord Son Excellence l’Ambassadeur Georges Poulides, Doyen du Corps diplomatique, pour les mots avec lesquels il s’est fait l’interprète de vos sentiments communs. Je vous souhaite à tous une chaleureuse bienvenue, reconnaissant de l’affection et de l’estime que vos peuples et vos gouvernements portent au Siège Apostolique, et que vous représentez si bien. Les visites de plus de trente chefs d’État et de Gouvernement que j’ai eu la joie de recevoir au Vatican en 2024, ainsi que la signature du Deuxième Protocole Additionnel à l’Accord entre le Saint-Siège et le Burkina Faso sur le statut juridique de l’Église Catholique au Burkina Faso et de l’Accord entre le Saint-Siège et la République Tchèque sur certaines questions juridiques, conclus l’année dernière, en témoignent. En octobre dernier, l’Accord provisoire entre le Saint-Siège et la République populaire de Chine sur la nomination des évêques a été renouvelé pour quatre ans, signe de la volonté de poursuivre un dialogue respectueux et constructif pour le bien de l’Église catholique dans le pays et de tout le peuple chinois.
Pour ma part, j’ai voulu répondre à cette affection par mes récents voyages apostoliques qui m’ont conduit à visiter des pays lointains comme l’Indonésie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Timor oriental et Singapour, et plus proches comme la Belgique et le Luxembourg et, enfin, la Corse. Bien qu’il s’agisse évidemment de réalités très différentes, chaque voyage est pour moi l’occasion de rencontrer et de dialoguer avec des peuples, des cultures et des expériences religieuses différentes, et d’apporter une parole d’encouragement et de réconfort, en particulier aux personnes les plus vulnérables. À ces voyages s’ajoutent les trois visites que j’ai effectuées en Italie : Vérone, Venise et Trieste.
Au début de cette année jubilaire, je souhaite exprimer de manière particulière ma gratitude aux Autorités italiennes, nationales et locales, pour les efforts déployés dans la préparation de Rome au Jubilé. Les travaux incessants de ces derniers mois, qui ont causé beaucoup désagréments, sont maintenant récompensés par l’amélioration de certains services et espaces publics, afin que tous, citoyens, pèlerins et touristes puissent profiter plus encore de la beauté de la Ville éternelle. Aux Romains, connus pour leur hospitalité, j’adresse une pensée particulière, en les remerciant pour la patience qu’ils ont eue ces derniers mois et pour celle qu’ils auront encore en accueillant les nombreux visiteurs qui arriveront. Je tiens également à remercier chaleureusement toutes les forces de l’ordre, la protection civile, les autorités de santé et les bénévoles qui œuvrent quotidiennement pour assurer la sécurité et le bon déroulement du Jubilé.
Chers Ambassadeurs,
Dans les paroles du prophète Isaïe, que le Seigneur Jésus fait siennes dans la synagogue de Nazareth au début de sa vie publique selon le récit que nous a transmis l’évangéliste Luc (4, 16-21), nous trouvons résumé non seulement le mystère du Noël que nous venons de célébrer, mais aussi celui du Jubilé que nous sommes en train de vivre. Le Christ est venu « annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, proclamer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Is 61,1-2a).
Nous commençons malheureusement cette année alors que le monde se trouve déchiré par de nombreux conflits, grands et petits, plus ou moins connus, ainsi que par la reprise d’actes odieux de terreur, comme ceux qui se sont produits récemment à Magdebourg en Allemagne et à la Nouvelle- Orléans, aux États-Unis.
Dans nombre de pays nous constatons également que les contextes sociaux et politiques, exacerbés par des contrastes croissants, sont de plus en plus nombreux. Nous sommes confrontés à des sociétés de plus en plus polarisées dans lesquelles couve un sentiment général de peur et de méfiance à l’égard du prochain et de l’avenir. Ceci est aggravé par la création continue et la diffusion de fausses nouvelles qui non seulement déforment la réalité des faits, mais finissent aussi par déformer les consciences en suscitant de perceptions erronées de la réalité, et en créant un climat de suspicion qui attise la haine, porte atteinte à la sécurité des personnes et compromet la cohabitation civile et la stabilité de nations entières. Les attentats contre le Président du Gouvernement de la République Slovaque et contre le Président élu des États-Unis d’Amérique en sont des exemples tragiques.
