Mosaïque du Bon Pasteur à Ravenne © Wikimedia Commons / Meister des Mausoleums der Galla Placidia in Ravenna

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Jésus, le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis, par Mgr Follo

L’homme, passion et tragédie de Dieu

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IVème dimanche de Pâques – Année A – 30 avril 2023

Ac 2, 14a 36-41 ; Ps 22 ; 1 P 2, 20b-25 ; Jn 10, 1-10

 

1°) Le bon Pasteur qui donne sa vie

De nos jours, surtout dans nos sociétés urbaines et industrialisées, la figure du pasteur est peu connue et peu appréciée. L’idée même d’être une brebis ne plaît pas à l’homme contemporain qui fait coïncider liberté avec autonomie et qui s’offense d’être appelé brebis.

En revanche, dans l’Ancien Testament la figure du pasteur est déjà très importante. On pense par exemple à ce qu’écrit le prophète Ézéchiel en parlant au nom de Dieu :  » C’est moi qui ferai paître mes brebis et c’est moi qui les ferai reposer. Oracle du Seigneur Dieu. Je chercherai celle qui est perdue, je ramènerai celle qui est égarée, je panserai celle qui est blessée, je fortifierai celle qui est malade. Celle qui est grasse et bien portante, je veillerai sur elle. Je les ferai paître avec justice » (Ez 34, 15-16). La réalisation de cet oracle, nous la voyons dans le Christ, le bon Pasteur. En effet dans l’Évangile, le pasteur évoque une figure douce et émouvante et chacun de nous voudrait bien être la brebis perdue (Lc 15, 3-7) que le bon Pasteur met sur ses épaules après l’avoir cherchée avec détermination.

Mais la figure du pasteur n’est pas seulement importante dans la Bible. Même dans l’Église d’aujourd’hui cette figure maintient de son attrait et de son efficacité. Ce que Dieu a promis à son ancien peuple : « Je vous donnerai des pasteurs selon mon cœur » (Jr 3, 15) est expérimenté aujourd’hui tous les jours dans l’Église, nouveau peuple de Dieu. L’Église sait que Jésus lui-même est l’accomplissement vivant, suprême et définitif de la promesse de Dieu : « Je suis le bon Pasteur » (Jn 10, 11) ; lui « le grand Pasteur des brebis » (He 13, 20) a confié aux apôtres et à leurs successeurs le ministère de paître le troupeau de Dieu (cf Jn 21, 15… ; 1 P 5, 2). Grâce aux prêtres, le peuple de Dieu peut vivre cette obéissance fondamentale qui est au cœur même de son existence et de sa mission dans l’histoire : l’obéissance au commandement de Jésus : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28,19) et « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19 ; cf 1 Cor 11, 24), c’est à dire le commandement d’annoncer son Évangile et de renouveler tous les jours le sacrifice de son corps donné et de son sang versé pour la vie du monde.

Prions donc le Seigneur d’envoyer de bons pasteurs pour la moisson abondante du monde et exigeons des pasteurs d’aujourd’hui qu’ils prennent toujours le Christ comme modèle, lui qui est le bon Pasteur. Qu’ils offrent leur vie pour leurs brebis et qu’ils exposent leur vie avec courage pour les défendre. Qu’ils aiment leurs brebis comme le Christ afin qu’ils puissent ainsi les conduire à la communion avec lui.

La bonté du pasteur se voit dans le don qu’il fait de lui-même pour que les brebis, qui lui ont été confiées, vivent et aient la vie en abondance et aussi dans la connaissance qu’il a de ses brebis. Il les connaît une à une, avec un grand amour et un soin personnel et continu pour chacune d’entre elles. Les brebis « sentent » cela et savent combien leur pasteur est bon. « Connaître » est un verbe qui bibliquement est dans la sémantique de l’amour : on connaît par amour et seulement dans l’amour. Comme une maman – dans l’obscurité de la nuit- « sent » que son enfant est malade, même s’il ne se plaint pas, et se lève pour le soigner, ainsi l’enfant « sent » la mère qui le soigne. L’amour vrai est la connaissance parfaite.

A l’exemple du bon Pasteur, les pasteurs et les brebis vivent et grandissent dans l’appartenance réciproque pour grandir dans l’appartenance au Christ.

 

2°) L’appartenance au Christ

Nous ne sommes pas le jouet de forces obscures ni d’un destin inexorable : nous appartenons au Seigneur et il connaît chacun de nous pour qui il a donné sa vie et pour qui il est ressuscité. Si nous écoutons sa voix, si nous croyons en lui, nous entrons en possession de la vie même du Seigneur. La foi en effet n’est pas une conception du monde parmi tant d’autres. Avec elle, nous accomplissons un passage décisif : le passage de la mort à la vie. « En vérité, en vérité je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé a la vie éternelle et ne vient pas en jugement, mais il est passé de la vie à la mort » (Jn 5, 24) a dit Jésus. Avec la foi, la personne humaine abandonne la contrée de mort de sa vie et entre dans la terre des vivants.

L’Église a toujours demandé à ses pasteurs de méditer constamment cette page : de se réfléchir en elle. Pourquoi ? Tout pasteur est simplement un « signe » du Pasteur. Alors méditons longuement ensemble cette page et cherchons à la vivre en vivant la communion entre nous afin qu’ainsi notre connaissance du Christ s’approfondisse et notre appartenance au Christ grandisse.

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, le rapport de chacun d’entre nous avec le seigneur ressuscité est indiqué en premier lieu comme un rapport d’« appartenance » : les brebis n’appartiennent pas au voleur mais au pasteur, oui. L’expérience de l’appartenance est profonde : elle est pour la personne humaine ce que les racines sont pour un arbre.

