Le pape François exhorte à « défendre la famille » : « Ne permettons pas qu’elle soit polluée par les poisons de l’égoïsme, de l’individualisme, de la culture de l’indifférence et du rejet, et qu’elle perde ainsi son “ADN” qui est l’hospitalité et l’esprit de service », a-t-il dit dans son homélie, samedi 25 juin 2022.
Le pape François a prononcé l’homélie de la messe qui a clôturé la Xe Rencontre mondiale des familles (22-26 juin 2022), Place Saint-Pierre, samedi 25 juin dernier en fin d’après-midi. Commentant la seconde lecture, il a souligné le rôle de « la liberté intérieure » : celle que le Christ « nous a acquise au prix de son sang est entièrement tournée vers l’amour, afin que vous soyez, « par amour, au service les uns des autres ».
En décidant de former une famille, a dit le pape aux époux, « vous avez fait le choix courageux de ne pas utiliser votre liberté pour vous-mêmes, mais pour aimer les personnes que Dieu a mises à côté de vous ». Cela comporte également des difficultés que le pape François a invité à « transformer en accueil de l’autre, en amour gratuit », « avec la grâce du Christ ».
Aux parents inquiets quant à l’avenir de leurs enfants, le pape a adressé cet encouragement : « si vous aidez les enfants à découvrir et à accueillir leur vocation, vous verrez qu’ils seront “saisis” par cette mission et qu’ils auront la force d’affronter et de surmonter les difficultés de la vie ». Et il a ajouté : « Pour un éducateur, la meilleure façon d’aider un autre à suivre sa vocation, c’est d’embrasser la sienne propre avec un amour fidèle ».
HG
Homélie du pape François
Dans le cadre de la 10ème Rencontre mondiale des Familles, c’est le moment de l’action de grâce. Avec gratitude, nous apportons aujourd’hui devant Dieu – comme dans un grand offertoire – tout ce que l’Esprit Saint a semé en vous, chères familles. Certains d’entre vous ont participé aux moments de réflexion et de partage, ici, au Vatican. D’autres les ont animés et les ont vécus dans leurs diocèses respectifs, en une sorte d’immense constellation. J’imagine la richesse d’expériences, d’intentions, de rêves, avec aussi les soucis et les incertitudes qui ne manquent pas. Nous présentons maintenant tout cela au Seigneur, et nous lui demandons de vous soutenir de sa force et de son amour. Vous êtes des papas, des mamans, des enfants, des grands-parents, des oncles et tantes ; vous êtes adultes, enfants, jeunes, personnes âgées ; chacun avec une expérience de famille différente, mais tous avec la même espérance devenue prière : que Dieu bénisse et protège vos familles et toutes les familles du monde.
Saint Paul, dans la deuxième Lecture, nous a parlé de liberté. La liberté est l’un des biens les plus appréciés et recherchés par l’homme moderne et contemporain. Chacun veut être libre, ne pas être conditionné, ne pas être limité, et aspire donc à s’affranchir de toute forme de “prison” : culturelle, sociale, économique. Et pourtant, combien de personnes manquent de la plus grande liberté : la liberté intérieure ! L’Apôtre nous rappelle, à nous chrétiens, qu’elle est avant tout un don, lorsqu’il s’exclame : « C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a libérés » (Ga 5, 1). La liberté nous a été donnée. Nous naissons tous avec de nombreux conditionnements, intérieurs et extérieurs, et surtout avec la tendance à l’égoïsme, c’est-à-dire à nous mettre au centre et à faire nos intérêts. Mais le Christ nous a libérés de cet esclavage. Pour éviter tout doute, saint Paul nous avertit que la liberté qui nous est donnée par Dieu n’est pas la fausse et vaine liberté du monde, qui en réalité est « un prétexte pour la chair » (Ga 5, 13). Non, la liberté que le Christ nous a acquise au prix de son sang est entièrement tournée vers l’amour, afin que – comme l’Apôtre le disait et nous le dit aujourd’hui – vous soyez, « par amour, au service les uns des autres » (ibid.).
