Discours à Djouba (Soudan du Sud) le 4 février 2023 © Vatican Media

Discours à Djouba (Soudan du Sud) le 4 février 2023 © Vatican Media

Soudan du Sud : « que la femme soit protégée, respectée, valorisée et honorée »

Discours du pape à la rencontre avec des déplacés internes (texte intégral)

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« Les mères, les femmes sont la clé pour transformer le pays », a déclaré le pape François au cours de la rencontre avec des déplacés internes, le 4 février 2023, dans le Freedom Hall, à Djouba, le deuxième jour de son voyage apostolique au Soudan du Sud. « S’il vous plaît, je supplie tous les habitants de ces terres : que la femme soit protégée, respectée, valorisée et honorée. S’il vous plaît, a répété le pape : protéger, respecter, valoriser et honorer toute femme, enfant, fille, jeune personne, adulte, mère, grand-mère. Autrement, il n’y aura pas d’avenir. »

Le pape a renouvelé « l’appel le plus pressant à mettre fin à tout conflit » au Soudan du Sud, « à reprendre sérieusement le processus de paix afin que les violences prennent fin et que les gens puissent retrouver une vie digne ». « L’avenir ne peut être dans les camps de personnes déplacées », a-t-il affirmé.

L’archevêque de Cantorbéry, Justin Welby, ainsi que le modérateur de l’Assemblée générale de l’Église d’Écosse, le pasteur Iain Greenshields, ont participé à cette rencontre avec des personnes déplacées au cours de laquelle un garçon du camp Bentiu, un garçon du camp Malakal et une fille du camp Giuba ont apporté leurs témoignages.

En s’adressant aux personnes déplacées, le pape a dit : « la graine d’un nouveau Soudan du Sud c’est vous ; la graine pour une croissance fertile et luxuriante du pays ; c’est vous, provenant de toutes les ethnies différentes, vous qui avez souffert et qui souffrez encore, mais qui ne voulez pas répondre au mal par un autre mal ; vous qui, à partir de maintenant, faites le choix de la fraternité et du pardon, cultivez un avenir meilleur ».

Voici le discours du pape François traduit de l’italien par le Saint-Siège.

Discours du pape :

Chers frères et sœurs, bon après-midi!

Je vous remercie pour vos prières, pour vos témoignages et pour votre chant ! J’ai longtemps pensé à vous, portant dans mon cœur le désir de vous rencontrer, de vous regarder dans les yeux, de vous serrer les mains et de vous étreindre. Je suis enfin ici, avec les frères avec lesquels je partage ce pèlerinage de paix, pour vous dire toute ma proximité, toute mon affection. Je suis avec vous, je souffre pour vous et avec vous.

Joseph, tu as posé une question décisive : « Pourquoi sommes-nous là à souffrir dans ce camp de personnes déplacés ? ». Pourquoi… Pourquoi tant d’enfants et de jeunes comme toi sont-ils là, au lieu d’aller à l’école pour étudier ou dans un bel endroit extérieur pour jouer ? Tu as toi -même donné la réponse en disant que c’est « à cause des conflits en cours dans le pays ». C’est à cause des dévastations produites par la violence humaine, s’ajoutant à celles causées par les inondations, que des millions de nos frères et sœurs comme vous, dont de nombreuses mères avec leurs enfants, ont dû quitter leurs terres et abandonner leurs villages, leurs maisons. Malheureusement, dans ce pays martyrisé, être déplacé ou réfugié est devenu une expérience habituelle et collective.

Je renouvelle donc de toutes mes forces l’appel le plus pressant à mettre fin à tout conflit, à reprendre sérieusement le processus de paix afin que les violences prennent fin et que les gens puissent retrouver une vie digne. Ce n’est qu’avec la paix, la stabilité et la justice que développement et réintégration sociale pourront avoir lieu. Mais on ne peut plus attendre ! Un grand nombre d’enfants nés ces dernières années n’ont connu que la réalité des camps de personnes déplacées, oubliant l’air du pays, perdant le lien avec leur terre d’origine, leurs racines, leurs traditions.

