Illustration de couverture de « Leviathan » par Thomas Hobbes © File:Leviathan frontispiece cropped British Library.jpg - Wikimedia Commons

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Une continuité enracinée dans l’histoire, Vatican II relu 60 ans plus tard

Dignitatis humanae, une déclaration sur la liberté religieuse, 4e partie

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L’appel du Concile au respect de la liberté religieuse n’entend pas se mesurer avec les sagesses et les philosophies du monde. Cette liberté s’enracine en effet dans la Révélation divine. Il en va de la dignité de la personne humaine, atrocement profanée peu de décennies avant, précisément en raison de philosophies d’un monde devenu matérialiste et nihiliste. L’histoire de l’Église nous prévient des hérésies christologiques et ecclésiologiques toujours latentes, dont les conséquences ultimes conduisent à ces tragédies.

La liberté religieuse à la lumière de la révélation

paragraphe 9 La doctrine de la liberté religieuse a ses racines dans la Révélation.

Ce paragraphe confirme, s’il en était encore besoin, que la liberté de religion est demandée pour les catholiques, et pour tous les hommes, par un Concile catholique. La mention du Vatican (comme lieu de réunion de l’assemblée) et de la Révélation divine doit inciter les chrétiens à « lui être saintement fidèles. » Rien donc qui ne laisse entendre que ces mêmes catholiques auraient la liberté de changer de religion.

Mieux, sur la question des contraintes extérieures, le Concile a l’honnêteté de dire que la « Révélation n’affirme pas explicitement (« expresse » en latin) le droit à l’immunité de toute contrainte extérieure dans le domaine religieux … elle montre (simplement) en quel respect le Christ a tenu la liberté de l’homme dans l’accomplissement de son devoir de croire à la parole de Dieu, et elle enseigne de quel esprit doivent se pénétrer dans leur action les disciples d’un tel Maître. » Traduire par « explicitement » est à nouveau trop faible pour rendre « expresse » qui à l’origine veut dire « en pressant fortement ». Cela signifie que la contrainte en matière religieuse n’a pas la première place dans la Révélation biblique. Elle a existé mais elle ne s’est pas maintenue. Et il est important de le dire, ne serait-ce que pour sensibiliser les parents à leur devoir de transmission.

Pourquoi ? Le Concile rattache cette Révélation à l’Incarnation du Verbe de Dieu. En faisant mention du Christ, il rappelle son respect de la liberté de choix qu’il laisse à ses interlocuteurs. Ce qui ne l’empêchait pas de leur parler sévèrement de leur incrédulité et de les avertir de ses conséquences. Jésus se montra toujours partisan d’une application miséricordieuse de la Loi, sans pour autant faire des concessions au péché. Et dans l’obéissance aux commandements, ils se montrera en réalité plus exigeant que les pharisiens. Il donnera en effet autant d’importance à l’intention qu’à l’acte. Par ailleurs, la Tradition enseignait les trois usages de la Loi divine. (Cette doctrine classique distinguait l’usage citoyen, pécheur et chrétien, ndlr). Et l’usage civique était s’imposé dans la société chrétienne. L’interdiction du meurtre, du vol, de l’adultère valait pour tous, on devait y obéir de gré ou de force !

C’est dans cette perspective que saint Paul, dans l’épître aux Romains, prescrit au chapitre 13 l’obéissance au magistrat. Celui-ci a le droit et même le devoir d’user de coercition. Dans une société chrétienne, la justice et la miséricorde doivent être présentes. L’une ne saurait exclure l’autre. Il faut simplement savoir que le devoir d’état oblige un chrétien, selon sa situation dans la société, à donner la priorité à l’une plutôt qu’à l’autre. Ce sera le cas pour un juge par exemple, dont le premier souci doit se porter sur le respect et l’application de la loi. Or, bien souvent, les chrétiens aujourd’hui mélangent tout. Et en cela, ils ne rendent pas service à la société et faussent leur témoignage de foi. Il est parfaitement possible d’être le fidèle témoin du pardon de Dieu et de travailler à ce qu’une société punisse sévèrement des crimes. Surtout quand ils sont particulièrement abominables. C’est la forme de la miséricorde pour les victimes et leur entourage.

Liberté et acte de foi

Le §10 nous ramène à ce qui relève spécifiquement de l’Église en matière de liberté religieuse. La réponse de foi donnée par l’homme à Dieu doit être volontaire et cette caractéristique se réfère à un enseignement constant des Pères. Une note renvoie à Lactance (apologète chrétien, 240-320) et à son ouvrage sur les Institutions divines, livre V. Nous citons cet extrait du paragraphe 8 : « Il ne dépend que de vous d’être gens de bien : pourquoi nous faites-vous de vains portraits de la justice, et pourquoi souhaitez-vous qu’elle descende du ciel dans l’équipage où vous vous la figurez ? Elle est devant vos yeux ; vous la pouvez mettre dans votre cœur…Vous prétendez rétablir la justice sur la terre pendant que l’on y adore des idoles, cela ne peut se faire en aucune sorte ». L’idolâtrie constitue donc l’obstacle qui empêche l’homme qui empêche l’homme d’obéir à Dieu.