Un tel climat d’insécurité incite à ériger de nouvelles barrières et à tracer de nouvelles frontières, alors que d’autres, comme celle qui divise l’île de Chypre depuis plus de cinquante ans et celle qui coupe en deux la péninsule coréenne depuis plus de soixante-dix ans, restent fermement en place, séparant des familles et coupant des maisons et des villes. Les frontières modernes prétendent être des lignes de démarcation identitaires où la diversité est un motif de méfiance, de défiance et de peur : « Ce qu’il y a derrière n’inspire pas confiance, car c’est une réalité inconnue qui n’est pas familière, qui n’a pas droit de cité. Par conséquent, de nouvelles barrières sont créées pour l’auto-préservation de sorte que le monde cesse d’exister et que seul existe ‘‘mon’’ monde ; au point que beaucoup de personnes cessent d’être considérées comme des êtres humains ayant une dignité inaliénable, et deviennent seulement ‘‘eux’’ ».[1] Or, paradoxalement, le terme frontière indique non pas un lieu qui sépare, mais plutôt qui unit, “où l’on se retrouve ensemble” (cum-finis), où l’on peut rencontrer l’autre, le connaître, dialoguer avec lui.
Mon souhait pour cette nouvelle année est que le Jubilé soit aussi pour tous, chrétiens et non- chrétiens, une occasion de repenser les relations qui nous lient, en tant qu’êtres humains et communautés politiques ; de dépasser la logique de l’affrontement et d’embrasser au contraire la logique de la rencontre, afin que l’avenir ne nous trouve pas tels des vagabonds désespérés, mais des pèlerins de l’espérance, des personnes et des communautés en chemin engagées dans la construction d’un avenir de paix.
D’autre part, face à la menace de plus en plus concrète d’une guerre mondiale, la vocation de la diplomatie est de favoriser le dialogue avec tous, y compris avec les interlocuteurs considérés comme les plus “gênants” ou que l’on ne considère pas comme légitimes pour négocier. C’est le seul moyen de briser les chaînes de la haine et de la vengeance qui emprisonnent, et de désamorcer les dispositifs de l’égoïsme, de l’orgueil et de la fierté humaine à l’origine de toutes les volontés belliqueuses qui détruisent.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
A la lumière de ces brèves considérations, je voudrais tracer avec vous ce matin, à partir des paroles du prophète Isaïe, les traits d’une diplomatie de l’espérance de laquelle nous sommes tous appelés à devenir les hérauts, afin que les sombres nuages de la guerre soient balayés par un vent renouvelé de paix. Plus généralement, je voudrais souligner quelques responsabilités que tout responsable politique devrait garder à l’esprit dans l’exercice de ses responsabilités et qui devraient être orientées pour la construction du bien commun et le développement intégral de la personne humaine.
Apporter la bonne nouvelle aux pauvres
À toutes les époques et en tous lieux, l’homme a toujours été attiré par l’idée de pouvoir être autosuffisant, de pouvoir se suffire à lui-même, d’être l’artisan de son propre destin. Chaque fois qu’il se laisse dominer par cette présomption, il se voit obligé, par des événements et des circonstances extérieures, de découvrir qu’il est faible et impuissant, pauvre et nécessiteux, affligé par des malheurs spirituels et matériels. En d’autres termes, il découvre qu’il est misérable et qu’il a besoin de quelqu’un pour le sortir de sa misère.
Les misères de notre temps sont nombreuses. Jamais l’humanité n’a connu tant de progrès, de développement et de richesses, et jamais peut-être elle ne s’est tant retrouvée seule et perdue, préférant souvent les animaux domestiques aux enfants. Il y a un besoin urgent de recevoir une bonne nouvelle. Une bonne nouvelle que, dans la perspective chrétienne, Dieu nous offre la nuit de Noël ! Cependant, chacun – même ceux qui ne sont pas croyants – peut devenir porteur d’une bonne nouvelle d’espérance et de vérité.
