Bureau de presse du Saint-Siège, N. 0560
Le 27 juillet 2022 à 17 h 45 (23 h 45, heure de Rome), le Saint-Père François rencontre les autorités civiles, les représentants des peuples autochtones et les membres du corps diplomatique à la Citadelle de Québec.
Après les salutations de la gouverneure générale du Canada, l’honorable Mary Simon, le pape François prononce son discours. À la fin, le Gouverneur général et le Premier ministre accompagnent le pape jusqu’à l’entrée pour ses adieux. Le Saint-Père se rend ensuite en Papemobile à l’Archevêché où il dîne en privé.
Nous publions ci-dessous le discours du pape lors de la rencontre avec les autorités civiles, les représentants des peuples autochtones et les membres du corps diplomatique :
Madame la Gouverneure Générale,
Monsieur le Premier Ministre,
Distinguées Autorités civiles et religieuses,
Chers Représentants des peuples autochtones,
Illustres Membres du Corps Diplomatique,
Mesdames et Messieurs !
Je vous salue cordialement et je remercie Madame Mary Simon et Monsieur Justin Trudeau pour ses aimables paroles. Je suis heureux de m’adresser à vous, qui avez la responsabilité de servir les habitants de ce grand pays qui, « de la mer à la mer », offre un patrimoine naturel extraordinaire. Parmi les nombreuses beautés, je pense aux immenses et spectaculaires forêts d’érables, qui rendent le paysage canadien unique et coloré. Je voudrais m’inspirer du symbole par excellence de ces terres, la feuille d’érable qui, des armoiries du Québec, s’est répandue rapidement jusqu’à devenir l’emblème qui figure sur le drapeau du pays.
Si cela s’est produit assez récemment, les érables conservent cependant la mémoire de nombreuses générations passées, bien avant que les colons n’arrivent sur le sol canadien. Les peuples autochtones y extrayaient la sève avec laquelle ils fabriquaient des sirops nutritifs. Cela nous fait penser à leur assiduité, toujours attentive à sauvegarder la terre et l’environnement, fidèle à une vision harmonieuse de la création qui est un livre ouvert qui enseigne à l’homme à aimer le Créateur et à vivre en symbiose avec les autres êtres vivants. Il y a beaucoup à apprendre de cela, de la capacité de se mettre à l’écoute de Dieu, des personnes et de la nature. Nous en avons particulièrement besoin dans la frénésie tourbillonnante du monde d’aujourd’hui, caractérisé par une constante « accélération des changements », qui rend difficile un développement réellement humain, durable et intégral (cf. Lett. enc. Laudato si’, n. 18), finissant par engendrer une « société de la fatigue et de la désillusion », qui peine à retrouver le goût de la contemplation, la saveur authentique des relations, la mystique de l’ensemble. Comme nous avons besoin de nous écouter, de dialoguer, pour nous éloigner de l’individualisme dominant, des jugements hâtifs, de l’agressivité envahissante, de la tentation de diviser le monde en bons et en mauvais ! Les grandes feuilles d’érable, qui absorbent l’air pollué et restituent l’oxygène, invitent à nous émerveiller de la beauté de la création et à nous laisser attirer par les valeurs salutaires présentes dans les cultures autochtones : elles sont une source d’inspiration pour nous tous et peuvent contribuer à guérir les habitudes nuisibles d’exploiter. Exploiter, la création, les relations, le temps, et régler l’activité humaine uniquement sur la base de l’utile et du profit.
Ces enseignements vitaux, cependant, ont été violemment combattus dans le passé. Je pense surtout aux politiques d’assimilation et d’affranchissement, qui comprennent aussi le système des écoles résidentielles, qui ont détruit de nombreuses familles autochtones, en compromettant leur langue, leur culture et leur vision du monde. Dans ce système déplorable, promu par les autorités gouvernementales de l’époque, qui a séparé de nombreux enfants de leurs familles, diverses institutions catholiques locales y ont été impliquées ; c’est pourquoi j’exprime honte et douleur et, avec les évêques de ce pays, je renouvelle ma demande de pardon pour le mal que de nombreux chrétiens ont commis contre les peuples autochtones. Pour tout cela, je demande pardon. Il est tragique quand des croyants, comme ce fut le cas à cette période historique, s’adaptent aux convenances du monde plutôt qu’à l’Évangile. Si la foi chrétienne a joué un rôle essentiel dans la formation des idéaux les plus élevés du Canada, caractérisés par le désir de construire un pays meilleur pour tous ses habitants, il est nécessaire, en admettant nos fautes, de nous engager ensemble afin de réaliser ce que je sais que vous partagez tous : promouvoir les droits légitimes des peuples autochtones et favoriser des processus de guérison et de réconciliation entre elles et les non-autochtones du pays. Cela se reflète dans votre engagement à répondre de manière adéquate aux appels de la Commission pour la vérité et la réconciliation, ainsi que dans votre souci de reconnaître les droits des peuples autochtones.