Mais en quoi consiste cette appartenance ? En premier lieu en un rapport de réciproque connaissance : « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent » (Jn 10, 14). Cette réciproque connaissance est assez importante pour que Jésus la rattache à la connaissance réciproque qui existe entre lui et son Père. En quoi consiste-t-elle ? De notre part, elle consiste dans l’accueil conscient de la parole de Jésus (« ils écouteront ma voix »), en persévérant dans cette parole et en se laissant comme pénétrer par elle. En somme, « connaître Jésus bon Pasteur » signifie adhérer à lui et être guidé par lui dans notre existence par une grande et profonde familiarité avec lui. La connaissance de Jésus de notre part implique aussi et présuppose la connaissance de la part de Jésus de notre personne. Connaître et être connu se réalisent donc comme une réciproque appartenance et disponibilité l’un à l’égard de l’autre. Cette relation de communion entre Jésus et nous ses fidèles est mise en rapport avec le don que lui-même fait de sa vie : « Et j’offre ma vie pour mes brebis ». Il se présente lui comme le bon Pasteur parce qu’il expose, dispose et dépose sa vie en faveur de ses brebis. C’est à dire qu’il accepte d’être le chef parce qu’il est le serviteur de tous, réellement jusqu’à donner sa vie afin que nous trouvions en lui lumière et liberté.

 

3°) Les vierges consacrées et le Pasteur

En méditant les paroles du Christ qui se présente comme pasteur, c’est à dire comme quelqu’un qui veille jour et nuit pour protéger ses agneaux des voleurs et des bandits et qui donne sa vie par amour pour eux, on en vient à se demander si nous réussirons vraiment un jour à pénétrer dans le cœur d’un Dieu pareil et à comprendre à quel point il nous aime. Dans le Christ nous voyons que ce n’est pas tant l’homme qui cherche Dieu que Dieu qui cherche l’homme. L’homme est la passion et la tragédie de Dieu qui descend de son ciel pour le sauver et pour y retourner avec lui.

Comment répondre à cet amour infini qui nous demande d’aimer avec un amour plus fort que la mort ? Avec des actes d’amour fréquents, en récitant par exemple cet « acte de charité » :

« Mon Dieu, je t’aime de tout mon cœur et plus que tout, parce que tu es infiniment bon et que tu nous ouvres les portes du bonheur éternel ; par amour pour toi, j’aime mon prochain comme moi-même et je pardonne les offenses reçues. Seigneur, que je t’aime par-dessus tout. » C’est ainsi que saint Jean de la Croix explique l’acte d’amour : « L’acte d’amour de Dieu est l’action la plus simple, la plus facile et la plus rapide que l’on puisse faire. Il suffit de dire avec simplicité : « Mon Dieu, je t’aime. » C’est très facile d’accomplir un acte d’amour de Dieu. On peut le faire à tout moment, en toutes circonstances, pendant le travail, dans la foule, dans n’importe quelle ambiance, en un instant. Dieu est toujours présent, à l’écoute, en attente affectueuse de cueillir du cœur de sa créature cette expression d’amour. L’acte d’amour n’est pas un acte sentimental : c’est un acte de la volonté élevée infiniment au-dessus de la sensibilité et qui est aussi imperceptible aux sens. Il suffit que l’âme dise avec la simplicité du cœur « Mon Dieu, je t’aime » (Saint Jean de la Croix).

Les vierges consacrées nous servent ici de modèle : avec le don total et exclusif de leur vie au Christ, elles collaborent avec le bon Pasteur en partageant sa mission de guider les hommes vers la sainteté et en vivant un amour qui ne s’éteint pas avec la mort mais qui devient éternel au Paradis. Leur service pour la pastoral n’est donc pas de faire mais d’être, en témoignant leur appartenance au Christ et ce devoir devient leur mission. A cet égard, il est important de rappeler que leur rite de consécration prévoit parmi la remise de quatre signes, la remise de ces deux « signes » suivants qui expriment leur nouveau statut de consacrée. Comme symbole nuptial, on utilise l’anneau qui figure pour la première fois dans le Pontifical Romain-Germanique vers l’an 950 et la remise du Livre de la Prière de l’Église, un usage connu au XVème siècle et encore aujourd’hui actuellement, parce que comme l’enseigne le Concile Vatican II, la Liturgie des Heures doit devenir la prière de tous les chrétiens, pour prier au nom de l’Église en se servant de la Prière de l’Église. Une prière nuptiale et ecclésiale dont les piliers sont la Bible, vue comme le livre de l’Époux, l’Eucharistie, « sacrement nuptial » et la Liturgie des Heures, « voix de l’épouse à l’Époux » (cf rituel de consécration des vierges N° 26 et 27)

 

Lecture Patristique

Saint Augustin d’Hippone

Sermon 137

Le Bon Pasteur

 

ANALYSE. – On serait porté à croire, surtout en lisant la fin de ce discours, que plusieurs s’étaient plaints de la sévérité des avertissements donnés par saint Augustin à son peuple. L’explication de l’Évangile du bon Pasteur lui fournissant l’occasion d’expliquer sa conduite, il en profite. Qu’est-ce donc que le bon Pasteur ? Jésus-Christ s’appelle à la fois la porte et le bon Pasteur. C’est en lui-même et considéré comme chef de l’Église qu’il est la porte, c’est dans son Église même qu’il est Pasteur ; et en disant que le bon pasteur doit entrer par la porte, il veut faire entendre que tout bon pasteur doit recevoir de lui sa vocation et être rempli de son amour. De plus un bon pasteur ne doit pas être un mercenaire ? Qu’est-ce qu’un pasteur mercenaire ? Un pasteur mercenaire, quoiqu’en disent certains ecclésiastiques, est celui dont la conduite, semblable à celle des Scribes et des Pharisiens ; est en opposition avec son enseignement, Il ne remplit pas son devoir pour l’amour de Jésus-Christ, mais par intérêt ; et voilà pourquoi il ne résiste pas avec vigueur aux attaques de l’ennemi, aux mauvais conseils et aux doctrines mauvaises. Il faut le supporter dans l’Église, profiter même de l’enseignement salutaire qu’il donne au nom de l’Église ; mais on doit se garder d’imiter sa lâcheté. C’est pour ne pas faire comme lui et ne mériter pas d’être condamné au tribunal suprême, que saint Augustin reprend avec fermeté, ne consultant que l’avantage spirituel de son troupeau.