Par ailleurs, l’être humain est doté d’une soif innée de vérité. Cette quête est une dimension fondamentale de la condition humaine et chaque personne porte en elle une nostalgie de la vérité objective ainsi qu’un désir inextinguible de connaissance. Il en a toujours été ainsi mais, à notre époque, la négation de vérités évidentes semble avoir le dessus. Certains se méfient des arguments rationnels qu’ils considèrent comme des outils entre les mains d’un pouvoir occulte, tandis que d’autres croient posséder de manière univoque la vérité qu’ils se sont eux-mêmes construite, s’exonérant ainsi de la confrontation et du dialogue avec ceux qui pensent différemment. Les uns et les autres ont tendance à se créer leur propre “vérité” au mépris de l’objectivité du vrai. Ces tendances peuvent être renforcées par les moyens modernes de communication et par l’intelligence artificielle, utilisés abusivement comme moyens de manipulation des consciences à des fins économiques, politiques et idéologiques.
Le progrès scientifique moderne, notamment dans le domaine de l’informatique et de la communication, apporte des avantages incontestables pour l’humanité. Ils nous permettent de simplifier de nombreux aspects de la vie quotidienne, de rester en contact avec nos proches même s’ils sont loin physiquement, de nous tenir informés et d’accroître nos connaissances. Cependant, les limites et les pièges ne doivent pas être tus, car ils contribuent souvent à la polarisation, au rétrécissement des perspectives mentales, à la simplification de la réalité, au risque d’abus, à l’anxiété et, paradoxalement, à l’isolement, en particulier par l’utilisation des réseaux sociaux et des jeux en ligne.
L’essor de l’intelligence artificielle amplifie les inquiétudes concernant les droits de propriété intellectuelle, la sécurité de l’emploi pour des millions de personnes, le respect de la vie privée et la protection de l’environnement contre les déchets électroniques (e-waste). Presqu’aucun recoin du monde n’a été épargné par la vaste transformation culturelle provoquée par les progrès rapides de la technologie, et il est de plus en plus évident qu’un alignement sur des intérêts commerciaux engendre une culture enracinée dans le consumérisme.
Ce déséquilibre menace de renverser l’ordre des valeurs inhérentes à la création de relations, à l’éducation et à la transmission des mœurs sociales, alors que les parents, les proches et les éducateurs doivent rester les principaux canaux de transmission de la culture ; les Gouvernements devraient se limiter à les soutenir dans leurs responsabilités éducatives. Dans cette optique, l’éducation, en tant qu’alphabétisation des médias, vise à offrir des outils essentiels pour développer les capacités de l’esprit critique, afin de doter les jeunes des moyens nécessaires à leur croissance personnelle et à leur participation active à l’avenir de leur société.
Une diplomatie de l’espérance est donc avant tout une diplomatie de la vérité. Là où le lien entre réalité, vérité et connaissance fait défaut, l’humanité ne peut plus se parler ni se comprendre car les fondements d’un langage commun ancré dans la réalité des choses, et donc universellement compréhensible, font défaut. Le but du langage est la communication qui ne réussit que dans la mesure où les mots sont précis et où le sens des termes est généralement accepté. Le récit biblique de la Tour de Babel montre ce qui se passe lorsque chacun ne parle que “sa” langue.
La communication, le dialogue et l’engagement pour le bien commun requièrent la bonne foi et l’adhésion à un langage commun. Ceci est particulièrement important dans la sphère diplomatique, surtout dans les contextes multilatéraux. L’impact et le produit de chaque mot, des déclarations, des résolutions et, en général, des textes négociés, dépendent de cette condition. Il est un fait que le multilatéralisme n’est fort et efficace que s’il se concentre sur les questions traitées et utilise un langage simple, clair et convenu.
