Bureau de presse du Saint-Siège
29 juillet 2022
À son arrivée à l’aéroport international d’Iqaluit, à 15 h 38 (21 h 38, heure de Rome), le Saint-Père a été accueilli par l’évêque de Churchill-Baie d’Hudson, S.E. Monseigneur Anthony Wiesław Krótki, O.M.I., et par quelques autorités locales. Puis, après avoir passé quelques minutes dans le salon d’honneur, il s’est rendu en voiture à l’école primaire Nakasuk où, à 16 h 15 (22 h 15, heure de Rome), il a rencontré en privé quelques élèves des anciens pensionnats.
Après les mots de salutation au Saint-Père de la part de quelques élèves, la récitation du Notre-Père et la Bénédiction, le pape s’est rendu sur le parvis pour la rencontre avec les jeunes et les personnes âgées.
Chers frères et soeurs, bonsoir !
Je vous salue cordialement Madame la Gouverneure générale et vous tous, je suis heureux de vous rencontrer. Je vous remercie pour vos paroles, ainsi que pour les chants, les danses et les musiques, que j’ai beaucoup appréciés!
Tout à l’heure, j’ai écouté plusieurs d’entre vous, d’anciens élèves des écoles résidentielles : merci pour ce que vous avez eu le courage de dire, en partageant de grandes souffrances. Cela a réveillé en moi l’indignation et la honte que j’éprouve depuis des mois. Aujourd’hui encore, ici même, je voudrais vous dire que je suis très attristé et que je désire demander pardon pour le mal commis par un certain nombre de catholiques qui, dans ces écoles, ont contribué aux politiques d’assimilation culturelle et d’affranchissement. Je me suis souvenu du témoignage d’une personne âgée qui décrivait la beauté du climat qui régnait dans les familles autochtones avant l’avènement du système des écoles résidentielles. Il comparait cette saison où, les grands-parents, les parents et les enfants étaient harmonieusement ensemble, au printemps, lorsque les oiseaux chantent heureux autour de leur mère.
Mais tout à coup – disait-il – le chant s’est arrêté : les familles ont été désagrégées, les enfants emportés, loin de leur milieu ; l’hiver est descendu sur tout.
De telles paroles, tout en provoquant la douleur, suscitent aussi le scandale ; encore plus si nous les comparons à la Parole de Dieu, qui commanda : « Honore ton père et ta mère, afin d’avoir longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu » (Ex 20, 12). Cette possibilité n’a pas existé pour beaucoup de vos familles, elle a disparu lorsque les enfants ont été séparés de leurs parents, et que leur propre pays a été perçu comme dangereux et étranger. Ces assimilations forcées évoquent une autre page biblique, le récit du juste Nabot (cf. 1 Rois, 21), qui ne voulait pas céder la vigne héritée de ses pères à celui qui, en gouvernant, était disposé à utiliser tous les moyens pour la lui arracher. Et ces paroles fortes de Jésus viennent aussi à l’esprit contre celui qui scandalise les petits et méprise un seul d’entre eux (cf. Mt 18, 6.10). Comme il est mauvais de briser les liens entre parents et enfants, de blesser les êtres les plus chers, de nuire et de scandaliser les petits !
Chers amis, nous sommes ici animés de la volonté de parcourir ensemble un parcours de guérison et de réconciliation qui, avec l’aide du Créateur, nous aide à faire la lumière sur ce qui s’est passé et à surmonter ce sombre passé. En parlant de vaincre les ténèbres, encore maintenant, tout comme lors de notre réunion de fin mars, vous avez allumé le qulliq. En plus de donner de la lumière pendant les longues nuits d’hiver, il permettait, en répandant la chaleur, de résister à la rigueur du climat : il était donc essentiel pour vivre. Aujourd’hui encore, il reste un beau symbole de vie, d’une vie lumineuse qui ne se laisse pas vaincre par les ténèbres de la nuit. Ainsi, vous êtes un témoignage constant de la vie qui ne s’éteint pas, d’une lumière qui resplendit et que personne n’a réussi à étouffer.