Vous tous, époux, en formant votre famille, avec la grâce du Christ, vous avez fait ce choix courageux de ne pas utiliser votre liberté pour vous-mêmes, mais pour aimer les personnes que Dieu a mises à côté de vous. Au lieu de vivre comme des “îlots”, vous vous êtes mis “au service les uns des autres”. C’est ainsi que la liberté se vit en famille ! Il n’existe pas de “planètes” ou de “satellites” qui voyagent chacun sur sa propre orbite. La famille est le lieu de la rencontre, du partage, de la sortie de soi pour accueillir l’autre et lui être proche. Elle est le premier lieu où l’on apprend à aimer.
Frères et sœurs, si nous répétons cela avec beaucoup de conviction, nous savons bien, que dans les faits, il n’en est pas toujours ainsi, pour de nombreuses raisons et dans de nombreuses situations différentes. Et alors que nous affirmons la beauté de la famille, nous sentons plus que jamais que nous devons la défendre. Ne permettons pas qu’elle soit polluée par les poisons de l’égoïsme, de l’individualisme, de la culture de l’indifférence et du rejet, et qu’elle perde ainsi son “ADN” qui est l’hospitalité et l’esprit de service.
La relation entre les prophètes Élie et Elisée, présentée dans la première Lecture, nous fait penser à la relation entre les générations, au “passage de témoin” entre parents et enfants. Cette relation dans le monde d’aujourd’hui n’est pas simple et elle est souvent source de soucis. Les parents craignent que les enfants ne soient pas en mesure de s’orienter dans la complexité et la confusion de nos sociétés, où tout semble chaotique et précaire, et qu’à la fin ils perdent leur chemin. Cette peur rend certains parents anxieux, d’autres trop protecteurs, et parfois elle finit même par bloquer le désir de mettre au monde de nouvelles vies.
Cela nous fait du bien de réfléchir sur la relation entre Élie et Élisée. Élie, dans un moment de crise et de peur pour l’avenir, reçoit de Dieu le commandement d’oindre Élisée comme son successeur. Dieu fait comprendre à Élie que le monde ne finit pas avec lui et il lui commande de transmettre à un autre sa mission. Tel est le sens du geste décrit dans le texte : Élie jette sur les épaules d’Élisée son manteau, et à partir de ce moment le disciple prend la place du maître pour continuer le ministère prophétique en Israël. Dieu montre ainsi qu’il a confiance en le jeune Élisée.
Comme il est important pour les parents de contempler la manière d’agir de Dieu ! Dieu aime les jeunes, mais il ne les préserve pas pour autant de tout risque, de tout défi et de toute souffrance. Il n’est pas anxieux, ni super protecteur ; au contraire, il a confiance en eux et appelle chacun à la haute mesure de la vie et de la mission. Pensons à l’enfant Samuel, à l’adolescent David, au jeune Jérémie ; pensons surtout à la Vierge Marie. Chers parents, la Parole de Dieu nous montre le chemin : ne pas préserver les enfants du moindre malaise et souffrance, mais chercher à leur transmettre la passion pour la vie, d’allumer en eux le désir de trouver leur vocation et d’embrasser la grande mission que Dieu a pensée pour eux. C’est précisément cette découverte qui rend Elisée courageux, déterminé et le fait devenir adulte. Le détachement des parents et le sacrifice des bœufs sont les signes qu’Elisée a compris que “c’est maintenant son tour”, qu’il est temps d’accueillir l’appel de Dieu et de poursuivre ce qu’il a vu faire chez son maître. Et il le fera avec courage jusqu’à la fin de sa vie. Chers parents, si vous aidez les enfants à découvrir et à accueillir leur vocation, vous verrez qu’ils seront “saisis” par cette mission et qu’ils auront la force d’affronter et de surmonter les difficultés de la vie.