L’avenir ne peut être dans les camps de personnes déplacées. Il est nécessaire, comme tu l’as demandé, Johnson, que tous les enfants comme toi aient la possibilité d’aller à l’école et aussi de l’espace pour jouer au football ! Il est nécessaire d’évoluer en tant que société ouverte, de se mélanger, de former un seul peuple à travers les défis de l’intégration, y compris en apprenant les langues parlées dans tout le pays, et pas seulement dans sa propre ethnie. Il est nécessaire de prendre le risque formidable de connaître et d’accueillir ceux qui sont différents, pour retrouver la beauté d’une fraternité réconciliée et pour faire l’expérience de l’aventure inestimable qui consiste à construire librement son avenir avec celui de toute la communauté. Et il est absolument nécessaire d’éviter la marginalisation des groupes et la ghettoïsation des êtres humains. Mais pour répondre à toutes ces attentes, il faut la paix. Et il faut l’aide de beaucoup, l’aide de tout le monde.

C’est pourquoi je voudrais remercier la Vice-Représentante spéciale, Sara Beysolow Nyanti, de nous avoir dit que c’est aujourd’hui une occasion pour chacun de voir ce qui se passe depuis des années dans ce pays. Ici, en effet, la plus grande crise de réfugiés du continent perdure, avec au moins quatre millions de fils de cette terre déplacés, avec l’insécurité alimentaire et la malnutrition qui touchent les deux tiers de la population, et des prévisions parlant d’une tragédie humanitaire qui pourrait encore s’aggraver en cours d’année. Mais je tiens surtout à vous remercier parce que vous, et beaucoup d’autres personnes, n’êtes pas restés sans rien faire à étudier la situation, mais vous avez agi. Vous, Madame, vous avez parcouru le pays, regardé dans les yeux les mères assistant à la douleur qu’elles ressentent devant la situation de leurs enfants. Vos paroles m’ont touché lorsque vous avez dit que, malgré tout ce dont elles souffrent, le sourire et l’espérance ne se sont jamais éteints de leurs visages.

Et je suis d’accord avec ce que vous avez dit à leur sujet : les mères, les femmes sont la clé pour transformer le pays : si on leur donne de bonnes opportunités, par leur assiduité et leur attitude d’aimer la vie, elles auront la capacité de changer le visage du Soudan du Sud, de lui donner un développement serein et cohérent ! Mais, s’il vous plaît, je supplie tous les habitants de ces terres : que la femme soit protégée, respectée, valorisée et honorée. S’il vous plaît : protéger, respecter, valoriser et honorer toute femme, enfant, fille, jeune personne, adulte, mère, grand-mère. Autrement, il n’y aura pas d’avenir.

Et maintenant, frères et sœurs, je vous regarde à nouveau ; vos yeux fatigués mais lumineux qui n’ont pas perdu l’espérance, vos lèvres qui n’ont pas perdu la force de prier et de chanter. Je vous vois, vous qui avez les mains vides mais le cœur plein de foi, vous qui portez intérieurement un passé marqué par la souffrance mais qui ne cessez pas de rêver d’un avenir meilleur. Nous voudrions, nous qui vous rencontrons aujourd’hui, donner des ailes à votre espérance. Nous y croyons, nous croyons que maintenant, même dans les camps de personnes déplacées – où la situation du pays vous oblige malheureusement à rester – peut germer, comme d’une terre dépouillée, la semence nouvelle qui portera du fruit.

Je voudrais vous dire : la graine d’un nouveau Soudan du Sud c’est vous ; la graine pour une croissance fertile et luxuriante du pays ; c’est vous, provenant de toute les ethnies différentes, vous qui avez souffert et qui souffrez encore, mais qui ne voulez pas répondre au mal par un autre mal ; vous qui, à partir de maintenant, faites le choix de la fraternité et du pardon, cultivez un avenir meilleur. Un demain qui naît aujourd’hui, là où vous êtes, de la capacité à collaborer, à tisser des réseaux de communion et des parcours de réconciliation avec ceux qui, différents de vous par leur ethnie et leur origine, vivent à côté de vous. Frères et sœurs, soyez des semences d’espérance, dans lesquelles on peut déjà entrevoir l’arbre qui, un jour – que nous espérons proche – portera des fruits. Oui, vous serez les arbres qui absorberont la pollution d’années de violences et qui restitueront l’oxygène de la fraternité. Certes, vous êtes maintenant « plantés » là où vous ne voudriez pas, mais c’est précisément dans cette situation d’épreuve et de précarité que vous pouvez tendre la main à ceux qui vous entourent et faire l’expérience que vous êtes enracinés dans la même humanité : c’est de là qu’il faut repartir pour vous redécouvrir frères et sœurs, enfants sur terre du Dieu du ciel, Père de tous.