Je suis plein de gratitude pour l’opportunité qui m’est offerte d’être ici au Nunavut, au sein de l’Inuit Nunangat. J’ai essayé d’imaginer, après notre rencontre à Rome, ces vastes lieux que vous habitez depuis des temps immémoriaux et qui pour d’autres seraient hostiles. Vous avez su les aimer, les respecter, les conserver et les valoriser, en transmettant de génération en génération des valeurs fondamentales, telles que le respect pour les personnes âgées, un sens authentique de fraternité et le soin de l’environnement. Il y a une belle correspondance entre vous et la terre que vous habitez, parce qu’elle aussi est forte et résiliente, et elle répond avec tant de lumière à l’obscurité qui, pendant une grande partie de l’année, l’enveloppe. Mais cette terre aussi délicate comme chaque personne et peuple, et il faut en prendre soin. Prendre soin, transmettre le soin : les jeunes sont appelés à cela en particulier, soutenus par l’exemple des personnes âgées ! Prendre soin de la terre, prendre soin des gens, prendre soin de l’histoire.
Je voudrais alors m’adresser à toi, jeune Inuit, avenir de cette terre et présent de son histoire. Je voudrais te dire, en citant un grand poète : « Ce que tu as hérité de tes pères, reconquiers-le si tu veux vraiment le posséder » (J.W. Von Goethe, Faust, I, Nacht). Il ne suffit pas de vivre de rente, il faut reconquérir ce qu’on a reçu en don. Ne crains donc pas peur d’écouter et de réécouter les conseils des plus âgés, d’embrasser ton histoire pour en écrire de nouvelles pages, de te passionner, de prendre position face aux évènements et aux personnes, de t’impliquer ! Et pour t’aider à faire briller la lampe de ton existence, j’aimerais moi aussi te donner, en tant que frère aîné, trois conseils.
Le premier : marche vers le haut. Tu habites ces vastes régions du nord. Qu’elles te rappellent ta vocation à tendre vers le haut, sans te laisser entraîner vers le bas par ceux qui veulent te faire croire qu’il vaut mieux ne penser qu’à toi seul et à utiliser le temps que tu as uniquement pour tes loisirs et tes intérêts. Mon ami, tu n’es pas fait pour vivoter, pour passer tes journées à équilibrer les devoirs et les plaisirs, mais pour t’élever vers le haut, vers les désirs les plus vrais et les plus beaux que tu portes dans ton coeur, vers Dieu à aimer et le prochain à servir. Ne penses pas que les grands rêves de la vie sont des cieux inaccessibles. Tu es fait pour prendre ton envol, pour embrasser le courage de la vérité et promouvoir la beauté de la justice, pour « élever ton tempérament moral, être compatissant, servir les autres et construire des relations » (cf. Inunnguiniq Iq Principles, nn. 3-4), pour semer la paix et le soin là où tu te trouves ; pour raviver l’enthousiasme de ceux qui vivent autour de toi; pour aller de l’avant, non pas pour tout aplanir.
Mais – tu me diras peut-être – vivre ainsi est plus difficile que de voler. Certes, ce n’est pas facile, parce que cette « force de gravité spirituelle » qui pousse pour nous entraîner vers le bas, pour paralyser nos désirs, pour affaiblir la joie, est toujours à l’affût. Alors, pense à l’hirondelle de l’arctique que nous appelons « charrán » : elle ne laisse pas les vents contraires ou les changements de température l’empêcher d’aller d’un bout à l’autre de la terre ; elle choisit parfois des voies qui ne sont pas directes, elle accepte des détours, s’adapte à certains vents… Mais elle garde toujours clairement le cap, elle arrive toujours à destination. Tu rencontreras des gens qui essaieront d’effacer tes rêves, qui te diront de te contenter de peu, de te battre seulement pour ce qui te convient. Alors tu te demanderas : pourquoi dois-je me battre pour ce en quoi les autres ne croient pas ? Et encore : comment puis-je décoller à dans un monde qui semble tomber toujours plus bas entre scandales, guerres, tricheries, injustice, destruction de l’environnement, indifférence envers les plus faibles, déceptions de la part de qui devrait donner l’exemple ? Face à ces questions, quelle est la réponse ?
