Voici la méditation sur les lectures de la messe de dimanche 4 septembre, XXIII Dimanche du temps ordinaire, par Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’Unesco, pour les lecteurs de Zenit.
Le chemin avec le Christ est un chemin de miséricorde
XXIII Dimanche du temps ordinaire, année C, le 4 septembre 2022.
Sagesse 9,13-18; Psaume 89; Philémon 1,9-10.12-17; Luc 14,25-33
- Exigences paradoxales pour un chemin paradoxal
Ayant quitté le banquet, où il avait dit qu’il fallait vivre dans l’humilité et dans la gratuité (cf. l’Évangile de dimanche dernier), Jésus reprend sa route vers Jérusalem. Son chemin, plus que “géographique”, est un chemin du cœur qui le conduira à ouvrir les mains pour les laisser clouer.
Sur cette route qui monte vers Jérusalem, le Rédempteur est accompagné de « grandes foules [qui] faisaient route avec Jésus » (Lc 14,25). « Faire route » signifie le cheminement de la vie. Faire route avec lui, tel est le sens de notre vie, parce que nous faisons aussi partie de ces grandes foules qui marchent avec lui. Nous aussi, comme les premiers disciples et la foule qui le suivait, nous sommes appelés à nous décider, à faire le pas décisif, à devenir ses disciples en le suivant.
Souvent, dans l’Évangile, et pas seulement dans le passage de ce jour, le Christ appelle à aller avec lui, invitant à le suivre sur le parcours de son cœur, qui est un cœur qui sauve, guérit et pardonne : c’est un cœur de miséricorde. Toutefois aucun de ses enseignements ne semble aussi dur, pour ne pas dire déconcertant, que celui que nous écoutons aujourd’hui : « il se retourna et leur dit : « Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. » (Lc 14,25-27). Trois fois, le Christ affirme avec détermination qu’on ne peut être ses disciples que 1) si nous haïssons[1] les personnes qui nous sont chères, et même notre propre vie, 2) si nous portons notre croix, 3) si nous renonçons à tous nos biens.
On se demande spontanément : comment est-il possible que Jésus, modèle de douceur, ait prononcé des paroles si dures, qui semblent en contradiction avec d’autres recommandations qu’il a données souvent, par exemple, celles qui indiquent qu’il faut honorer ses parents et aimer non seulement son prochain mais aussi ses ennemis.
Il ne s’agit pas de contradictions mais de paradoxes[2]. En effet, dans différents autres passages des quatre Évangiles, il y a des enseignements paradoxaux : « Heureux les pauvres… », « Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier et les serviteurs de tous », « Qui veut sauver sa vie la perdra », etc… Ce sont des expressions paradoxales comme les trois demandes-indications rappelées aujourd’hui par le Messie comme conditions nécessaires pour le suivre. Ce sont des indications déconcertantes, qui expriment la nécessité d’un comportement qui va bien au-delà de ce que l’on appelle le bon sens. Toutefois, ces paradoxes évangéliques ne sont pas déraisonnables, mais ils ont une logique vraie et profonde.
- Le paradoxe chrétien
Pour comprendre la vérité et l’aspect raisonnable des « paradoxes » du Christ pour le suivre, il est important de se souvenir que, pour aller à sa suite, il faut un amour supérieur, « un plus » qui ne peut venir de nous, mais qui assume toujours l’épaisseur de la croix. Pour suivre Jésus, il faut avoir pour lui un amour supérieur à celui que nous avons pour notre famille, un amour plus grand que celui que chacun de nous a pour sa propre vie. Et il faut porter sa croix.
Mais qui en est capable ? Jésus nous invite à bien faire les comptes. Mais ce sont des comptes étranges. Moins on a, plus on est sûr de réussir. Plus on compte sur Jésus dans un total abandon et dans une confiance amoureuse, plus on est fort de la force du Seigneur (cf. 2 Cor 12,10). Plus on est pauvre de soi, plus on est riche du Christ et plein de sa force, qui soutient et pardonne. Pour suivre Jésus, il faut donc « renoncer à tous nos biens ».
Plus qu’une contradiction, cet appel du Christ semble une folie. L’appel du Christ n’est pas fou, déraisonnable. Il est logique. En effet, le Sauveur demande de « renoncer à tout » parce qu’on ne peut faire de compromis, on ne peut avoir le cœur qui louche et qui est divisé, sinon on mourrait déchiré. Il est nécessaire de « renoncer à tout » parce que pour être ses « disciples » et sauver le monde, nous devons uniquement avoir « tout » son amour » et « toute » sa grâce. Mélanger cela avec les ressources contaminées de notre fragilité charnelle signifierait rendre toute chose inutilisable. Nous sommes appelés à « renoncer à tous nos biens », de l’argent et des biens jusqu’à notre volonté propre, pour laisser le champ libre à l’amour et à la grâce de Dieu.