Par conséquent, la tentative d’instrumentaliser les documents multilatéraux – en changeant la signification des termes ou en réinterprétant unilatéralement le contenu des traités relatifs aux droits de l’homme – afin de promouvoir des idéologies qui divisent, qui foulent aux pieds les valeurs et la foi des peuples, est particulièrement inquiétante. En fait, il s’agit d’une véritable colonisation idéologique qui, selon des programmes soigneusement planifiés, tente d’éradiquer les traditions, l’histoire et les attaches religieuses des peuples. Il s’agit d’une mentalité qui, présumant avoir surmonté ce qu’elle considère comme “les pages sombres de l’histoire”, donne libre cours à la culture de l’effacement. Elle ne tolère pas les différences et se concentre sur les droits des individus, négligeant les devoirs envers les autres, en particulier les plus faibles et les plus fragiles.[2] Dans ce contexte, il est inacceptable, par exemple, de parler d’un soi-disant “droit à l’avortement” qui contredit les droits de l’homme, en particulier le droit à la vie. Toute vie doit être protégée, à tout moment, de la conception à la mort naturelle, car aucun enfant n’est une erreur ou coupable d’exister, de même qu’aucune personne âgée ou malade ne peut être privée d’espérance ni rejetée.
Cette approche est particulièrement lourde de conséquences dans le cadre de plusieurs instances multilatérales. Je pense en particulier à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, dont le Saint-Siège est un membre fondateur ayant participé activement aux négociations qui, il y a un demi-siècle, ont abouti à la Déclaration d’Helsinki de 1975. Il est plus que jamais urgent de retrouver “l’esprit d’Helsinki” grâce auquel des États opposés, considérés comme “ennemis”, ont réussi à créer un espace de rencontre, et de ne pas abandonner le dialogue en tant qu’instrument de résolution des conflits.
Au contraire, les institutions multilatérales, dont la plupart ont vu le jour à la fin de la seconde guerre mondiale il y a quatre-vingts ans, ne semblent plus en mesure de garantir la paix et la stabilité, la lutte contre la faim et pour le développement pour lesquelles elles ont été créées, ni de répondre de manière réellement efficace aux nouveaux défis du XXIème siècle, tels que les questions environnementales, de santé publique, culturelles et sociales, ainsi que les défis posés par l’intelligence artificielle. Nombre d’entre elles doivent être réformées en gardant à l’esprit que toute réforme doit être fondée sur les principes de subsidiarité et de solidarité, et dans le respect d’une souveraineté paritaire des États, tandis qu’il est triste de constater qu’existe un risque de “monadologie” et de fragmentation en clubs partageant les mêmes idées qui ne laissent entrer que ceux qui pensent comme eux.
Néanmoins, les signes encourageants n’ont pas manqué et ne manquent pas là où se trouve la bonne volonté de se rencontrer. Je pense au traité de paix et d’amitié entre l’Argentine et le Chili, signé dans la Cité du Vatican le 29 novembre 1984, qui, grâce à la médiation du Saint-Siège et à la bonne volonté des Parties, a mis fin au différend concernant le Canal de Beagle. Cela démontre que la paix et l’amitié sont possibles lorsque deux membres de la Communauté internationale renoncent à l’usage de la force et s’engagent solennellement à respecter les règles du droit international et à promouvoir la coopération bilatérale. Plus récemment, je pense aux signes positifs d’une reprise des négociations pour revenir à la plateforme d’accord sur le nucléaire iranien, dans le but d’assurer un monde plus sûr pour tous.
Panser les plaies des cœurs brisés
Une diplomatie de l’espérance est aussi une diplomatie du pardon, capable, dans une époque de conflits ouverts ou latents, de retisser les relations déchirées par la haine et la violence, et de panser les plaies des cœurs brisés de trop nombreuses victimes. Mon souhait pour cette année 2025 est que l’ensemble de la Communauté internationale s’efforce avant tout de mettre fin à la guerre qui ensanglante depuis près de trois ans l’Ukraine torturée et qui a fait de très nombreuses victimes, dont beaucoup de civils. Des signes encourageants sont apparus à l’horizon, mais il reste encore beaucoup à faire pour construire les conditions d’une paix juste et durable et pour panser les plaies infligées par l’agression.