Je voudrais te dire : tu es la réponse. Toi, mon frère, toi, ma soeur. Non seulement parce que si tu abandonnes, tu as déjà perdu d’avance, mais parce que l’avenir est entre tes mains. Dans tes mains se trouve la communauté qui t’a engendré, l’environnement dans lequel tu vis, l’espérance de tes pairs, de ceux qui, même sans te le demander, attendent de toi le bien original et irremplaçable que tu peux introduire dans l’histoire, car « chacun de nous est unique » (cf. Principle, n. 5). Le monde que tu habites est la richesse dont tu as hérité : aime-le, comme celui qui t’a aimé t’a donné la vie et les joies les plus grandes, comme Dieu t’aime, Dieu qui pour toi a créé tout ce qui existe de beau et ne cesse jamais de te faire confiance, pas même un instant. Il croit à tes talents. Chaque fois que tu le cherches, tu comprendras que le chemin qu’il t’appelle à parcourir tend toujours vers le haut. Tu le sentiras quand tu regarderas le ciel en priant et surtout quand tu lèveras les yeux vers le Crucifié. Tu comprendras que de la croix, Jésus ne te pointe jamais du doigt, mais t’embrasse et t’encourage, car il croit en toi même lorsque tu as cessé de croire en toi-même. Alors tu ne perdras jamais espoir, bats-toi, implique-toi à fond et tu ne le regretteras pas. Avance sur le chemin, « pas à pas vers le meilleur » (cf. Principle n. 6). Mets le navigateur de ton existence vers une fin plus grande, vers le haut !
Le deuxième conseil : viens à la lumière. Dans les moments de tristesse et de découragement, pense au qulliq : il contient un message pour toi. Lequel ? Que tu vis pour renaître chaque jour. Pas seulement le jour de ta naissance, quand ça ne dépendait pas de toi, mais chaque jour. Tu es appelé à apporter au quotidien une lumière nouvelle au monde, celle de tes yeux, de ton sourire, du bien que toi seul peux offrir. Mais, pour voir le jour, il faut lutter chaque jour contre l’obscurité. Oui, il y a un combat quotidien entre la lumière et les ténèbres, qui ne se produit pas quelque part là-bas, mais à l’intérieur de chacun de nous. La voie de la lumière demande des choix courageux du coeur contre l’obscurité des mensonges, elle demande de « développer de bonnes habitudes pour bien vivre » (cf. Principle, n. 1), de ne pas poursuivre des traînées lumineuses qui disparaissent aussitôt, des feux d’artifice qui ne laissent que de la fumée. Ce sont des « illusions, parodies du bonheur », comme le disait ici au Canada saint Jean-Paul II : « Il n’est sans doute pas de ténèbres plus épaisses que celles qui s’insinuent dans l’âme des jeunes lorsque de faux prophètes éteignent en eux la lumière de la foi, de l’espérance et de l’amour » (Homélie de la XVIIe Journée Mondiale de la Jeunesse, Toronto, 28 juillet 2002). Mon frère, ma soeur, Jésus est proche de toi et désire illuminer ton coeur pour te faire venir à la lumière. Il a dit : « Je suis la lumière du monde » (Jn 8, 12), mais il a aussi dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14). Toi aussi, donc, tu es la lumière du monde et tu le deviendras de plus en plus, si tu luttes pour éloigner de ton coeur la triste obscurité du mal.