- Mère Teresa de Calcutta : un exemple actuel de « sequela »
Un exemple récent et tout à fait actuel de ce qu’il est possible de suivre le Christ en prenant au sérieux les trois exigences logiques, raisonnables, exprimées dans l’Évangile de ce jour : «1) « haïr » les personnes qui nous sont chères, jusqu’à notre propre vie, 2) porter notre croix, 3) et renoncer à tous nos biens, nous est donné par Mère Teresa de Calcutta que le pape François a proclamée sainte le 4 septembre 2016,
Cette sainte a fait une très forte expérience de l’amour de Dieu qui l’appelait en l’aimant. Pour elle, dans le quotidien d’une vie sur laquelle pesait la conscience de sa faiblesse et de l’aridité spirituelle, l’expérience de l’amour de Dieu a toujours eu le dessus. Elle avait copris que sa vie était de rester avec le Christ qui a soif de notre soif.
Sainte Teresa de Calcutta a répondu dans un abandon total, une confiance et une joie amoureuse à la vocation à laquelle le Seigneur l’a appelée directement. Elle est ainsi devenue un témoin exemplaire pour les chrétiens et les non-chrétiens de ces paroles du disciple bienaimé : « Bien-aimés, puisque Dieu nous a tellement aimés, nous devons, nous aussi, nous aimer les uns les autres. Dieu, personne ne l’a jamais vu. Mais si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, et, en nous, son amour atteint la perfection » (1 Jn 4,11-12). Que cet amour continue de nous inspirer pour que nous soyons des missionnaires de la charité en nous donnant de tout notre cœur à Jésus, en le servant dans les pauvres, les malades et les personnes seules et abandonnées.
La soif que le Christ a de nous, sur la croix, a fait comprendre à Mère Teresa de Calcutta que l’humanité de Jésus est le signe suprême de la révélation de Dieu à l’homme, qu’elle est la porte par laquelle il est nécessaire de passer pour comprendre ce qu’est la charité, ce qu’est la vie divine. La charité est Dieu qui descend parmi nous, se penche sur nous et étanche notre soif d’amour et d’un sens à notre vie. En même temps, de notre part, la charité consiste à embrasser l’humanité de Jésus. En accueillant les pauvres, nos frères, nous accueillons Jésus. Nous sommes Jésus les uns pour les autres.
Dieu, qui est l’eau vive, a besoin de notre pauvre eau, il a besoin que nous lui disions « oui » pour nous donner sa vie. Ainsi, le Rédempteur nous introduit dans un chemin qui nous identifie progressivement à lui. A travers sa soif, il nous rend conscients de notre soif, de nos véritables besoins.
Avec l’eau de sa miséricorde, il nous désaltère. De notre part, à l’exemple et par l’intercession de Mère Teresa, nous devons nous aussi répondre au cri du Christ en croix : « J’ai soif ». Si nous écoutons avec notre cœur, nous sentirons, nous comprendrons, nous ferons en profondeur l’expérience que Jésus a soif de nous, de chacun de nous et nous accueillerons l’invitation de la nouvelle sainte : « Suis ses pas à la recherche d’âmes. Apporte-le ainsi que sa lumière dans les maisons des pauvres, spécialement aux âmes qui en ont le plus besoin. Répands la charité de son cœur partout où tu vas, afin d’épancher sa soif des âmes ». Et la mère des pauvres parmi les pauvres ajoute : « Vous rendez-vous compte ?! Dieu a soif que toi et moi, nous nous offrions pour épancher sa soif ».
Comment les vierges consacrées dans le monde et dans l’Église répondent-elles à cette soif ? La forme spécifique de consécration dans l’Ordo Virginum (l’Ordre des Vierges), dans laquelle ces femmes vierges répondent à la soif du Christ est caractérisée par leur engagement à mener une vie de foi et de radicalité évangélique, dans les conditions ordinaires de l’existence. Les vierges consacrées dans le monde et totalement données au Christ se conforment au Christ en vivant radicalement l’Évangile et, de cette façon, elles répondent à sa soif de nous.
Par leur « propositum », elles s’engagent pour toujours à « suivre le Christ de plus près… unies par des noces mystiques au Fils de Dieu » (can 604,§ 1) au service de l’Église dans le monde. De cette manière, ces vierges consacrées prient leur travail, « le faisant avec lui, le faisant pour lui, le faisant en lui. Et, ce faisant, elles l’aiment. Et, en l’aimant, elles deviennent toujours plus unes avec lui et lui permettent de vivre sa vie en elles. Et cette vie du Christ en nous est la sainteté » (cf. sainte Teresa de Calcutta).