Et au paragraphe 19, il écrit à propos des païens « qu’ils ne savent pas combien c’est un vice énorme d’adorer quelque autre chose que Dieu qui a créé le ciel et la terre, qui a produit l’homme, qui a formé son corps, et qui lui a inspiré la vie. Que si un esclave qui s’enfuit de la maison de son maître passe pour un perfide, et est jugé digne des fers … si un fils qui abandonne son père et qui méprise ses commandements, mérite d’être privé de sa succession comme un simple impie … celui qui refuse à Dieu le service qu’il lui doit n’est-il pas infiniment plus coupable, puisqu’il offense du même crime et son maître et son père ? … De quel supplice est digne celui qui abandonne ce père et ce maître, si ce n’est du feu éternel, qui a été préparé aux anges rebelles et dont les prophètes menacent les impies ? ».

Le texte conciliaire renvoie aussi à saint Augustin et à ses lettres contre Pétilien, évêque donatiste de Cirta qui soutenait « le Saint-Esprit n’a pu venir à vous, puisque vous n’étiez point purifiés par le baptême de la pénitence, vous n’avez reçu que l’eau d’un traditeur, et cette eau vous oblige à une pénitence rigoureuse. » (Lettres contre Pétilien, livre Il, §23) Et Augustin de rétorquer que la grâce du baptême ne dépend pas de la dignité du ministre (même s’il a failli en étant un « traditeur »). Jésus Christ est le seul dispensateur de la grâce du baptême. Mais c’est dans ses homélies sur saint Jean et son traité sur la grâce que l’évêque d’Hippone exprime le mieux la pensée catholique sur la nécessité de la puissance de la grâce pour croire. Il y expose une doctrine du libre arbitre qui prend totalement en compte les conséquences du péché originel. « Quelle est la première grâce que nous avons reçue ? La foi. En marchant dans la foi, nous marchons dans la grâce. Par quoi en effet l’avons-nous méritée ? En vertu de quels mérites antérieurs ? … Si donc tu étais digne de supplices et s’il est venu, lui, non pour punir les péchés, mais pour pardonner les péchés, c’est une grâce qui t’a été faite, ce n’est pas un salaire qui t’a été versé. » (Tract III, 8)

Le problème de la liberté

Se pose alors le problème de la liberté : comment Dieu peut-il nous attirer en nous laissant notre libre arbitre ? « Que disons-nous là frères ? Si nous sommes tirés vers le Christ, c’est donc malgré nous que nous croyons, c’est une contrainte par conséquent qui s’exerce, ce n’est pas la volonté qui se meut. Quelqu’un peut entrer dans l’église sans le vouloir, il peut s’approcher de l’autel sans le vouloir, il peut recevoir le sacrement sans le vouloir, il ne peut croire que s’il le veut … C’est donc par le cœur que l’on croit dans le Christ, ce que personne évidemment ne fait contre son gré, mais d’autre part, celui qui est tiré semble bien être forcé contre sa volonté : comment résoudre cette difficulté : ‘Personne ne vient à moi si le Père qui m’a envoyé ne le tire ?’ S’il est tiré, objectera-t-on, il vient contre son gré ; s’il vient contre son gré, il ne croit pas ; mais s’il ne croit pas, il ne vient pas non plus, car ce n’est pas avec nos pieds que nous courons au Christ, mais en croyant, ce n’est pas par un mouvement de notre corps que nous approchons de lui, mais par la volonté de notre cœur. » (Tract XXVI, 2-3)

Il faut donc se garder d’un raisonnement trop logique devant le mystère de l’Amour de Dieu. Celui-ci s’exprime, ne l’oublions pas, à son niveau le plus haut dans un autre mystère, celui de la Trinité et manifeste l’union des trois personnes. Et ce même saint Augustin écrira dans son traité sur la Trinité, travail ô combien abouti et détaillé « tres quid ? Nescio ! » (Trois quoi ? Je ne sais pas !)

Il en va de même pour les « limites » de la liberté humaine dans la réponse à l’appel de Dieu, manifestation d’une grâce toute-puissante, sans laquelle nul ne peut être sauvé ! La forme de libre-arbitre subsistant dans l’homme pécheur, tout comme l’appel divin qu’il reçoit, proviennent de l’amour divin dans lequel agissent à égalité miséricorde et justice. Le tout constituant un mystère que la croix de Golgotha représente le mieux. Dans le temps de la révélation, et nous y sommes tous inclus, cette croix n’a pas été perçue d’abord comme glorieuse ! C’est la vision du Ressuscité qui la transfigure. L’apparition de cette vision ne relève que de la liberté de Dieu qui appelle les hommes à croie à la liberté, parce qu’il est Amour.