  1. Votre foi ne l’ignore pas, mes bien-aimés, nous savons même que vous l’avez appris du Maître qui enseigne du haut du ciel et en qui vous avez mis votre espoir : Celui qui pour nous a souffert et est ressuscité, Jésus-Christ Notre-Seigneur est le Chef de l’Église, l’Église est son corps, et la santé de ce corps c’est l’union de ses membres et le lien de la charité. Que la charité vienne à se refroidir, on est malade tout en faisant partie du corps de Jésus-Christ. Il est vrai, Celui qui a exalté notre Chef divin peut aussi guérir ses membres ; mais c’est à la condition qu’un excès d’impiété ne les fera point retrancher de son corps et qu’ils y restent attachés jusqu’à ce qu’ils soient complètement guéris. Car il ne faut pas désespérer de ce qui lui est uni encore ; mais on ne peut ni traiter ni guérir ce qui en est séparé. Or le Christ étant le Chef de l’Église et l’Église étant son corps, le Christ entier comprend et le chef et le corps. Mais le Chef est ressuscité. Nous avons donc au ciel notre chef qui intercède pour nous, et qui exempt de tout péché et affranchi de la mort, apaise Dieu irrité par nos iniquités. Il veut ainsi que ressuscitant nous-mêmes à la fin des siècles, transformés et pénétrés de la gloire céleste, nous parvenions où il est. Les membres en effet ne doivent-ils pas suivre la tête ? Ah ! puisqu’ici même nous sommes ses membres, ne nous décourageons point ; nous suivrons notre Chef.
  2. Contemplez, mes frères, combien nous sommes aimés de ce Chef divin. Il est au ciel, et pourtant il souffre sur la terre tout le temps qu’y souffre son Église. Ici en effet il a faim, il a soif, il est dépouillé, il est étranger, il est malade, il est en prison. N’a-t-il pas dit qu’il endure tout ce que souffre son corps et qu’à la fin du monde plaçant ce corps à sa droite et à sa gauche les impies qui le foulent aujourd’hui, il dira aux élus de sa droite : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ? » Et pourquoi ? « Parce que j’ai eu faim et que vous m’avez donné à manger. » Il énumère les autres services comme s’il en avait été l’objet. Les élus mêmes ne le comprennent pas et ils s’écrient : « Quand est-ce, Seigneur, que nous vous avons vu sans pain, sans asile et en prison ? » Et il leur répond : « Toutes les fois que vous avez rendu ces bons offices de l’un des plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous les avez rendus. »

Notre corps même présente quelque chose de semblable. La tête y est en haut et les pieds en (559) bas ; si cependant au milieu d’une foule serrée quelqu’un te marche sur le pied, la tête ne dit-elle pas : Tu me blesses ? Ce n’est ni la tête ni la langue que l’on presse alors ; elles sont en haut, elles sont en sûreté, personne ne les frappe ; mais le lien de la charité unissant tout le corps, de la tête aux pieds, la langue ne sépare point sa cause de celle des autres membres et elle crie : Tu me blesses, quoique personne ne la touche. Si donc notre langue, sans être touchée, peut dire alors qu’on la blesse, le Christ notre Chef ne peut-il dire, sans souffrir personnellement. « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ? » Ne peut-il dire encore à ceux qui ont refusé ce service à ses membres : « J’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ? » Comment enfin conclut-il ? Le voici : « Ceux-ci iront aux flammes éternelles, et les justes à l’éternelle vie (1). »

  1. Dans les paroles que nous venons d’entendre, le Seigneur se présentait à la fois comme étant le pasteur et comme étant la porte. Il disait expressément : « Je suis la porte ;» et expressément : « Je suis le pasteur. » C’est comme Chef qu’il est la porte, c’est dans ses membres qu’il est le pasteur. Aussi bien en établissant l’Église sur Pierre seulement, il lui dit : « Pierre, m’aimes-tu ? – Seigneur, je vous aime, répond Pierre. – Pais mes brebis. » Comme il disait une troisième fois : « Pierre m’aimes-tu ? » Pierre s’attrista de cette troisième demande (2) : si son Maître avait pu voir dans sa conscience qu’il le renierait, ne voyait-il pas dans sa foi combien il était sincère- à le confesser ? Mais Jésus ne cessa jamais de connaître Pierre ; il le connaissait même lorsque Pierre s’ignorait, et Pierre s’ignorait quand il disait : « Je vous suivrai jusqu’à la mort ;» il ne savait pas alors jusqu’où, allait sa faiblesse. Il arrive souvent à des malades de ne connaître point ce qui se passe en eux, tandis que le médecin le sait et quoique celui-ci ne souffre pas ce qu’endure le malade. L’un explique mieux ce qui se passe dans l’autre, que ce dernier n’exprime ce qui se passe en lui-même. Voilà ce qui avait lieu entre Pierre, malade alors, et le Seigneur, son médecin. Le premier prétendait avoir des forces et pourtant il n’en avait pas ; mais en touchant les pulsations de son cœur, Jésus annonçait qu’il le renierait trois fois. On sait comment se réalisa la prédiction du médecin, et comment fat confondue la présomption du malade (3). Si donc le Sauveur l’interrogea après sa résurrection, ce n’est point qu’il ignorât combien était sincère l’amour qu’il professait pour lui ; mais il voulait qu’en confessant trois fois son amour, il effaçât le triple reniement que lui avait arraché la crainte.
  2. Aussi quand le Seigneur demande à Pierre « Pierre m’aimes-tu ?» c’est comme s’il lui disait : Que me donneras-tu, que m’accorderas-tu comme témoignage de ton amour ? Eh ! que pouvait accorder Pierre au Seigneur ressuscité, quand il était sur le point de monter au ciel et d’y siéger à la droite du Père ? Jésus semblait donc lui dire : Ce que tu me donneras, ce que tu feras pour moi, si tu m’aimes, c’est de paître mes brebis, c’est d’entrer par la porte, sans monter par ailleurs. On vous a dit, en lisant l’Évangile « Celui qui entre par la porte est le pasteur ; mais celui qui monte par ailleurs est un voleur et un larron, qui cherche à troubler, à disperser et à ravir. » Qu’est-ce qu’entrer par la porte ? C’est entrer par le Christ. Qu’est-ce qu’entrer par le Christ ? C’est l’imiter dans ses souffrances, c’est le reconnaître dans son humilité, et Dieu s’étant fait homme, c’est avouer que l’on est homme et non pas Dieu. Est-ce en effet imiter un Dieu fait homme que de vouloir paraître Dieu quand on n’est qu’un homme ? On ne t’invite pas à devenir moins que tu es, mais on te dit : Reconnais que tu es homme, que tu es pécheur ; reconnais que Dieu justifie et que tu es souillé. Avoue les taches de ton cœur, et tu feras partie du troupeau de Jésus-Christ ; car cet aveu de tes fautes portera le médecin à te guérir, autant que l’éloigne de lui le malade qui prétend être en bonne santé.