Chers amis, ce sont les racines qui nous rappellent qu’une plante naît d’une semence. Il est beau que les gens, ici, tiennent beaucoup à leurs racines. J’ai lu que sur ces terres, « les racines ne doivent jamais être oubliées », car « les ancêtres nous rappellent qui nous sommes et quel doit être notre chemin… Sans eux, nous sommes perdus, effrayés et sans boussole. Il n’y a pas d’avenir sans passé » (C. Carlassare, La capanna di Padre Carlo. Comboniano tra i Nuer, 2020, 65). Au Soudan du Sud, les jeunes grandissent en s’inspirant des histoires des anciens, et si le récit de ces années a été caractérisé par la violence, il est possible, voire nécessaire, d’en commencer un nouveau, en partant de vous : un nouveau récit de la rencontre, où ce qui a été enduré n’est pas oublié, mais habité par la lumière de la fraternité ; un récit qui se concentre non seulement sur le caractère tragique de l’actualité, mais aussi sur le désir ardent de paix. Vous, les jeunes d’ethnies différentes, soyez les premières pages de ce récit ! Si les conflits, les violences et les haines ont arraché les premières pages des bons souvenirs de la vie de cette République, c’est à vous d’en écrire l’histoire de paix ! Je vous remercie pour votre force d’âme et pour tout le bien que vous faites qui plait tant à Dieu et rend précieuse chaque journée que vous vivez.

Je voudrais également adresser un mot de gratitude à tous ceux qui vous aident, souvent dans des conditions non seulement difficiles, mais d’urgence. Merci aux communautés ecclésiales pour leurs œuvres qui méritent d’être soutenues ; merci aux missionnaires, aux organisations humanitaires et internationales, notamment les Nations unies, pour le grand travail qu’ils accomplissent. Bien sûr, un pays ne doit pas vivre que d’aides extérieures, surtout lorsque son territoire est si riche en ressources! Mais actuellement elles sont extrêmement nécessaires. Je voudrais également rendre hommage aux nombreux travailleurs humanitaires qui ont perdu la vie, et appeler au respect de ceux qui aident et des structures de soutien à la population, qui ne peuvent devenir des cibles d’agression et de vandalisme. Parallèlement aux aides d’urgence, je crois qu’il est très important, dans une perspective d’avenir, d’accompagner la population sur la voie du développement, par exemple en l’aidant à apprendre les techniques modernes d’agriculture et d’élevage, afin de favoriser une croissance plus autonome. Je demande à tous, du fond du cœur : aidons le Soudan du Sud, ne laissons pas seule sa population qui a souffert et qui souffre tant !

En conclusion, je voudrais adresser une pensée aux nombreux réfugiés sud-soudanais qui se trouvent hors du pays et à ceux qui ne peuvent pas rentrer parce que leur territoire a été occupé. Je suis proche d’eux et j’espère qu’ils pourront redevenir les protagonistes de l’avenir de leur terre, en contribuant à son développement de manière constructive et pacifique. Nyakuor Rebecca, tu m’as demandé une bénédiction spéciale pour les enfants du Soudan du Sud afin que vous puissiez tous grandir ensemble dans la paix. Nous allons donner la bénédiction à trois comme des frères : avec mon frère Justin et mon frère Iain, ensemble nous allons vous donner la bénédiction. Que par elle, la bénédiction de beaucoup de frères et sœurs chrétiens dans le monde entier vous parvienne, eux qui vous embrassent et vous encouragent, sachant qu’en vous, dans votre foi, dans votre force intérieure, dans vos rêves de paix, brille toute la beauté de l’être humain.

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Marina Droujinina

Journalisme (Moscou & Bruxelles). Théologie (Bruxelles, IET).

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