De même, je renouvelle mon appel à un cessez-le-feu et à la libération des otages israéliens à Gaza, où la situation humanitaire est très grave et déplorable, et je demande que la population palestinienne reçoive toutes les aides nécessaires. Mon souhait est que les Israéliens et les Palestiniens puissent reconstruire les ponts du dialogue et de la confiance mutuelle, en commençant par les plus petits, afin que les générations futures puissent vivre côte à côte dans deux États, en paix et en sécurité, et que Jérusalem soit la “ville de la rencontre” où chrétiens, juifs et musulmans cohabitent en harmonie et dans le respect. En juin dernier, dans les jardins du Vatican, nous avons rappelé ensemble le dixième anniversaire de l’Invocation pour la Paix en Terre sainte qui, le 8 juin 2014 en présence du Président de l’État d’Israël de l’époque, Shimon Peres, du Président de l’État de Palestine, Mahmoud Abbas, et du Patriarche Bartholomée I. Cette rencontre avait témoigné du fait que le dialogue est toujours possible et que nous ne pouvons pas céder à l’idée que l’inimitié et la haine entre les peuples auront le dessus.
Il faut cependant aussi relever que la guerre est alimentée par la prolifération continue d’armes toujours plus sophistiquées et destructrices. Je réitère ce matin l’appel pour qu’« avec les ressources financières consacrées aux armes et à d’autres dépenses militaires, soit créé un Fonds mondial en vue d’éradiquer une fois pour toutes la faim, et pour le développement des pays les plus pauvres de sorte que leurs habitants ne recourent pas à des solutions violentes ou trompeuses ni n’aient besoin de quitter leurs pays en quête d’une vie plus digne ».[3]
La guerre est toujours un échec ! L’implication de civils, en particulier d’enfants, et la destruction des infrastructures ne sont pas seulement une défaite mais font que le seul adversaire à gagner soit le mal. Nous ne pouvons pas accepter tant soit peu que la population civile soit bombardée ou que les infrastructures nécessaires à sa survie soient attaquées. Nous ne pouvons accepter de voir des enfants mourir de froid parce que les hôpitaux ont été détruits ou que le réseau énergétique d’un pays a été touché.
L’ensemble de la communauté internationale semble s’accorder sur le respect du droit international humanitaire, cependant, sa non mise en œuvre pleine et concrète pose question. Si nous avons oublié ce qui est à la base, les fondements mêmes de notre existence, du caractère sacré de la vie, des principes qui animent le monde, comment pouvons-nous penser que ce droit soit effectif ? Il est nécessaire de redécouvrir ces valeurs, et que celle-ci s’incarnent à leur tour dans les préceptes de la conscience publique pour que le principe d’humanité soit vraiment à la base de l’agir. Je souhaite donc que cette année jubilaire soit un temps propice où la Communauté internationale s’engage activement afin que les droits inviolables de l’homme ne soient pas sacrifiés à des exigences militaires.
Ceci étant dit, je demande que l’on continue à œuvrer pour que l’inobservance du droit international humanitaire ne soit plus une possibilité. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour faire en sorte que ce qui a été discuté également lors de la 34ème Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui s’est tenue en octobre dernier à Genève, soit effectif. Le 75ème anniversaire des Conventions de Genève vient d’être célébré, et il reste impératif que les normes et principes sur lesquels elles se fondent trouvent une application sur les trop nombreux théâtres de guerre encore ouverts.
Parmi ceux-ci, je pense aux différents conflits qui persistent sur le continent africain, notamment au Soudan, au Sahel, dans la Corne de l’Afrique, au Mozambique où une grave crise politique est en cours, et dans les régions orientales de la République Démocratique du Congo où la population est affectée par de grandes carences sanitaires et humanitaires, parfois aggravées par le fléau du terrorisme, entraînant des pertes en vies humaines et le déplacement de millions de personnes. À cela s’ajoutent les effets dévastateurs des inondations et de la sécheresse qui aggravent les conditions déjà précaires dans diverses régions d’Afrique.