Le Pharisien et le Publicain n’étaient-ils pas montés au temple ? L’un se vantait de sa bonne santé, et l’autre montrait ses plaies au Médecin. Le premier disait effectivement : « O Dieu, je vous rends grâces de ce que je ne suis pas comme ce Publicain. » Ainsi s’élevait-il superbement au-dessus de lui, et si le Publicain n’eût pas été malade, dans l’impuissance de se préférer à lui, le Pharisien l’aurait haï. Avec de telles dispositions à la jalousie et à la haine, en quel état se trouvait donc le Pharisien montant au temple ? Sûrement il était malade, et en se disant bien portant il ne fut point guéri quand il quitta le temple. Le Publicain au contraire tenait les yeux à terre sans oser les lever vers le ciel, et se frappant la poitrine il disait : « O Dieu, ayez pitié de moi, pauvre pécheur. » Et que (560) conclut le Seigneur ? « En vérité je vous le déclare : le Publicain sortit du temple justifié, plutôt que le Pharisien ; car quiconque s’élève sera abaissé, et quiconque s’abaisse sera élevé (4). » Ceux donc qui s’élèvent veulent monter par ailleurs dans le bercail ; tandis que ceux qui s’abaissent, y entrent par la porte. Aussi est-il dit, de l’un, qu’il entre et de l’autre, qu’il monte. Monter, vous le voyez, c’est rechercher les grandeurs, ce n’est pas entrer, c’est tomber ; au lieu que s’abaisser pour entrer par la porte, ce n’est pas tomber, c’est être pasteur.

  1. Cependant le Seigneur fait figurer dans l’Évangile trois personnages que nous devons y étudier : le pasteur, le mercenaire et le voleur. Vous avez sans doute remarqué à la lecture de l’Évangile, les caractères assignés par Jésus-Christ au pasteur, au mercenaire et au voleur. Le pasteur, a-t-il dit, donne sa vie pour ses brebis et il entre par la porte. Le voleur et le larron montent par ailleurs. Quant au mercenaire, il fuit lorsqu’il voit le loup ou le voleur, parce qu’étant mercenaire et non pasteur, il ne prend point souci des brebis. L’un entre par la porte, attendu qu’il est le pasteur ; l’autre monte par ailleurs, attendu qu’il est un voleur ; et le troisième tremble et prend la fuite à la vue des ravisseurs qui veulent s’emparer des brebis, attendu qu’il est mercenaire et qu’étant mercenaire il ne prend point souci du troupeau.

Si nous parvenons à bien reconnaître ces trois sortes de personnages, votre sainteté saura qui vous devez aimer, qui vous devez supporter et de qui vous devez vous garder. Il faudra aimer le pasteur, supporter le mercenaire et vous garder du larron.

Il y a en effet dans l’Église des hommes dont l’Apôtre dit qu’ils annoncent l’Évangile par occasion, recherchant auprès des hommes leurs propres avantages, argent, honneurs, louanges humaines (5). Ce qu’ils veulent, ce sont des présents de quelque nature, et ils ont moins en vue le salut de l’auditeur que leurs intérêts personnels. Quant au fidèle à qui le salut est annoncé par un homme qu’y n’y a point part, s’il croit en Celui qu’on lui annonce sans s’appuyer sur le prédicateur, il y aura profit pour l’un, perte pour l’autre.

  1. Le Seigneur disait des Pharisiens : « Ils sont assis sur la chaire de Moïse (6). » Il n’avait pas en vue que les Pharisiens et son intention n’était pas d’envoyer à l’école des Juifs ceux qui croiraient en lui, pour y apprendre le chemin qui conduit au royaume des cieux. N’était-il pas venu effectivement pour former son Église, pour séparer du reste de la nation, comme on sépare le froment de la paille, les Israélites qui étaient dans la bonne foi, qui avaient une bonne espérance et une charité véritable, pour faire de la circoncision comme une muraille, pour y joindre, comme une autre muraille, la gentilité, et pour servir lui-même de pierre angulaire à ces deux murs aboutissant à lui de directions opposées ? N’est-ce pas de l’union future de ces deux peuples qu’il disait : « J’ai aussi d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail, » du bercail des Juifs ; «il faut que je les amène encore, afin qu’il n’y ait plus qu’un seul troupeau et un seul pasteur ? » Aussi est-ce de deux barques qu’il appela ses disciples ; ces deux barques désignaient les deux peuples qui devaient entrer dans l’Église, lorsque les Apôtres, après avoir jeté les filets, prirent cette multitude de poissons dont le poids faillit les rompre et qu’« ils en chargèrent ces deux mêmes barques (7). » Il y avait bien deux barques, mais il n’y a qu’une Église formée de deux peuples différents qui s’unissent dans le Christ. C’est ce qui était figuré aussi par Lia et Rachel, les deux épouses d’un même mari, de Jacob (8) ; par les deux aveugles assis près de la route et à qui le Seigneur rendit la vue (9). Si enfin vous étudiez avec attention les Écritures, souvent vous y rencontrerez des figures de ces deux Églises qui n’en forment qu’une seule, comme l’indiquent et la pierre angulaire qui unit deux murs et le pasteur qui unit deux troupeaux.

