“Aux sources du renouveau de l’Eglise”: c’est le titre de cette conférence de carême donnée par la théologienne Agnès Desmazières en la cathédrale Saint-Louis de Versailles, dimanche 3 avril 2022.
Agnès Desmazières, docteur en théologie et histoire, est maître de conférences au Centre Sèvres, facultés jésuites de Paris.
Voici la première partie du texte de la conférence. Les deux parties suivantes seront publiées mercredi 4 et jeudi 5 mai 2022.
Aux sources du renouveau de l’Eglise (1/3)
« Voici que je fais une chose nouvelle : Elle germe déjà, ne la voyez-vous pas [i] ? » (Is 43, 19). Dieu nous interpelle à travers les paroles d’Isaïe : ne voyons-pas déjà les germes de renouveau de l’Eglise ? Ne voyons-nous pas aussi les germes du Royaume pleinement achevé à la fin des temps ?
Il y a dans ces versets bibliques la clé de la réflexion : le renouveau de l’Eglise n’est pas appelé à être un simple effet de mode – au sens où, de manière récurrente, l’Eglise devrait se renouveler pour mieux correspondre à l’air du temps. Il ne vise pas non plus à répondre seulement à un contexte de crise particulière, même si les crises que l’Eglise traverse aujourd’hui peuvent en faire prendre davantage conscience de l’urgence. Le renouveau est inhérent à l’Eglise : pour être pleinement elle-même, l’Eglise est appelée à constamment se renouveler ; cela fait partie de sa dynamique propre.
Surtout, le renouveau de l’Eglise est en vue de la gloire. Le concile Vatican II indique ainsi : « Marchant à travers les tentations, les tribulations, l’Église [se renouvelle] sans cesse sous l’action de l’Esprit Saint jusqu’à ce que, par la croix, elle arrive à la lumière sans couchant » (Lumen gentium 9). Je voudrais m’arrêter ici sur cette finalité de gloire. Il s’agit de ne pas s’attacher uniquement aux circonstances du moment – les « tentations », les « tribulations » – qui sont certes importantes et font partie de notre chemin sur la terre, mais de regarder vers le terme, la gloire. L’on est appelé à regarder les « tentations » et « tribulations » actuelles dans la perspective de la « lumière sans couchant » vers laquelle tend l’Eglise, en chemin.
Pour réaliser ce parcours, je m’appuierai sur trois guides – Vatican II, ainsi que deux docteurs de l’Eglise, Irénée de Lyon et Catherine de Sienne. Vatican II a bien montré comment l’Eglise-Peuple de Dieu est en chemin. Irénée nous rappelle que ce chemin est chemin vers la gloire qui passe par des « tribulations ». A partir de l’exemple de Catherine de Sienne, nous examinerons comment le renouveau de l’Eglise passe par des conversions et un courage de parler, né d’une écoute de l’Esprit.
- L’Eglise est en chemin
Dans le contexte du Synode sur la synodalité, l’on parle fréquemment de l’Eglise « en chemin ». Cette idée est beaucoup plus ancienne : le Père de l’Eglise, Jean Chrysostome, écrivait que « Eglise et synode sont synonymes » (Explicatio in Psalmos 149 ; cf. discours du pape François du 17 octobre 2015). Elle est particulièrement développée dans Lumen gentium en particulier au ch. 2 sur « Le Peuple de Dieu » et au ch. 7 sur « Le caractère eschatologique de l’Église en pèlerinage et son union avec l’Église du ciel ».
Tous ensemble en chemin
La dynamique du chemin est spécialement reliée à l’expression « Peuple de Dieu », privilégiée à Vatican II pour exprimer le mystère de l’Eglise. Cette expression met en valeur la dimension communautaire du salut ; elle vise à sortir d’une perspective purement individuelle du salut – sans toutefois, bien sûr, gommer nos responsabilités personnelles.
Parler de l’Eglise comme « Peuple de Dieu » marque la profonde solidarité dans le salut, qui unit ses membres ; le théologien allemand Bernard Häring parle d’une « coresponsabilité[ii] » dans le salut. Nous sommes responsables du chemin de sainteté de ceux qui nous entourent ; d’où l’importance parfois de la correction fraternelle. L’autre est aussi pour moi un instrument de la providence de Dieu. Nous sommes la providence les uns des autres quand nous parlons à une connaissance d’une possibilité de travail dans notre entreprise, quand nous gardons les enfants ou réceptionnons le paquet d’un voisin… Il s’agit de reconnaître cette action de Dieu dans nos vies au travers de nos frères et sœurs. La solidarité que nous vivons avec nos frères et sœurs en humanité, mais aussi entre chrétiens, est signe ; a contrario, nos désunions, nos conflits peuvent être des contre-témoignages….
Le chemin que parcourt l’Eglise signale son inscription dans un devenir, dans une histoire. Elle participe de la dynamique d’incarnation inaugurée par la venue de Dieu dans notre humanité. C’est ainsi que nous sommes appelés à construire notre chemin de sainteté dans cette humanité même – marquée par le temps et l’espace. Nous héritons de nos ancêtres : l’Eglise est le fruit de deux mille ans d’histoire – une histoire de sainteté, mais aussi une histoire marquée par le péché. Nous sommes également passagers : d’autres nous succéderons et nous sommes responsables à l’égard des générations futures. A juste titre, l’on insiste aujourd’hui sur notre responsabilité à l’égard de la création. Pensons-nous à notre responsabilité à l’égard de notre Eglise : quelle Eglise laisserons-nous aux générations futures ? Le renouveau de l’Eglise n’est pas tant à penser en fonction d’intérêts égoïstes, mais selon une logique d’altérité et de patience. « Le temps est supérieur à l’espace », comme dit le pape François.