Mais la perspective d’une diplomatie du pardon n’est pas seulement appelée à guérir les conflits internationaux ou régionaux. Elle investit chacun de la responsabilité à devenir un artisan de paix afin de construire des sociétés véritablement pacifiques dans lesquelles les légitimes différences politiques, mais aussi sociales, culturelles, ethniques et religieuses, constituent une richesse et non une source de haine et de division.
Ma pensée va en particulier au Myanmar où la population souffre beaucoup à cause des continuels affrontements armés qui obligent les gens à fuir leurs maisons et à vivre dans la peur.
Il est également douloureux de constater qu’il existe encore, notamment sur le continent américain, des contextes de conflits politiques et sociaux très vifs. Je pense à Haïti où je souhaite que l’on puisse dès que possible prendre les mesures nécessaires pour rétablir l’ordre démocratique et mettre fin à la violence. Je pense également au Venezuela et à la grave crise politique qu’il traverse. Celle-ci ne pourra être surmontée que par une adhésion sincère aux valeurs de vérité, de justice et de liberté, par le respect de la vie, de la dignité et des droits de chaque personne – y compris de celles qui ont été arrêtées à la suite des événements de ces derniers mois -, par le refus de toute espèce de violence et, espérons-le, par l’ouverture de négociations de bonne foi visant le bien commun du pays. Je pense à la Bolivie qui traverse une préoccupante situation politique, sociale et économique ; et aussi à la Colombie où j’ai confiance que l’aide de chacun permettra de surmonter les multiples conflits qui déchirent le pays depuis trop longtemps. Je pense enfin au Nicaragua où le Saint-Siège, toujours disponible pour un dialogue respectueux et constructif, suit avec inquiétude les mesures prises à l’encontre des personnes et des institutions de l’Église et espère que la liberté religieuse et les autres droits fondamentaux seront garantis à tous de manière adéquate.
En effet, il n’y a pas de paix véritable si la liberté religieuse n’est pas également garantie, ce qui implique le respect de la conscience des individus et la possibilité de manifester publiquement sa foi et l’appartenance à une communauté. En ce sens, les expressions grandissantes de l’antisémitisme, que je condamne fermement, et qui touchent un nombre croissant de communautés juives dans le monde, sont très préoccupantes.
Je ne peux passer sous silence les nombreuses persécutions contre diverses communautés chrétiennes souvent perpétrées par des groupes terroristes, notamment en Afrique et en Asie, ni les formes plus “délicates” de limitation de la liberté religieuse qu’on rencontre parfois aussi en Europe où se développent des normes juridiques et des pratiques administratives qui « limitent ou annulent en fait les droits que les Constitutions reconnaissent formellement aux croyants individuels et aux groupes religieux ».[4] À cet égard, je voudrais rappeler que la liberté religieuse constitue « un acquis de civilisation politique et juridique ».[5] En effet, lorsqu’elle « est reconnue, la dignité de la personne humaine est respectée à sa racine même, l’ethos et les institutions des peuples se consolident ».[6]
Les chrétiens peuvent et veulent contribuer activement à l’édification des sociétés dans lesquelles ils vivent. Même là où ils ne sont pas majoritaires dans la société, ils sont des citoyens à part entière, en particulier sur les terres où ils vivent depuis des temps immémoriaux. Je pense en particulier à la Syrie qui, après des années de guerre et de dévastation, semble en voie de stabilisation. Je souhaite que l’intégrité territoriale, l’unité du peuple syrien et les réformes constitutionnelles nécessaires ne seront compromises par personne et que la Communauté internationale aidera la Syrie à être une terre de coexistence pacifique où tous les Syriens, y compris la composante chrétienne, pourront se sentir citoyens à part entière et participer au bien commun de cette chère nation.
