On pourrait imaginer que si Dieu est tout-puissant, il se comporte comme un tyran. C’est d’ailleurs ce que semble dire le passage de l’évangile selon saint Luc, au chapitre 17:
07 « Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : “Viens vite prendre place à table” ? 08 Ne lui dira-t-il pas plutôt : “Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour” ? 09 Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? 10 De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir.” » (Lc 17,7-10)
D’emblée, ce texte peut paraître difficile : Dieu est notre maître et nous sommes ses esclaves – le grec original emploie bien le terme « esclave » –. Notre sensibilité et notre concept de liberté font qu’il est difficile de nous comparer à des esclaves, fût-ce esclaves de Dieu. Mais aux premiers siècles de notre ère, dans un contexte romanisé, il était courant d’avoir des esclaves. Parmi les premiers chrétiens, il y avait bien des esclaves. Même Paul évoque le sort d’un certain Onésime, esclave, dans un billet qu’il envoie à Philémon, son maître.
Pourtant, Paul n’abolit pas la condition d’esclave en évoquant son frère bien-aimé qu’est Onésime. Il est esclave. Paul le renvoie à son maître, car telle est sa destinée.
10 « J’ai quelque chose à te demander pour Onésime, mon enfant à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ. 11 Cet Onésime (dont le nom signifie « avantageux ») a été, pour toi, inutile à un certain moment, mais il est maintenant bien utile pour toi comme pour moi. 12 Je te le renvoie, lui qui est comme mon cœur. 13 Je l’aurais volontiers gardé auprès de moi, pour qu’il me rende des services en ton nom, à moi qui suis en prison à cause de l’Évangile. 14 Mais je n’ai rien voulu faire sans ton accord, pour que tu accomplisses ce qui est bien, non par contrainte mais volontiers. 15 S’il a été éloigné de toi pendant quelque temps, c’est peut-être pour que tu le retrouves définitivement, 16 non plus comme un esclave, mais, mieux qu’un esclave, comme un frère bien-aimé : il l’est vraiment pour moi, combien plus le sera-t-il pour toi, aussi bien humainement que dans le Seigneur. 17 Si donc tu estimes que je suis en communion avec toi, accueille-le comme si c’était moi. 18 S’il t’a fait du tort ou s’il te doit quelque chose, mets cela sur mon compte. 19 Moi, Paul, j’écris ces mots de ma propre main: c’est moi qui te rembourserai. Je n’ajouterai pas que toi aussi, tu as une dette envers moi, et cette dette, c’est toi-même. » (Lettre de Paul à Philémon)
L’amitié que Paul a pour Onésime n’efface pas ce qu’il est : un esclave. Mais on aurait tort de ne considérer que l’aspect négatif. Car, avant d’évoquer la privation de liberté, la notion d’esclave évoque plutôt celle de l’appartenance. L’esclave « appartient » à un maître. C’est cela qu’exprime Paul dans sa lettre à Philémon.
Revenons à l’évangile. La question est avant tout celle de savoir à quel maître chacun d’entre nous appartient. Qui est le maître que je sers? Dans l’évangile de Luc, le maître n’est pas un homme, mais bien le Seigneur. Il est toutefois un maître exigent, comme les maîtres humains qui n’exonèrent pas leur esclave de préparer le souper, même après une dure journée de labeur. L’image de l’esclavage, employée ici par Jésus, renvoie à l’exigence avec laquelle nous sommes appelés à nous mettre au service de l’Évangile. Comme n’importe quel esclave dévoué à sa tâche, ainsi devons-nous être dévoués à celle qui nous revient en tant que baptisés.
Cela devrait suffire à faire notre joie et notre satisfaction. Tel est l’enseignement de cette brève parole de Jésus qui nous invite à nous réjouir d’appartenir à un tel maître, lui, notre Créateur et Sauveur, lui l’origine et la fin de notre vie.