Manière d’agir du Christ et des apôtres

Le §11 est d’une grande importance car il va proposer en exemple la manière d’agir du Christ et de ses apôtres. C’est donc à partir de Celui qui accomplit toute l’Écriture Sainte que le Concile nous demande de réfléchir sur la liberté religieuse. Toutefois, il se réfère en premier lieu à la doctrine de la Création. Car, et ceci est capital, Vatican II n’évoque la dignité de la personne humaine que parce qu’elle a été créée par Dieu. Il ne laisse aucune place pour je ne sais quelle dignité humaine sans Dieu, ce qui relèverait d’un « humanisme douteux ». Ce qui ouvrirait la porte aux totalitarismes que nous avons connus au vingtième siècle issus de la philosophie des « Lumières » !

Il appartient donc à l’homme, en tant que roi de la création, image de Dieu, d’être doué d’un libre arbitre. La chute, racontée au chapitre 3 de la Genèse, en constitue la preuve. La désobéissance de l’homme et de la femme relève du choix libre « d’être comme Dieu ». C’est ainsi qu’ils succombent à la tentation. Tout ce qui provenait de l’image divine est altéré et déformé, mais non supprimé. Ils sont chassés du jardin d’Eden et perdent la possibilité de manger des fruits de l’arbre de vie. Ils vont vivre tout de même, mais pas éternellement. Ils se sont éloignés de Dieu, qui bien que les ayant chassés, ne les abandonnera pas. Les vêtements qu’il leur fabrique, l’arche de Noé, le don de la Loi à Moïse … constituent ces signes de sollicitude qui vont culminer en Jésus Christ. Notre texte conciliaire le dit clairement à propos de Jésus-Christ « en qui Dieu s’est manifesté pleinement ».

On se réfère ici à nouveau à l’Incarnation, qui est en vérité autant une nouvelle création qu’une réparation. La Vierge Marie n’est pas créée « ex nihilo », elle est conçue selon les lois naturelles de la création. Elle est de la même humanité que nous, mais en fonction du rôle suréminent qu’elle va jouer dans la Rédemption, elle va échapper à la malédiction de la faute originel au moment même de sa conception. En donnant chair humaine au Verbe éternel de Dieu, elle participe au sacrifice de la croix en y voyant exécuté le fruit de ses entrailles. La croix devient alors source de grâce qui engage pleinement le libre arbitre que Marie aura en commun avec son Fils : un libre arbitre complet, non blessé par le péché. Leurs résistances à l’un comme à l’autre à la tentation seront donc toujours pleinement méritoires, comme leur oui à la volonté de Dieu. Mais c’est Jésus qui mourra seul en croix et ressuscitera. Marie vivra plus intensément que d’autres la proximité de ces événements prodigieux de l’histoire du salut, cependant sans égalité avec son Fils.

Appel des disciples

En appelant ses disciples, Jésus manifestera certes de l’autorité, mais n’exercera nulle contrainte. Il leur permettra de lui poser des questions ou encore de faire des remarques quelquefois incongrues. Bien que sachant tout ce qu’allait être le comportement de ses élus, il laissera Judas le trahir et Pierre le renier ! Le texte rappelle aussi que les miracles ne survenaient pas pour forcer les consciences, mais simplement pour confirmer dans la foi ceux qui croyaient. Apparaissant ressuscité, il ne s’est manifesté ni à Caïphe ni à Ponce-Pilate.

On objectera peut-être : « Et Saul sur le chemin de Damas ? » Mais l’hostilité du futur saint Paul n’était pas de même nature que celle de Caïphe, nourrie par l’incrédulité. Son acharnement à pourchasser et à persécuter les chrétiens fut très probablement le fruit d’un intérêt grandissant pour eux. Lui qui cherchait à combattre les adeptes du Christ de toutes forces, portait un intérêt certainement produit par l’enseignement du grand Gamaliel dont il se proclamait le fidèle disciple. Les Actes (5, 34-39) relatent comment Gamaliel, petit fils du célèbre Hillel, intervient en faveur des apôtres. Il émettait l’hypothèse que Jésus peut avoir été suscité par Dieu.

Jésus n’a forcé personne, il incarne aussi la patience de Dieu, que le texte conciliaire illustre par la parabole de l’ivraie (Mat 13, 30 et 40-42). Le texte rend aussi attentif au soin que Jésus a pris pour qu’on ne le confonde pas avec un messie politique. On en avait vu tant depuis le début de l’occupation romaine. Il marque sa préférence pour les titres de « Fils de l’homme » et de « Serviteur de Dieu », renvoyant à des appellations religieuses tirées des prophètes Daniel et Isaïe. Il recommande de payer l’impôt à César et donc de respecter les autorités existantes. Il se laisse arrêter, interdisant qu’on le défende par l’épée et c’est en mourant sur une croix qu’il remporta sa victoire.

Ses apôtres l’ont imité n’utilisant jamais la force pour convertir, ils ont recommandé eux aussi l’obéissance aux autorités, sauf quand celles-ci prétendaient les empêcher d’obéir à Dieu. « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. » (Actes 5,29)

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P. Michel Viot

Père Michel Viot. Maîtrise en Théologie. Ancien élève de l’Ecole Pratique dès Hautes Études. Sciences religieuses.

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