De même, je pense au bien aimé Liban, en espérant que le pays, avec l’aide décisive de la composante chrétienne, puisse avoir la stabilité institutionnelle nécessaire pour faire face à la grave situation économique et sociale, reconstruire le sud du pays touché par la guerre, et mettre pleinement en œuvre la Constitution et les Accords de Taëf. Que tous les Libanais œuvrent afin que le visage du Pays des Cèdre ne soit jamais défiguré par la division, et qu’il resplendisse toujours du “vivre ensemble” restant un Pays-message de coexistence et de paix.
Proclamer la liberté des esclaves
Deux mille ans de christianisme ont contribué à éliminer l’esclavage de tous les systèmes juridiques. Néanmoins, de multiples formes d’esclavage subsistent, à commencer par l’esclavage du travail, peu reconnu mais largement pratiqué. Trop de personnes vivent esclaves de leur travail, de moyen transformé en fin de leur existence. Elles sont souvent asservies à des conditions inhumaines en termes de sécurité, d’horaires et de salaires. Des efforts doivent être faits pour créer des conditions dignes de travail et pour que le travail, en soi noble et ennoblissant, ne devienne pas un obstacle à l’épanouissement et à la croissance de la personne humaine. En même temps, il est nécessaire de veiller à ce qu’il existe de véritables possibilités de travail, en particulier là où le chômage généralisé encourage le travail au noir et, par conséquent, la criminalité.
Il y a aussi l’horrible esclavage de la toxicomanie qui touche spécialement les jeunes. Il est inacceptable de voir combien de vies, de familles et de pays sont ruinés par ce fléau qui semble de plus en plus répandu, notamment en raison de l’apparition de drogues de synthèse souvent mortelles, rendues largement accessibles par l’ignoble phénomène du narcotrafic.
Parmi les autres esclavages de notre époque, celui pratiqué par les trafiquants d’êtres humains est l’un des plus terribles : des gens sans scrupules exploitent les besoins de milliers de personnes qui fuient la guerre, la famine, la persécution ou les effets du changement climatique, à la recherche d’un lieu sûr où vivre. Une diplomatie de l’espérance est une diplomatie de la liberté qui nécessite l’engagement commun de la Communauté internationale pour éliminer ce commerce misérable.
En même temps, nous devons nous occuper des victimes de ces trafics, qui sont les migrants eux-mêmes contraints de parcourir des milliers de kilomètres à pied, en Amérique centrale comme dans le désert du Sahara, ou bien de traverser la mer Méditerranée ou la Manche sur des embarcations de fortune surchargées, pour finalement être rejetés ou se retrouver clandestins sur une terre étrangère. Nous oublions facilement qu’il s’agit de personnes qui doivent être accueillies, protégées, promues et intégrées.[7]
Je constate au contraire avec beaucoup de tristesse que les migrations sont toujours entourées d’un sombre nuage de méfiance, au lieu d’être perçues comme une source de croissance. Les personnes en déplacement sont considérées seulement comme un problème à gérer. Or elles ne peuvent être assimilées à des objets à ranger ; elles ont une dignité et des ressources à offrir aux autres ; elles ont leurs vécus, leurs besoins, leurs peurs, leurs aspirations, leurs rêves, leurs compétences, leurs talents. Ce n’est que dans cette perspective que l’on pourra progresser dans la lutte contre un phénomène qui exige une contribution conjointe de tous les pays, notamment par la création de voies régulières sûres.
Il reste également essentiel de s’attaquer aux causes profondes des déplacements, afin que quitter sa maison pour en chercher une autre soit un choix et non une “obligation de survie”. Dans cette optique, je considère qu’il est crucial de s’engager ensemble dans la coopération au développement pour aider à éradiquer certaines des causes qui poussent les gens à migrer.
Proclamer la libération des prisonniers
Enfin, la diplomatie de l’espérance est une diplomatie de la justice sans laquelle il ne peut pas y avoir de paix. L’année jubilaire est un moment propice pour pratiquer la justice, remettre les dettes et commuer les peines des prisonniers. Aucune dette ne permet à quiconque, pas même à l’État, d’exiger la vie d’autrui. À cet égard, je réitère mon appel à éliminer la peine de mort dans toutes les nations [8] car, parmi les instruments capables de réparer la justice, elle ne trouve aujourd’hui aucune justification.