Le Saint-Siège et les communautés catholiques locales nourrissent la volonté concrète de promouvoir les cultures autochtones, avec des chemins spirituels appropriés et adaptés, qui comprennent également l’attention aux traditions culturelles, aux coutumes, aux langues et aux processus éducatifs propres, dans l’esprit de la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones. Notre désir est de renouveler la relation entre l’Église et les peuples autochtones du Canada, une relation marquée à la fois par un amour qui a porté d’excellents fruits et, malheureusement, par des blessures que nous nous engageons à comprendre et à soigner. Je suis très reconnaissant d’avoir rencontré et écouté ces derniers mois à Rome plusieurs représentants des peuples autochtones, et de pouvoir renforcer, ici au Canada, les belles relations nouées avec eux. Les moments vécus ensemble ont laissé en moi une empreinte et le désir profond de faire nôtre l’indignation et la honte pour les souffrances subies par les autochtones, en promouvant un chemin fraternel et patient à entreprendre avec tous les Canadiens, selon la vérité et la justice, en œuvrant pour la guérison et la réconciliation, toujours animés par l’espérance.
Cette « histoire de douleur et de mépris », issue d’une mentalité colonisatrice, « ne se guérit pas facilement ». En même temps, elle nous met en garde contre le fait que « la colonisation ne s’arrête pas, elle se transforme même en certains lieux, se déguise et se dissimule » (Exhort. ap. Querida Amazonia, n. 16). C’est le cas des colonisations idéologiques. Si, autrefois, la mentalité colonialiste a négligé la vie concrète des personnes en imposant des modèles culturels préétablis, aujourd’hui encore, des colonisations idéologiques qui s’opposent à la réalité de l’existence étouffent l’attachement naturel aux valeurs des peuples, en essayant d’en déraciner les traditions, l’histoire et les liens religieux, ne manquent pas. Il s’agit d’une mentalité qui, en supposant avoir dépassé “les pages sombres de l’histoire”, fait place à cette cancel culture qui évalue le passé uniquement sur la base de certaines catégories actuelles. Ainsi s’implante une mode culturelle qui uniformise, rend tout égal, ne tolère pas de différences et ne se concentre que sur le moment présent, sur les besoins et les droits des individus, en négligeant souvent les devoirs envers les plus faibles et les plus fragiles : les pauvres, les migrants, les personnes âgées, les malades, les enfants à naître… Ce sont eux qui sont oubliés dans les sociétés du bien-être ; ce sont eux qui, dans l’indifférence générale, sont jetés comme des feuilles sèches à brûler.
Les cimes multicolores riches des arbres d’érable nous rappellent en revanche l’importance de l’ensemble, de faire progresser des communautés humaines non homologuées, mais réellement ouvertes et inclusives. Et comme chaque feuille est fondamentale pour enrichir les cimes, de même chaque famille, cellule essentielle de la société, doit être valorisée, car « l’avenir de l’humanité passe par la famille » (S. Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio, n. 86). Elle est la première réalité sociale concrète, mais elle est menacée par de nombreux facteurs : violence domestique, frénésie professionnelle, mentalité individualiste, carriérisme effréné, chômage, solitude des jeunes, abandon des personnes âgées et des malades… Les peuples autochtones ont beaucoup à nous apprendre sur la garde et la protection de la famille, où déjà dès l’enfance, on apprend à reconnaître ce qui est bien et ce qui est mal, à dire la vérité, à partager, à corriger les torts, à recommencer, à se réconforter, à se réconcilier. Que le mal subi par les peuples autochtones, et dont nous avons honte maintenant, nous serve aujourd’hui de mise en garde, afin que le soin et les droits de la famille ne soient pas mis de côté au nom d’éventuels exigences productives et d’intérêts individuels.
Revenons à la feuille d’érable. En temps de guerre, les soldats en faisaient usage comme pansements et médicaments pour les blessures. Aujourd’hui, face à la folie insensée de la guerre, nous avons de nouveau besoin d’apaiser les extrémismes de l’opposition et de soigner les blessures de la haine. Un témoin de violences tragiques passées a récemment dit que « la paix a son secret : ne jamais haïr personne. Si l’on veut vivre, il ne faut jamais haïr » (Interview d’E. Bruck, dans “Avvenire”, 8 mars 2022). Nous n’avons pas besoin de diviser le monde en amis et en ennemis, de prendre les distances et de nous réarmer jusqu’aux dents : ce ne sera pas la course aux armements et les stratégies de dissuasion qui apporteront la paix et la sécurité. Il n’est pas nécessaire de se demander comment continuer les guerres, mais comment les arrêter. Et d’empêcher que les peuples soient de nouveau pris en otage par l’emprise d’effrayantes guerres froides qui s’élargissent encore. Nous avons besoin de politiques créatives et prévoyantes, qui sachent sortir des schémas des parties, pour apporter des réponses aux défis mondiaux.