Pour ce dimanche, à la place de la lecture patristique, nous proposons une belle prière composée par les Pères Missionnaires de la charité à partir des enseignements de la nouvelle sainte.
PRIERE DE MERE TERESA
« J’AI SOIF DE TOI »
« C’est vrai. Je suis à la porte de ton cœur, jour et nuit. Même quand tu n’écoutes pas, même quand tu doutes que cela puisse être moi. Je suis là. J’attends ne serait-ce que le plus petit signe de ta réponse, ne serait-ce que l’invitation murmurée sur le ton le plus faible, qui me permette d’entrer.
Et je veux que tu saches que, chaque fois que tu m’invites, je viens – toujours, cela ne fait aucun doute. Je viens en silence et sans être vu, mais avec puissance et un amour infini, et en apportant les fruits abondants de mon Esprit. Je viens avec ma miséricorde, avec mon désir de te pardonner et de te guérir, et avec un amour pour toi au-delà de ce que tu peux comprendre, un amour grand comme celui que j’ai reçu du Père (« Comme le Père m’a aimé, ainsi je vous ai aimés » (Jn 15,9).
Je viens, avec le désir ardent de te consoler et de te donner de la force, de te relever et de panser toutes tes blessures. Je t’apporte ma lumière, pour disperser les ténèbres et tous tes doutes. Je viens avec ma puissance, afin de pouvoir te porter avec tous tes fardeaux ; je viens avec ma grâce pour toucher ton cœur et transformer ta vie ; et j’offre ma paix pour pacifier ton âme. Je te connais entièrement, je connais tout ce qui te concerne. J’ai compté tous les cheveux de ta tête.
Peu importe si tu es loin, errant, peu importe combien de fois tu m’oublies, peu importe combien de croix tu pourras porter en cette vie ; il y a une chose dont je veux que tu te souviennes toujours, quelque chose qui ne changera jamais : J’AI SOIF DE TOI, tel que tu es. Il n’est pas nécessaire que tu changes pour croire en mon amour, parce que ce sera ta confiance en mon amour qui te changera. Tu m’oublies, et pourtant je te cherche à chaque instant ; je suis à la porte de ton cœur et je frappe. Tu trouves qu’il est difficile de croire ? Alors, regarde la Croix, regarde mon cœur qui a été transpercé pour toi. Tu n’as pas compris ma Croix ? Alors écoute de nouveau les paroles que j’ai dites de là-haut, elles te disent clairement pourquoi j’ai souffert tout cela pour toi : « J’ai soif ! » (Jn 19,28).
Oui, j’ai soif de toi – comme le dit de moi le reste du psaume que je priais : « j’espérais un secours, mais en vain, des consolateurs, je n’en ai pas trouvé » (Ps 69, 21). Pendant toute ta vie, j’ai cherché ton amour, je n’ai jamais cessé de chercher à t’aimer et à être aimé de toi. Tu as essayé tant d’autres choses à la recherche du bonheur ; pourquoi ne cherches-tu pas à m’ouvrir ton cœur justement maintenant, plus que tu ne l’as jamais fait jusqu’ici ? Chaque fois que tu ouvriras la porte de ton cœur, chaque fois que tu seras assez près, tu m’entendras te redire sans cesse, non pas en paroles purement humaines, mais en esprit : « Ce que tu as fait n’importe pas, je t’aime pour toi-même. Viens à moi avec ta misère et tes péchés, avec tes préoccupations et tes besoins et avec tout ton désir ardent d’être aimé. Je suis à la porte de ton cœur et je frappe… Ouvre-moi parce que J’AI SOIF DE TOI ».
[1] Naturellement, saint Luc n’entend pas le verbe “haïr” dans le vrai sens du terme. Il sait bien qu’il faut aimer et respecter ses parents. Il s’agit, pour lui aussi, non pas de haine mais de détachement, de préférence du Royaume: toutefois, il a conservé le verbe “misein” qui indique, sans doute, un détachement particulièrement radical. Il ne s’agit pas simplement de rompre les liens avec sa famille, et il ne suffit pas d’un détachement générique de soi-même: l’exemple de Jésus est très concret et précis : il faut être disposé à porter sa croix (Lc 14,27), c’est-à-dire à un sacrifice de soi effectif et total.
[2] L’étymologie du terme “paradoxe” nous aide à mieux en comprendre la signification: il s’agit d’un terme d’origine grecque “para-doxos” (= contraire à l’opinion commune et, par conséquent, inattendu, surprenant), qui indique une affirmation en opposition évidente avec les expectatives et les expériences les plus communes et habituelles, mais qui – soumise à un examen critique et approfondi – se révèle au contraire très valable, et même manifeste une vérité particulièrement riche et profonde et, justement, “inattendue, surprenante”