En venant donc pour enseigner son Église et pour établir son école en dehors du Judaïsme, comme nous la voyons établie aujourd’hui, le Seigneur ne voulait pas rendre disciples des Juifs ceux qui croiraient en lui. Sous le nom de Scribes et de Pharisiens il voulait désigner ceux qui un jour dans son Église diraient et ne feraient pas, comme il se désignait lui-même dans la personne de Moïse. Moïse effectivement figurait Jésus-Christ, et si en parlant au peuple il se voilait la face, c’était pour indiquer qu’en cherchant dans la Loi les joies et les voluptés charnelles et qu’en ambitionnant un empire terrestre, les Juifs avaient devant les yeux un voile qui les empêcherait de reconnaître le Christ dans les Écritures. Aussi le voile tomba-t-il après la passion du Seigneur et on vit alors les secrets du sanctuaire. C’est pour ce motif qu’au moment où le Sauveur était suspendu à la croix, le voile du temple se déchira de haut en bas (10) ; et l’Apôtre Paul dit expressément : « Lorsque tu te seras converti au Christ, le voile disparaîtra (11) ; » au lieu « qu’il reste posé sur le cœur, » comme s’exprime le même Apôtre, lorsque tout en lisant Moïse, on ne s’est point attaché au Christ (12). Afin donc d’annoncer qu’il y aurait dans son Église de ces docteurs pervers, que clin le Seigneur ? « Les Scribes et les Pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse ; faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. »

  1. En entendant ce texte qui les condamne, il est de mauvais ecclésiastiques qui cherchent i en corrompre le sens ; j’en ai réellement entendu quelques-uns qui voulaient l’altérer. S’ils le pouvaient, n’effaceraient-ils pas cette maxime de l’Évangile ? Dans l’impuissance d’y réussir, ils veulent au moins la fausser. Mais par sa grâce et par sa miséricorde, le Seigneur ne leur permet pas d’y parvenir non plus. Toutes ses paroles sont environnées du rempart protecteur de sa vérité ; elles sont tellement posées que si un lecteur ou un interprète infidèle voulaient en retrancher ou y ajouter quoi que ce fût, un homme de cœur, pour rétablir le sens qu’on cherchait à pervertir, n’a qu’à rapprocher l’Écriture d’elle-même en lisant ce qui précède ou ce qui suit. Comment donc s’y prennent ceux dont il est question dans ces mots : « Faites ce qu’ils disent ?» C’est aux laïques, affirment-ils que cela s’adresse.

Il est vrai, que fait un laïque qui veut se bien conduire, lorsqu’il voit un ecclésiastique se conduisant mal ? Le Seigneur a dit, se rappelle-t-il « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font. » Je vais donc suivre les voies tracées par le Seigneur, sans imiter un tel dans ses mœurs. Je recevrai, quand il parlera, non pas sa parole, mais la parole de Dieu. Qu’il s’attache à sa passion, pour moi je m’attache à Dieu. Car si pour me défendre devant Dieu je disais un jour : Seigneur, j’ai vu cet homme qui est votre clerc, se conduire mal et je me suis mal conduit ; le Seigneur ne me répondrait-il pas, mauvais serviteur, ne t’avais-je pas dit : « Faites ce qu’ils disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font ? » – Quant au laïque mauvais, infidèle, qui ne fait partie ni du troupeau du Christ, ni du froment du Christ et qu’on supporte simplement comme on laisse la paille sur l’aire, que réplique-t-il quand on se met à le presser en lui citant la parole de Dieu ? – Laisse-moi ; à quoi bon me parler ainsi ? Les évêques, les ecclésiastiques mêmes ne font pas ce que tu dis, et tu prétends que je le fasse ? – C’est se chercher, non pas un- avocat de mauvaise cause, mais un compagnon de supplice. Comment être défendu au jour du jugement par un méchant qu’on aura voulu imiter ? Quand le diable parvient à séduire, ce n’est pas pour régner, c’est pour être condamné avec ceux qu’il dupe ; ainsi en s’attachant aux traces des méchants, on s’associe à eux pour l’enfer, on ne s’en fait pas des protecteurs pour le ciel.