Pour apprendre à le faire, il faut acquérir un art continu, qui exige de « surmonter les difficultés et les contradictions à travers une recherche continue de solutions » (cf. Principle, n. 2). C’est l’art de séparer chaque jour la lumière des ténèbres. Pour créer un monde bon, dit la Bible, Dieu a commencé précisément ainsi, en séparant la lumière des ténèbres (cf.Gn 1, 4). Nous aussi, si nous voulons devenir meilleurs, nous devons apprendre à distinguer la lumière des ténèbres. Par où commence-t-on ? tu peux commencer en te demandant : qu’est-ce qui me semble brillant et séduisant, mais qui me laisse ensuite un grand vide à l’intérieur ? C’est l’obscurité ! Qu’est-ce qui, au contraire, me fait du bien et me laisse la paix dans le coeur, même si cela exige de moi que je sorte d’abord de certains conforts et de dominer certains instincts ? C’est cela la lumière ! Et – je me demande encore – quelle est la force qui nous permet de séparer en nous la lumière des ténèbres, qui nous fait dire « non » aux tentations du mal et « oui » aux occasions de bien ? C’est la liberté. Liberté qui n’est pas faire tout ce que je veux et qui me plaît; ce n’est pas ce que je peux faire malgré les autres, mais pour les autres ; ce n’est pas un arbitraire total, mais une responsabilité. La liberté est le plus grand don que notre Père céleste nous a donné en même temps que la vie. Un poète, se demandant quelle est la plus grande satisfaction qu’un fils puisse donner à un père, a écrit de belles paroles que je vous lis :
« Demandez à ce père si le meilleur moment,
n’est pas quand ses fils commencent à l’aimer comme des hommes, lui-même comme un homme,
librement […].
Or je suis leur père, dit Dieu, et je connais la condition de l’homme. [… ]
Toutes les soumissions d’esclaves du monde me répugnent et je donnerais tout pour un beau regard d’homme libre […].
À cette liberté, à cette gratuité j’ai tout sacrifié, dit Dieu […].
Pour créer cette liberté, cette gratuité,
Pour faire jouer cette liberté, cette gratuité »
(C. PÉGUY, Le mystère des saints innocents, in Lui, est ici, Milan 1998, 373-375).
Voilà le bonheur de Dieu : non pas quand nous sommes soumis à Lui, mais lorsque nous vivons en enfants qui choisissent de l’aimer, en mettant en jeu leur liberté. Si tu voeux rendre Dieu heureux, c’est le chemin, choisir le bien ! Courage mon frère, courage ma soeur, prends-en main ta liberté, n’aie pas peur de faire des choix forts, viens à la lumière chaque jour !
Enfin, le troisième conseil : fais équipe. Les jeunes font de grandes choses ensemble, pas seuls. Parce que vous les jeunes, vous êtes comme les étoiles du ciel, qui ici brillent d’une manière merveilleuse : leur beauté naît de l’ensemble, des constellations qu’elles forment, et qui donnent lumière et orientation aux nuits du monde. Vous aussi, appelés aux hauteurs du ciel et à briller sur la terre, vous êtes faits pour briller ensemble. Il faut permettre aux jeunes de faire équipe, d’être en mouvement : ils ne peuvent pas passer leurs journées isolés, tenus en otage par un téléphone ! Les grands glaciers de ces terres me font penser au sport national du Canada, le hockey sur glace. Comment le Canada parvient-il à remporter toutes ces médailles olympiques ? Comment Sarah Nurse ou Marie-Philip Poulin ont-elles fait pour marquer autant de buts ? Le hockey conjugue aussi bien la discipline et la créativité, que la tactique et le physique ; mais l’esprit d’équipe fait toujours la différence, une condition indispensable pour faire face aux circonstances imprévisibles du jeu. Faire équipe signifie croire que pour atteindre de grands objectifs, on ne peut pas aller de l’avant tout seuls ; il faut se déplacer ensemble, avoir la patience de tisser des réseaux de passages denses. Cela signifie aussi laisser de la place aux autres, sortir rapidement quand c’est votre tour et encourager vos coéquipiers. Voilà l’esprit d’équipe !
Mes amis, marchez vers le haut, venez à la lumière chaque jour, faites équipe ! Et vous faites tout cela dans votre propre culture, dans le beau langage Inuktitut. Je vous souhaite, en écoutant les personnes âgées et en puisant à la richesse de vos traditions et de votre liberté, d’embrasser l’Évangile gardé et transmis par vos ancêtres et de rencontrer le visage Inuk de Jésus Christ. Je vous bénis de tout coeur et je vous dis : qujannamiik! [merci ! ]