Réalité institutionnelle et chemin de sainteté
Parler de l’Eglise comme le « Peuple de Dieu » met en lumière un deuxième aspect de la dynamique de l’incarnation : la réalité de la dimension institutionnelle de l’Eglise. L’Eglise est divino-humaine ; elle correspond au projet de Dieu qui a voulu ainsi que notre foi s’incarne dans notre réalité humaine, qui est une réalité sociale. Nous sommes faits pour vivre en société et pour vivre notre foi en communauté. Nous sommes invités à assumer cette dimension sociale, ce vivre-ensemble et à reconnaître que nous avons besoin les uns des autres – pas seulement pour nos besoins matériels, mais pour la joie de la fête, de la rencontre, de l’amitié et de l’amour.
Assumer la dimension institutionnelle de l’Eglise c’est aussi assumer la réalité du pouvoir, qu’il ne s’agit pas de nier, mais d’évangéliser. Le renouveau de l’Eglise est donc aussi un renouveau de ses structures pour qu’elles rendent davantage témoignage du salut accompli en Christ. Lumen gentium définit ainsi l’Eglise comme le « sacrement du salut » (n. 48). L’Eglise est « signe efficace » du salut – c’est-à-dire qu’elle n’en est pas un simple symbole, mais qu’elle est appelée à le manifester concrètement avec la grâce de Dieu. Il en va de notre responsabilité : comment collaborer à cette manifestation du salut ? C’est bien là l’enjeu du renouveau de l’Eglise : être toujours davantage « sacrement du salut » pour le monde.
Au ch. 7 de Lumen gentium, le concile poursuit en déployant la perspective d’une Eglise « pérégrinante ». Le chemin est un chemin de pèlerinage. L’ordre des chapitres de la constitution conciliaire nous rappelle que, par-delà la diversité des vocations, il y a une vocation commune à la sainteté. Après avoir traité des pasteurs et des laïcs, et avant d’évoquer les religieux, Vatican II consacre en effet un chapitre à l’appel universel à la sainteté. Il nous rappelle que les diverses vocations s’inscrivent dans ce chemin de l’Eglise et sont à son service. Le chemin de l’Eglise pérégrinante est un chemin de sainteté, qui est vécu tout à la fois personnellement – mon propre chemin de sainteté – et communautairement pour que l’Eglise elle-même resplendisse plus pleinement de la sainteté de Dieu.
En chemin vers la gloire
Le chemin de salut, initié depuis la création, est, comme en témoigne l’appel reçu par Abraham à quitter Ur, un chemin dans la foi et qui implique une croissance, un approfondissement : Dieu se révèle peu à peu. La croissance dans la foi se réalise dans un chemin, elle nécessite du temps et se réalise dans un peuple. Nous l’éprouvons concrètement lorsque nous faisons l’expérience du pèlerinage.
En même temps, il y a une « nouveauté » radicale, advenue en Jésus-Christ qui inaugure les « temps nouveaux ». Ceux-ci sont aussi appelés « temps de l’Eglise » pour manifester que l’Eglise continue la mission du Christ en étant signe du salut donné en Jésus-Christ. Comme le dit Lumen gentium, avec la venue du Christ et le don de l’Esprit, « le renouvellement du monde est irrévocablement acquis et, en réalité, anticipé dès maintenant » (n. 48). Le renouvellement de l’Eglise est donc à penser à partir de cette foi en ce que le renouvellement du monde est irrévocablement acquis et anticipé dès maintenant.
Parfois on peut en douter dans la réalité que nous vivons… et l’Eglise peut nous sembler en faire peu signe. Nous sommes convoqués à nous appuyer sur le fait que le renouvellement est « irrévocablement acquis » et « anticipé » même si l’anticipation n’est pas toujours manifeste. Nous sommes aussi invités à regarder les signes de ce renouvellement, en quoi ce renouvellement est anticipé – comme lorsqu’on regarde les bourgeons dans l’attente qu’ils fleurissent. Fondons-nous sur ce désir de voir ce renouvellement dont nous jouirons pleinement dans la gloire. Demandons-nous aussi : Que pouvons-nous faire pour le rendre déjà manifeste ?
Le renouveau de l’Eglise se pense ainsi par rapport au terme qui est pleinement acquis, mais pas pleinement manifesté. « L’Église, à laquelle dans le Christ Jésus nous sommes tous appelés et dans laquelle par la grâce de Dieu nous acquérons la sainteté, n’aura que dans la gloire céleste sa consommation, lorsque viendra le temps où sont renouvelées toutes choses », indique Lumen gentium n. 48. Il y a là une espérance : le chemin de sainteté de l’Eglise est pour tous et c’est en partageant les tribulations de l’Eglise que nous cheminons en sainteté.
[i] Conférence prononcée en la cathédrale Saint-Louis de Versailles le dimanche 3 avril 2022. Le verset d’Isaïe est tiré de la première lecture du dimanche.
[ii] Bernhard Häring, La loi du Christ : Théologie morale à l’intention des prêtres et des laïcs.
Tome 1. Théologie morale générale, 1ère éd., Tournai, Desclée, 1957, p. 43 ; cf. Agnès Desmazières, « Dialogue, coresponsabilité et conversion de l’Église : Jalons pour une morale ecclésiale à partir de Bernard Häring », Nouvelle revue théologique 144 (2022), 216-231.