Je voudrais ajouter aussi que, pour un éducateur, la meilleure façon d’aider un autre à suivre sa vocation, c’est d’embrasser la sienne propre avec un amour fidèle. C’est ce que les disciples ont vu faire Jésus, et l’Évangile d’aujourd’hui nous montre un moment emblématique, quand Jésus, « le visage déterminé, prend la route de Jérusalem » (Lc 9, 51), sachant bien qu’il y sera condamné et tué. Et sur la route de Jérusalem, Jésus subit le rejet de la part des habitants de Samarie, un refus qui suscite la réaction indignée de Jacques et de Jean, mais que Lui accepte, parce que cela fait partie de sa vocation. Au début, il avait été refusé à Nazareth, maintenant en Samarie, et à la fin il sera refusé à Jérusalem. Jésus accepte tout cela parce qu’il est venu pour prendre sur lui nos péchés. De même, il n’y a rien de plus encourageant pour les enfants que de voir leurs parents vivre le mariage et la famille comme une mission, avec fidélité et une patience, malgré les difficultés, les moments tristes et les épreuves. Et ce qui est arrivé à Jésus en Samarie se produit dans toute vocation chrétienne, y compris familiale. Il y a des moments où il faut prendre sur soi les résistances, les fermetures, les incompréhensions qui proviennent du cœur humain et, avec la grâce du Christ, les transformer en accueil de l’autre, en amour gratuit.
Tout de suite après cet épisode, qui nous décrit en un certain sens la « vocation de Jésus », l’Évangile nous présente trois autres appels, trois vocations d’autant aspirants disciples de Jésus. Le premier est invité à ne pas chercher une demeure stable, un logement sûr en suivant le Maître, Lui qui « n’a pas d’endroit où reposer la tête » (Lc 9, 58). Suivre Jésus signifie se mettre en mouvement et rester toujours en mouvement, « en voyage » avec Lui à travers les événements de la vie. Cela est d’autant plus vrai pour vous, époux ! Vous aussi, en accueillant l’appel au mariage et à la famille, vous avez quitté votre « nid » et vous avez commencé un voyage dont vous ne pouviez pas connaître à l’avance toutes les étapes, et qui vous maintient en mouvement constant, avec des situations toujours nouvelles, des événements inattendus, des surprises. Le chemin avec le Seigneur est ainsi. Il est dynamique, il est imprévisible, et il est toujours une découverte merveilleuse. Souvenons-nous que le repos de tout disciple de Jésus consiste précisément à faire chaque jour la volonté de Dieu, quelle qu’elle soit.
Le second disciple est invité à ne pas « retourner enterrer ses morts » (vv. 59-60). Il ne s’agit pas de manquer au quatrième commandement, qui reste toujours valable. C’est au contraire une invitation à obéir avant tout au premier commandement : aimer Dieu par-dessus toute chose. Il en est de même pour le troisième disciple, appelé à suivre le Christ résolument et de tout son cœur, sans « se retourner », même pour prendre congé de ses proches (cf. 61-62).
Chères familles, vous êtes, vous aussi, invitées à ne pas avoir d’autres priorités, à « ne pas vous retourner », c’est-à-dire à ne pas regretter la vie d’avant, la liberté d’avant, avec ses illusions trompeuses : la vie se fige quand, regrettant le passé, elle n’accueille pas la nouveauté de l’appel de Dieu. Quand Jésus appelle, même au mariage et à la famille, il demande de regarder en avant et il nous précède toujours sur le chemin, il nous précède toujours dans l’amour et dans le service. Ceux qui le suivent ne sont pas déçus !
Chers frères et sœurs, les lectures que la liturgie nous a proposées aujourd’hui, de manière providentielle, parlent toutes de vocation qui est précisément le thème de cette dixième Rencontre Mondiale des Familles : « L’amour familial : vocation et chemin de sainteté ». Avec la force de cette Parole de vie, je vous encourage à reprendre avec décision le chemin de l’amour familial, en partageant avec tous les membres de la famille la joie de cet appel. Que l’amour que vous vivez entre vous soit toujours ouvert, extraverti, capable de « toucher » les plus faibles et les blessés que vous rencontrez le long du chemin : fragiles dans leur corps et fragiles dans leur âme. En effet, l’amour familial, lui aussi, se purifie et se renforce lorsqu’il est donné.
L’Église est avec vous, bien plus, l’Église est en vous ! L’Église, en effet, est née d’une Famille, celle de Nazareth, et elle est faite principalement de familles. Que le Seigneur vous aide chaque jour à demeurer dans l’unité, dans la paix et dans la joie, en montrant à tous que Dieu est amour et communion de vie.
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