Détail de l’œuvre de Rembrandt « Le retour du fils prodigue »

Détail de l’œuvre de Rembrandt « Le retour du fils prodigue »

Le pardon n’a pas de limite, par Mgr Follo

« La gratuité est un des noyaux de l’Évangile »

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Rite Romain

Is 56,1.6-7; Ps 66; Rm 11,13-15.29-32; Mt 15,21-28

1) Une mesure démesurée

L’Evangile de ce dimanche reporte ce que Pierre demanda au Christ sur le nombre de fois où il devait pardonner à son prochain. Le Messie, le porteur de l’évangile de la miséricorde répondit qu’il devait pardonner « non pas sept fois, mais soixante-dix fois sept » (Mt 18,21s), c’est-à-dire toujours. En effet le nombre « soixante-dix » par « sept » est symbolique et ne signifie pas une grande quantité déterminée, mais une quantité infinie, démesurée.

En disant qu’il faut pardonner « soixante-dix fois sept », Jésus enseigne que le pardon chrétien n’a pas de limites et que, seul, le pardon sans limites ressemble au pardon de Dieu.
Ce pardon divin est la raison et la mesure du pardon fraternel. C’est parce que Dieu le Père nous a fait objet d’un pardon sans mesures, que nous devons pardonner sans mesure.

Le pardon fraternel est la conséquence du pardon paternel de Dieu à invoquer sur ceux qui nous offensent, en priant : « Notre Père qui est au cieux … pardonne nous nos offenses s comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » et en nous appropriant la prière du Christ sur la Croix lorsqu’en s’adressant au Père, il supplia : « Père pardonne-leur parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23.34).

« Pardonne-leur » est la parole prononcée par le Christ à qui on a fait tant de mal, de façon injuste et sans mesures. Le Messie mourant pardonne et ouvre l’espace de l’amour infini à celui qui l’offense et qui le tue. Il prononce cette parole du cœur qui révèle un Dieu infiniment bon : le Dieu du pardon et de la miséricorde.

Comment pouvons-nous, nous pauvres êtres limités, mettre en pratique cet amour illimité ?
En premier lieu, en mendiant la miséricorde de Dieu, parce que nous ne pouvons donner ce que nous n’avons pas. Le Patron, celui dont parle le Christ dans la parabole d’aujourd’hui, se laisse attendrir par la supplication du serviteur et lui efface toute sa dette, en révélant un amour non seulement patient mais sans limites dans sa miséricorde. L’erreur à éviter, après avoir reçu ce pardon, est de ne pas reconnaître qu’en ce pardon il y a son amour pour nous et que cet amour grandit en nous si nous le partageons.

En deuxième lieu, en prenant conscience que l’accueil du pardon de Dieu se concrétise en sachant pardonner aux autres et qu’en pardonnant à celui qui nous a offensé, nous aimons le prochain comme nous-même et nous réalisons non seulement son bonheur et sa joie mais également notre bonheur et notre joie.

En troisième lieu, il faut prendre conscience que le pardon n’est pas seulement un acte que nous sommes appelés à faire un nombre infini de fois, mais que c’est une façon d’être qui doit influencer toute notre vie quotidienne pendant toute notre existence. C’est une dimension « religieuse » au vrai sens du terme parce qu’elle exprime notre communion avec Dieu dont l’amour transforme. « Pardonner ce n’est pas ignorer mais transformer :  Dieu doit entrer dans ce monde et opposer à l’océan de l’injustice un plus grand océan du bien et de l’amour » (Benoît XVI, 24 juillet 2005).

Un grand exemple, humain de ce pardon nous vient de la Vierge Marie qui souvent est invoquée comme Mère de Miséricorde. Aux pieds de son Fils crucifié, Marie nous pardonna, acceptant comme ses fils les hommes par lesquels le Christ avait été mis sur la Croix et par lesquels il mourrait. Avec ce « oui » (fiat) elle devint pour toujours, sans limites, notre Mère, Mère du pardon, comme auparavant elle se mit pleinement à disposition de Dieu et devint la mère de Jésus, le visage humain de la divine Miséricorde. Marie est ainsi devenue et reste pour toujours la « Mère de la Miséricorde » modèle et exemple de pardon.

              2) Pardon et gratuité

              La parabole d’aujourd’hui nous donne aussi un autre enseignement : le pardon ne doit pas seulement être pour toujours mais il doit aussi être gratuit car il ne faut pas séparer le rapport avec Dieu de celui avec le prochain. En effet le serviteur des paraboles de l’Evangile d’aujourd’hui est condamné parce qu’il garde le Pardon pour lui et qu’il ne permet pas que le pardon reçu devienne joie et pardon pour les autres aussi.

L’erreur de ce serviteur est de séparer le rapport avec Dieu du rapport avec le prochain. C’est en fait un rapport unique : comme il y a un rapport de gratuité, d’amour accueillant entre Dieu et les hommes, ainsi il doit y être la même chose entre l’homme et ses frères.

Je pense que la parabole veut souligner que l’amour de Dieu envers nous n’est pas avant tout circulaire, réciproque mais expansif et oblatif. Il est gratuit. Dieu ne se laisse pas enfermer dans l’étroite réciprocité. Donc, celui qui croit en Dieu et parle de Dieu doit élargir l’espace du pardon qui réalise la vraie justice.

L’important est de comprendre et vivre le fait que « la justice de Dieu est son pardon (Misericordiae vultus, 20). Le pape François écrit : « La miséricorde n’est pas contraire à la justice mais elle exprime le comportement de Dieu envers le pécheur en lui offrant une possibilité ultérieure de se convertir et de croire » (Id, 21). Nous devons être Eglise « en sortie » regardant les autres avec les yeux de Jésus : des yeux d’amour et non d’exclusion, certains que Dieu est tout et seul Amour. Parce qu’il est Amour, il est accueil et dialogue. Dans sa relation avec nous, hommes pécheurs, Il est compassion, grâce et pardon : miséricorde.