  1. Comment donc ces ecclésiastiques qui se conduisent mal faussent-ils la pensée du Seigneur, quand on leur oppose qu’il a eu raison de déclarer : « Faites ce qu’il disent ; gardez-vous de faire ce qu’ils font ?» La sentence est irréprochable répondent-ils. Il vous est dit de faire ce que nous disons et de ne pas faire ce que nous faisons. C’est qu’il ne vous est pas permis d’offrir le sacrifice que nous offrons. – Quelles supercheries de la part de ces…. de ces mercenaires ! Ah ! s’ils étaient de vrais pasteurs, ils ne parleraient pas ainsi. Aussi pour leur fermer la bouche, il suffit d’observer la suite des paroles du Seigneur. « Ils sont assis, dit-il, sur la chaire de Moïse ; faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font, car ils disent et ne font pas. » Que signifie ce langage, tues frères ? S’il était ici question du sacrifice à offrir, nous ne lirions point : « Ils disent et ne font pas » car le sacrifice est une action, c’est une offrande faite à Dieu. Qu’est-ce donc qu’ils disent sans le faire ? Le voici dans les paroles qui suivent : « Ils lient des fardeaux pesants et qu’on ne peut porter, et les placent sur les épaules des hommes, sans vouloir même les remuer du doigt (13). » Voilà des reproches manifestes et clairement exprimés. Mais en voulant fausser la pensée du Seigneur, ces malheureux montrent que dans l’Église ils ne cherchent que leurs propres avantages et qu’il n’ont pas lu l’Évangile. S’ils en connaissaient seulement une page et en avaient lu le texte entier, jamais ils n’avanceraient ce qu’ils osent avancer.
  2. Voyez plus clairement encore qu’il y a dans l’Église de ces mauvais docteurs. On pourrait nous objecter que le Seigneur ne parlait que des Pharisiens, que des Scribes, que des Juifs, et qu’il n’y a parmi nous personne qui leur ressemble. Quels sont alors ceux qu’envisage le Sauveur quand il s’écrie : « Ce ne sont pas tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, qui entreront dans le royaume des cieux ?» et quand il ajoute : « Beaucoup me diront, en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, en votre nom que nous avons fait beaucoup de miracles, et en votre nom que nous avons bu et mangé ?» Est-ce au nom du Christ que les Juifs font tout cela ? Il est évident toutefois qu’il ne s’agit ici que, de ceux qui portent le nom du Christ. Et que dit ensuite le Sauveur ? « Je leur déclarerai alors : Je ne vous ai jamais connus. Éloignez-vous de moi, vous qui opérez l’iniquité (14). »

Prête l’oreille aux gémissements que l’Apôtre répand sur eux. Les uns, dit-il, annoncent l’Évangile par charité, les autres par occasion, et ceux-ci «ne l’annoncent pas avec droiture (15). » L’Évangile est droit, mais eux ne le sont pas. Ce qu’ils annoncent est droit, mais eux ne sont pas droits. Pourquoi ne sont-ils pas droits ? Parce qu’ils cherchent dans l’Église autre chose que Dieu et ne cherchent pas Dieu même. S’ils cherchaient Dieu, ils seraient purs, attendu que Dieu est le légitime époux de l’âme, et que chercher en Dieu autre chose que Dieu même, ce n’est pas le chercher purement. En voici la preuve, lues frères. Une épouse n’est pas pure, si elle aime son mari parce qu’il est riche ; ce n’est pas lui qu’elle aime alors, c’est plutôt son or. Mais si elle l’aime véritablement, elle l’aime jusque dans le dépouillement et l’indigence. En l’aimant parce qu’il est riche, que fera-t-elle, si par suite des vicissitudes humaines, il vient à être proscrit et jeté tout-à-coup dans la misère ? Il est possible qu’elle le quitte. Ce serait la preuve qu’elle ne l’aimait pas, mais qu’elle aimait son bien. Car si elle l’aimait réellement, elle l’aimerait plus vivement encore quand il tombe dans la pauvreté, puisque la compassion se joindrait en elle à l’amour.

  1. Et pourtant, mes frères, notre Dieu ne saurait tomber jamais dans la pauvreté. Il est riche, c’est lui qui a tout fait, le ciel et la terre, la mer et les Anges. Tout ce que nous voyons et tout ce que nous ne voyons pas dans le ciel, c’est lui qui l’a fait. Mais nous ne devons pas aimer ses richesses, nous devons l’aimer lui-même, lui qui en est l’auteur, car il ne t’a promis que lui. Montre-lui quelque chose de plus précieux que lui, et il te le donnera : La terre est belle, le ciel et les Anges sont beaux ; mais leur Créateur est plus beau encore.

Ainsi donc ceux qui annoncent Dieu avec amour, ceux qui annoncent Dieu pour Dieu même, ceux-là sont de vrais pasteurs et non pas des mercenaires. Leur âme est pure, comme l’exigeait Notre-Seigneur Jésus-Christ quand il disait à Pierre : « Pierre, m’aimes-tu ? M’aimes-tu ? » C’est-à-dire : Es-tu pur ? N’as-tu pas un cœur adultère ? Est-ce tes intérêts et non pas les miens que tu cherches dans l’Église ? Ah ! si tu es pur, tu m’aimes, « pais mes brebis (16) ;» tu ne. ne seras pas un mercenaire, mais un vrai pasteur.

  1. Pour ceux qui excitent les gémissements de l’Apôtre, ils ne prêchaient pas l’Évangile avec pureté. Que dit néanmoins l’Apôtre ? « Mais qu’importe, pourvu que le Christ soit annoncé de quelque manière que ce puisse être, ou par occasion, ou par un vrai zèle (17) ? » C’était tolérer des mercenaires. Le pasteur annonce le Christ avec un vrai zèle, le mercenaire l’annonce par occasion et avec d’autres vues. Ils le prêchent toutefois l’un et l’autre. Écoute ce cri d’un vrai pasteur : « Pourvu, dit Paul, que le Christ, soit prêché, ou par occasion, ou par un vrai zèle ! » Ce bon pasteur laisse agir les mercenaires. Ils font le bien où ils peuvent, ils sont utiles autant qu’ils en sont capables.