En effet, les grands défis actuels tels que la paix, les changements climatiques, les effets pandémiques et les migrations internationales ont en commun une constante : ils sont mondiaux, ce sont des défis mondiaux, ils concernent tout le monde. Et si tous parlent de la nécessité de l’ensemble, la politique ne peut rester prisonnière d’intérêts partisans. Il faut savoir regarder, comme l’enseigne la sagesse autochtone, les sept générations futures, non pas les convenances immédiates, les échéances électorales, le soutien des lobbies. Et valoriser aussi les désirs de fraternité, de justice et de paix des jeunes générations. Oui, comme il est nécessaire, pour retrouver la mémoire et la sagesse, d’écouter les personnes âgées, ainsi pour avoir élan et avenir, il faut embrasser les rêves des jeunes. Ils méritent un avenir meilleur que celui que nous leur préparons, ils méritent d’être impliqués dans les choix pour la construction du présent et de l’avenir, en particulier pour la sauvegarde de la maison commune, pour laquelle les valeurs et les enseignements des peuples autochtones sont précieux. À ce propos, je voudrais saluer l’engagement local louable en faveur de l’environnement. On pourrait presque dire que les emblèmes tirés de la nature, comme le lys sur le drapeau de cette Province du Québec, et la feuille d’érable sur celui du pays, confirment la vocation écologique du Canada.
Lorsque la Commission spéciale a été amenée à évaluer les milliers de maquettes parvenues pour la réalisation du drapeau national, dont beaucoup étaient envoyées par des gens ordinaires, surprises que presque toutes contenaient précisément la représentation de la feuille d’érable. La participation autour de ce symbole partagé me suggère de souligner une parole fondamentale pour les Canadiens : le multiculturalisme. Il est à la base de la cohésion d’une société aussi composite que les couleurs variées des cimes des érables. La même feuille d’érable, avec sa multiplicité de pointes et de bords, fait penser à une figure polyédrique et dit que vous êtes un peuple capable d’inclure, afin que ceux qui arrivent puissent trouver une place dans cette unité multiforme et y apporter leur contribution originale (cf. Evangelii gaudium, n. 236). Le multiculturalisme est un défi permanent : c’est d’accueillir et d’embrasser les différentes composantes présentes, tout en respectant, en même temps, la diversité de leurs traditions et cultures, sans penser que le processus soit accompli une fois pour toutes. Je salue à cet égard votre générosité pour l’accueil de nombreux migrants ukrainiens et afghans. Mais il faut aussi travailler pour dépasser la rhétorique de la peur à l’égard des immigrés et pour leur donner, selon les moyens dont dispose le pays, la possibilité concrète d’être impliqués de manière responsable dans la société. Pour ce faire, les droits et la démocratie sont indispensables. Il est également nécessaire de faire face à la mentalité individualiste, en rappelant que la vie commune repose sur des présupposés que le système politique ne peut produire à lui seul. Là aussi, la culture autochtone est d’un grand soutien pour rappeler l’importance des valeurs de la socialisation. Et l’Église catholique de même, avec sa dimension universelle et son soin envers les plus fragiles, avec le légitime service en faveur de la vie humaine dans toutes ses phases, de la conception jusqu’à la mort naturelle, est heureuse d’offrir sa contribution.
Ces jours-ci, j’ai entendu parler de nombreuses personnes dans le besoin qui frappent aux portes des paroisses. Même dans un pays aussi développé et avancé que le Canada, qui consacre beaucoup d’attention à l’assistance sociale, nombreux sont les sans-abri qui comptent sur les églises et les banques alimentaires pour recevoir aide et réconfort essentiels, qui – ne l’oublions pas – ne sont pas seulement matériels. Ces frères et sœurs nous amènent à considérer l’urgence de travailler pour remédier à l’injustice radicale qui pollue notre monde, dont l’abondance des dons de la création est répartie de manière trop inégale. Il est scandaleux que le bien-être généré par le développement économique ne profite pas à tous les secteurs de la société. Et il est triste que ce soit précisément parmi les autochtones que l’on enregistre souvent de nombreux taux de pauvreté, auxquels se rattachent d’autres indicateurs négatifs, tels que le faible taux de scolarisation, l’accès difficile au logement et à l’assistance sanitaire. Que l’emblème de la feuille d’érable, qui apparaît habituellement sur les étiquettes des produits du pays, soit un encouragement pour tous à faire des choix économiques et sociaux visant au partage et au soin des nécessiteux.
C’est en travaillant d’un commun accord, ensemble, que l’on affronte les défis pressants d’aujourd’hui. Je vous remercie de l’hospitalité, de l’attention et de l’estime, en vous disant avec une affection sincère que le Canada et ses habitants me tiennent vraiment à cœur.
Copyright © Dicastero per la Comunicazione – Libreria Editrice Vaticana