D’autre part, nous ne pouvons pas oublier que, dans un certain sens, nous sommes tous prisonniers parce que nous sommes tous débiteurs. Nous le sommes envers Dieu, envers les autres, et aussi envers notre Terre bien-aimée de laquelle nous tirons notre nourriture quotidienne. Comme je l’ai rappelé dans mon Message annuel à l’occasion de la Journée Mondiale de la Paix, « chacun doit se sentir d’une certaine manière responsable de la dévastation à laquelle notre maison commune est soumise ».[9] De plus en plus, la nature semble se rebeller contre l’action de l’homme par des manifestations extrêmes de sa puissance. En témoignent les inondations dévastatrices en Europe centrale et en Espagne, ainsi que les cyclones qui ont frappé Madagascar au printemps et, juste avant Noël, le département français de Mayotte et le Mozambique.
Nous ne pouvons pas rester indifférents à cela ! Nous n’en avons pas le droit ! Au contraire, nous avons le devoir de déployer un maximum d’efforts pour sauvegarder notre maison commune, celle de ceux qui l’habitent et qui l’habiteront.
Lors de la COP 29 à Bakou, des décisions ont été prises afin de garantir davantage de moyens financiers pour l’action climatique. J’espère qu’elles permettront de partager les ressources en faveur des nombreux pays vulnérables à la crise climatique et sur lesquels pèse le fardeau d’une dette économique oppressante. Dans cette optique, je m’adresse aux nations les plus aisées pour qu’elles annulent les dettes des pays qui ne pourront jamais les rembourser. Il ne s’agit pas seulement d’un acte de solidarité ou de magnanimité, mais surtout d’un acte de justice. S’ajoute également une nouvelle forme d’iniquité dont nous sommes de plus en plus conscients aujourd’hui : la “dette écologique”, en particulier entre le Nord et le Sud.[10]
En fonction également de cette dette écologique il est important de trouver des moyens efficaces pour convertir la dette extérieure des pays pauvres en politiques et programmes efficaces, créatifs et responsables de développement humain intégral. Le Saint-Siège est prêt à accompagner ce processus sachant qu’il n’y a pas de frontières ni de barrières, politiques ou sociales, derrière lesquelles on puisse se cacher.[11]
Chers Ambassadeurs,
Dans la perspective chrétienne, le Jubilé est un temps de grâce. J’aimerais que cette année 2025 soit vraiment une année de grâce, riche en vérité, en pardon, en liberté, en justice et en paix ! « L’espérance est contenue dans le cœur de chaque personne comme un désir et une attente du bien » [12], et chacun est appelé à la faire fleurir autour de soi. C’est le vœu le plus cordial que je forme pour vous tous, chers Ambassadeurs, pour vos familles, pour les gouvernants et les peuples que vous représentez : que l’espérance fleurisse dans nos cœurs et que notre époque trouve la paix qu’elle désire tant.
Merci.
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[1] Lett. enc. Fratelli Tutti (3 octobre 2020), n. 27.
[2] Cf. Rencontre avec les Autorités Civiles, les Représentants des peuples autochtones et le Corps diplomatique, Citadellede Québec, 27 juillet 2022.
[3] Lett. enc. Fratelli Tutti, n. 262 : Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 51.
[4] Jean Paul II, Message pour la 21ème Journée Mondiale de la Paix, 1er janvier 1988, n. 2.
[5] Benoît XVI, Message pour la 44ème Journée Mondiale de la Paix, 1er janvier 2011, n. 5.
[6] Ibid.
[7] Cf. Discours aux participants au Forum International “Migrations et paix”, 21 février 2017.
[8] Cf. Message pour la 58ème Journée Mondiale de la Paix, 1er janvier 2025, n. 11
[9] Ibid, n. 4.
[10] Cf. Bulle Spes non confundit (9 mai 2024), n. 16 : Lett. enc. Laudato si’ (24 mai 2015), n. 51.
[11] Cf. Laudato si’, n. 52.
[12] Bulle Spes non confundit (9 mai 2024), n. 1.