Avait-il, dans d’autres circonstances, besoin de quelqu’un qui pût servir de modèle aux faibles ? Il écrivait : « Je vous ai envoyé Timothée, pour vous rappeler mes voies (18). » Qu’est-ce à dire ? Je vous ai envoyé un pasteur qui doit vous rappeler mes voies, parce qu’il se conduit comme je me conduis. Que dit-il encore de ce pasteur qu’il envoie ailleurs ? « Je n’ai personne qui me soit aussi intimement uni et qui s’inquiète pour vous avec une affection aussi sincère. » Mais n’avait-il pas avec lui beaucoup de disciples ? Lisez encore : « C’est que tous cherchent leurs intérêts, et non les intérêts de Jésus-Christ (19). » En d’autres termes : J’ai voulu vous envoyer un pasteur, car il y a beaucoup de mercenaires, et if ne fallait pas vous en envoyer maintenant. – On peut dans d’autres occasions et pour d’autres affaires envoyer un mercenaire ; mais il fallait un pasteur pour ce que Paul avait en vue. Hélas ! il en trouve un à peine dans ce grand nombre de mercenaires ; c’est qu’effectivement il y a beaucoup de mercenaires et peu de pasteurs. Cependant, qu’est-il dit des mercenaires ? « En vérité je vous le déclare, ils ont reçu leur récompense (20). » Du pasteur au contraire que nous enseigne l’Apôtre ? « Quiconque se tient pur de ces choses, sera un vase d’honneur sanctifié et utile au Seigneur, préparé pour toutes les bonnes œuvres : » non pas pour quelques-unes, mais pour toutes ; « préparé pour toutes les bonnes œuvres (21). » Voilà pour les pasteurs.

  1. Quant aux mercenaires : « le mercenaire prend la fuite lorsqu’il voit le loup rôder autour des brebis. » Ainsi s’exprime le Seigneur. Et pourquoi le mercenaire prend-il la fuite ? « Parce qu’il n’a point souci des brebis. » Par conséquent le mercenaire rend des services tant qu’il ne voit ni loup, ni voleur, ni larron. En voit-il ? Il prend la fuite. Quel mercenaire ne prend pas la fuite, ne sort pas de l’Église, lorsqu’il voit le loup et le larron ? Les loups et les larrons sont nombreux. Ce sont ceux-ci qui montent par ailleurs ? Et quels sont ceux qui montent par ailleurs ? Ceux du parti de Donat qui veulent faire proie des brebis de Jésus-Christ. Ils montent par ailleurs, ils n’entrent point par le Christ, car ils ne sont pas humbles. Ils sont orgueilleux et ils montent. Qu’est-ce à dire, ils montent ? Ils s’élèvent. D’où s’élèvent-ils ? D’un parti, car ils prétendent porter le nom d’un parti. N’étant point dans t’unité, ils sont d’un parti et c’est de ce parti qu’ils montent, qu’ils s’élèvent pour enlever les brebis. Voyez comment ils s’élèvent. C’est nous, disent-ils, qui sanctifions, c’est nous qui justifions, c’est nous qui faisons des justes. Voilà jusqu’où ils montent. Mais qui s’élève sera humilié (22) ; le Seigneur notre Dieu peut les humilier. Le loup désigne le diable. Or le diable et ceux qui marchent à sa suite cherchent à tromper ; aussi est-il dit qu’ils sont revêtus de peaux de brebis et qu’intérieurement ils sont des loups rapaces (23). Eh bien ! qu’un mercenaire voie quelqu’un mal parler, avoir des sentiments pernicieux pour son salut, faire des actes coupables et obscènes ; malgré l’autorité qu’on lui connaît dans l’Église, où pourtant il n’est qu’un mercenaire puisqu’il y cherche son intérêt ; ce mercenaire, tout en voyant un homme périr dans son péché, être saisi au gosier et traîné par le loup au supplice, ne lui dira pas : Tu fais mal, et ne lui fera aucun reproche, par égard pour ses propres intérêts.

N’est-ce pas fuir quand. on voit le loup ? En ne disant pas : Tu fais le mal, ce n’est pas le corps, c’est l’âme qui prend la fuite. Le corps est immobile, mais le cœur s’en va, quand on voit un pécheur et qu’on ne lui dit pas : Tu fais mal, quand on va même jusqu’à s’entendre avec lui.

  1. Ne voyez-vous pas souvent, mes frères, monter ici des prêtres et des évêques, et du haut de cette tribune engagent-ils à autre chose qu’à s’abstenir de prendre le bien d’autrui, de faire des fraudes, de commettre des crimes ? Assis sur la chaire de Moïse, ils ne sauraient parler autrement, et c’est plutôt elle qui parle qu’eux-mêmes. – N’est-il pas dit toutefois : « Cueille-t-on des raisins sur les épines et des figues sur les chardons ? » et encore : « Tout arbre se reconnaît à son fruit (24) ? » Comment donc un Pharisien peut-il enseigner la vertu ? Le Pharisien est l’épine ; comment cueillir le raisin sur l’épine ? – Ah ! c’est que vous avez dit, Seigneur : « Faites ce qu’ils disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. » – Ainsi vous me commandez de cueillir le raisin sur l’épine, quoique vous ayez dit en personne : « Cueille-t-on le raisin sur des épines ? » – Voici ce que répond le Seigneur : Je ne te commande pas de cueillir le raisin sur des épines ; mais examine, regarde bien s’il n’arrive pas souvent à la vigne, lorsqu’elle court sur la terre, de s’entrelacer dans des épines ? Plusieurs fois, mes frères, nous avons vu des ceps de vigne appuyés sur ces figuiers sauvages qui forment ici des haies épineuses ; ces ceps déploient leurs rameaux, ils les entrelacent dans les épines, et au milieu de ces épines on voit pendre des grappes. Mais est-ce sur les épines qu’on les cueille ou plutôt sur la vigne qui s’y entrelace ? Oui, les Pharisiens sont des buissons épineux ; mais une fois assis sur la chaire de Moïse, la vigne s’attache à eux ; à eux sont suspendues des grappes, d’excellents conseils, de salutaires préceptes. Cueille le raisin, tu ne te blesseras point dans l’épine si tu es attentif à ces mots : « Faites ce qu’il disent, mais gardez-vous de faire ce qu’ils font. » Leurs actions sont des épines, tandis que leurs discours sont le raisin, mais le raisin produit par la vigne, c’est-à-dire par la chaire de Moïse.
  2. Ces mercenaires fuient donc quand ils voient le loup, quand ils voient le larron. Mais, comme je le disais, il ne peuvent, du haut de cette chaire, que vous répétez : Faites le bien, ne soyez point parjures, gardez-vous de tromper, de surprendre personne.