Les vierges consacrées sont particulièrement appelées à être des témoins de cette miséricorde du Seigneur dans laquelle nous sommes tous sauvés.

L’existence de ces femmes est une vive expérience du pardon de Dieu parce qu’elles vivent dans la conscience d’être des personnes sauvées, d’être « grandes » lorsqu’elles se reconnaissent « petites », de se sentir renouvelées et enveloppées par la sainteté de Dieu lorsqu’elles reconnaissent leur propre péché.

La vie consacrée reste donc une école privilégiée de la « componction du cœur », de la reconnaissance humble de sa propre misère, mais est aussi une école de la confiance en la miséricorde de Dieu, en son amour qu’il n’abandonne jamais.

En effet, plus nous sommes près de Dieu, plus nous sommes utiles aux autres.
Avec le don total d’elles-mêmes, les vierges consacrées expérimentent la grâce, la miséricorde et le pardon de Dieu non seulement pour elles-mêmes mais aussi pour les frères parce que leur vocation est de porter dans le cœur et dans la prière les angoisses et les attentes des hommes, particulièrement de ceux qui sont loin de Dieu.

La virginité est le fruit d’une amitié prolongée et mûrie avec Jésus par l’écoute constante de sa parole, dans le dialogue de la prière, dans la rencontre eucharistique. Pour cela les vierges consacrées sont des témoins crédibles de la foi. Elles doivent être des personnes qui vivent pour le Christ, avec le Christ et dans le Christ en transformant leur propre vie selon les plus grandes exigences de la gratuité.

La gratuité est un des noyaux de l’évangile. Tout est Grâce. « Personne » ne peut rien prétendre, tout est donné.

Comme Paul, il faut dire : « Qui donc t’a mis à part ? As-tu quelque chose sans l’avoir reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi te vanter comme si tu ne l’avais pas reçu ? » (1 Cor 4,7). La gratuité n’est pas de faire les choses sans raison mais de les faire avec la plus grande de motivations, qui est la foi qui devient active par la charité (cf. Gal 5,6)

 

Lecture patristique

Saint Augustin (354 – 430)
Sermon 83, 2.4

PL 38, 515-516.

Le Seigneur a raconté pour notre instruction la parabole du débiteur impitoyable, et, comme il ne veut pas que nous périssions, il y a joint cet avertissement : C’est ainsi que votre Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère de tout son cœur (Mt 18,35). Vous le voyez, mes frères, la parole est claire, l’avertissement utile ; ils réclament notre obéissance, ce moyen de salut très efficace, qui nous rend capables d’observer le commandement.

Tout homme, il est vrai, est débiteur de Dieu, et tout homme a un frère qui est son débiteur. Y a-t-il quelqu’un qui ne doive rien à Dieu, sinon celui en qui on ne peut trouver de péché ? Et quel est l’homme qui n’a pas un frère pour débiteur, sinon celui que personne n’a offensé ? Pourrait-on, à ton avis, en trouver un seul dans le genre humain, qui ne soit comptable de quelque manquement envers un frère ?

Donc, tout homme est débiteur envers quelqu’un, et il a, lui aussi, un débiteur. Dès lors, le Dieu juste t’a donné une règle à suivre envers ton débiteur, règle qu’il appliquera lui-même envers le sien. Il existe, en effet, deux œuvres de miséricorde qui peuvent nous libérer. Le Seigneur lui-même les a formulées brièvement dans son évangile : Remettez, et il vous sera remis ; donnez, et l’on vous donnera (Lc 6,37-38). La première a pour objet le pardon, et la seconde, la charité.

Le Seigneur parle du pardon. Or, tu désires obtenir le pardon de tes péchés, et tu as aussi des péchés à pardonner à quelqu’un. Il en va de même pour la charité : un mendiant te demande l’aumône et tu es le mendiant de Dieu, car nous sommes tous, quand nous le prions, les mendiants de Dieu. Nous nous tenons, ou plutôt nous nous prosternons devant la porte de notre Père de famille ; nous le supplions en nous lamentant, désireux de recevoir de lui une grâce, et cette grâce, c’est Dieu même. Que te demande le mendiant ? Du pain. Et toi, que demandes-tu à Dieu ? Simplement le Christ, qui dit : Je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel (Jn 6,51). Vous voulez être pardonnes ? Pardonnez. Remettez, et il vous sera remis. Vous voulez recevoir ? Donnez, et l’on vous donnera.

Oui, vraiment, si nous considérons nos péchés et passons en revue les fautes que nous avons commises par action, par la vue, par l’ouïe, par la pensée, par tant de mouvements de notre cœur, j’ignore si nous pourrions nous endormir sans sentir peser tout le poids de notre dette. Voilà pourquoi chaque jour nous présentons à Dieu des demandes, chaque jour nos prières vont frapper à ses oreilles, chaque jour nous nous prosternons en disant : Remets-nous nos dettes comme nous les avons remises nous-mêmes à ceux qui nous devaient (Mt 6,12).

Quelles dettes veux-tu te faire remettre ? Toutes, ou une partie ? Tu vas répondre « Toutes. » Fais-donc de même pour ton débiteur. C’est la règle que tu formules et la condition que tu poses. Tu les rappelles lorsque tu pries en accord avec ce pacte et cette alliance, et que tu dis : Remets-nous nos dettes comme nous les avons remises nous-mêmes à ceux qui nous devaient.

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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