Il est pourtant des hommes assez égarés pour consulter l’évêque sur les moyens à prendre afin de s’approprier le domaine d’autrui. Nous le savons par nous-même, nous ne l’aurions pas cru autrement. Plusieurs donc veulent que nous leur donnions des conseils pervers, que nous leur apprenions à mentir et à tromper ; ils s’imaginent nous plaire ainsi. Mais par la grâce du Christ et si le Seigneur me permet de parler ainsi, jamais aucun d’eux n’a réussi à nous tenter et à obtenir de nous ce qu’il désirait ; car pourvu que Celui qui nous a appelé nous en fasse la grâce, nous sommes pasteur et non pas mercenaire. Cependant que dit l’Apôtre ? « Pour moi, je me mets fort peu en peine d’être jugé par vous ou par un tribunal humain ; bien plus, je ne me juge pas moi-même. A la vérité, ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas pour cela justifié, et celui qui me juge, c’est le Seigneur (25). » Ce ne sont pas vos louanges qui me mettent la conscience en bon état. Pourquoi louez-vous ce que vous ne voyez pas ? C’est à Celui qui voit de louer, à Lui encore de reprendre s’il voit en moi quelque chose qui blesse son regard. Car nous sommes bien éloignés de nous croire parfaitement guéris et nous nous frappons la poitrine en disant à Dieu : Aidez-moi dans votre miséricorde à ne point pécher. Je crois pouvoir le dire cependant, puisque je parle en sa présence et n’ayant en vue que votre salut : nous gémissons bien souvent sur les péchés de nos frères ; ces péchés nous accablent et nous tourmentent le cœur ; nous en reprenons de temps en temps les auteurs, ou plutôt nous ne cessons de les en reprendre. J’invoque le témoignage de tous ceux qui voudront réveiller leurs souvenirs : combien de fois n’avons-nous pas repris et repris avec force nos frères dans le désordre !

  1. Je révèle maintenant des desseins à votre sainteté. Vous êtes, par la grâce du Christ, le peuple de Dieu, un peuple catholique, les membres du Sauveur. Vous n’êtes point séparés de l’unité, mais en communication avec ceux qui tiennent aux Apôtres, avec ceux qui honorent la mémoire des saints Martyrs et il y en a dans tout l’univers ; vous êtes l’objet ne notre sollicitude et nous devons rendre bon compte de vous.

Vous savez en quoi consiste ce compte. Pour vous, ô mon Dieu, vous n’ignorez pas que j’ai parlé, que je n’ai pas gardé le silence, vous connaissez avec quelles dispositions j’ai parlé et combien j’ai pleuré devant vous lorsqu’on n’écoutait pas mes avertissements : N’est-ce pas là tout le compte dont je suis chargé ?

Ce qui nous rassure en effet, c’est ce que le Saint-Esprit a fait dire au prophète Ézéchiel. Vous vous rappelez le passage relatif à la sentinelle. « Fils de l’homme, est-il écrit, je t’ai établi sentinelle pour la maison d’Israël. Quand je dirai à l’impie : Impie, tu mourras de mort, si tu ne lui parles pas ;» car je te parle à toi pour que tu lui reportes mes paroles ; si donc tu ne les lui reporte pas, «et que le glaive vienne le frapper et le mettre à mort, » comme j’en ai menacé le pécheur ; « l’impie sans doute mourra dans son péché, mais je demanderai compte de son sang aux mains de la sentinelle. » Pourquoi ? Parce qu’elle ne l’a pas averti. « Au contraire, si la sentinelle voit venir l’épée, si de plus elle sonne de la trompette pour inviter à prendre la fuite et que l’impie «ne se mette pas sur ses gardes, » c’est-à-dire ne se corrige pas pour échapper au supplice dont Dieu le menace ; «si l’épée vient en effet et le mette à mort ; l’impie sans doute mourra dans son iniquité, mais toi, tu auras sauvé ton âme (26). » N’est-ce pas ce qu’enseigne aussi le passage suivant de l’Évangile ? « Seigneur, y dit le serviteur paresseux, je savais que vous êtes un homme dur ou sévère, que vous moissonnez où vous n’avez pas semé, que vous cueillez où vous n’avez rien mis, j’ai donc eu peur et je suis allé enfouir mon talent dans la terre : voici ce qui est à vous. – Serviteur mauvais, répond le Seigneur, et d’autant plus paresseux que tu me connaissais pour un homme dur et sévère, moissonnant où je n’ai pas semé et recueillant ou je n’ai rien mis : » l’avarice même que tu m’imputes devait t’apprendre que je veux profiter de mon argent. « Tu devais donc mettre cet argent chez les banquiers et en revenant je l’aurais repris avec les intérêts (27). » Le Seigneur dit-il ici : Tu devais mettre cet argent et le reprendre ? C’est nous, mes frères, qui le mettons à la banque et c’est Lui qui viendra le reprendre. Priez pour obtenir que nous soyons prêts alors.

 

[1]  Mt 25,31-46

2 Jn 21,15-17

3 Lc 22,33-34 Lc 22,55-61

4 Lc 18,10-14

5 Ph 1,18

6 Mt 23,2

7 Lc 5,2-7

8 Gn 29

9 Mt 20,30-34

10 Mt 27,51

11 2Co 3,16

12 2Co 15

13 Mt 23,2-4

14 Mt 7,21-23

15 Ph 1,17

16 Jn 21,16

17 Ph 1,18

18 1Co 4,17

19 Ph 20,21

20 Mt 6,4

21 2Tm 2,21

22 Lc 14,11

23 Mt 7,16

24 Mt 7,16

25 1Co 4,3-4

26 Ez 33,7-9

27 Lc 19,20-23

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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