Mgr Francesco Follo invite à « regarder la vie comme Dieu la regarde : avec une miséricorde qui rend les yeux purs, comme ceux de Dieu. Alors nous ne serons plus aveugles », dans ce commentaire des lectures de dimanche prochain, 27 février 2022 (VIIIe Dimanche du Temps Ordinaire – Année C).
La miséricorde rend les yeux purs
1) Qui est le vrai aveugle ?
L’Evangile de la Liturgie d’aujourd’hui nous propose les versets de conclusion du discours que Jésus était en train de prononcer dans la plaine, à côté du lac de Galilée. Dans la partie finale du passage évangélique du dimanche dernier, le Fils de Dieu nous invitait à être miséricordieux comme le Père céleste. Il nous indiquait quatre façons d’être et d’agir pour pratiquer la miséricorde : ne pas juger, ne pas condamner, pardonner et donner sans mesure.
Ce jour-là, comme aujourd’hui, le Christ nous invite à faire en sorte que les béatitudes guident notre vie. A cet égard, il faut rappeler cet aspect fondamental de la vie chrétienne : la vie morale est la conséquence d’une rencontre et d’une appartenance à Dieu-Amour, il ne s’agit pas d’un moralisme stérile et pharisien. Jésus nous demande d’être miséricordieux car le Père est miséricordieux : notre agir est la conséquence de la rencontre que nous avons faite avec Jésus, le Rédempteur.
Dans l’Evangile d’aujourd’hui, le Christ continue son enseignement sur la miséricorde avec trois courtes paraboles et une comparaison entre le disciple et le maître.
La parabole de l’aveugle qui guide un autre aveugle est la plus courte des paraboles, elle prend une ligne : « Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ? (Lc 6, 39). Elle semble être destinée aux animateurs de la communauté qui pensent être les détenteurs de la vérité, et être, par conséquent, supérieurs aux autres et donc, ils ne pratiquent pas la miséricorde. Pour cette raison, ils sont des guides aveugles parce qu’ils ne savent pas distinguer l’inspiration de l’Esprit Saint de l’impulsion obscure du mal. Celui qui pense qu’il y a un chemin supérieur à celui de la miséricorde est aveugle. Je pense que, dans ce cas-là, on peut interpréter « aveugle » non pas comme « personne non-voyante du point de vue physique », mais comme personne qui ne sait pas d’où elle vient et où elle va. Il s’agit d’un aveugle spirituel qui ne se connait pas lui-même, ni Dieu, ni les autres, car Dieu est miséricorde.
Qu’advient-il de ceux qui veulent essayer des voies supérieures à celles de Dieu ? Ils tombent dans la fosse de la mort, car il n’y a pas de vie loin de la miséricorde de Dieu. Vouloir diriger les autres peut sembler être un geste d’amour, mais quand on est aveugle et qu’on prétend être un guide, ce n’est pas de l’amour véritable, c’est de l’égoïsme pur qui mène au gouffre.
Au verset 40 du chapitre 6 de l’Évangile de Luc, le Christ continue son discours en disant : « Le disciple n’est pas au-dessus du maître » (Lc 6, 40). C’est comme s’il affirmait : « si quelqu’un pense faire quelque chose de mieux que ce que j’ai fait, alors que je suis le Maître, il se trompe ». Pour être de bons disciples chrétiens, « il suffit » d’être comme lui : d’humbles opérateurs de la miséricorde. La présomption, entre autres, est un signe de stupidité.
Il continue, ensuite, jusqu’aux vv.41 et 42, et cela vaut la peine de les relire : « Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère, alors que tu ne remarques pas la poutre qui est dans ton propre œil ? Comment peux-tu dire à ton frère : « Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil, alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère ». De cette manière, le Rédempteur nous dit qui sont les mauvais maîtres : ce sont les aveugles à la miséricorde, les présomptueux qui sont alors des juges impitoyables avec les autres. Ils sont gentils avec eux-mêmes et regardent toutes les pailles dans les yeux des autres et ne réalisent pas qu’ils ont une poutre dans leurs yeux. Essayez d’imaginer un homme avec une poutre dans les yeux. Essayez de mettre une poutre dans les yeux. Vous êtes mort. Cela veut dire que celui qui juge sans utiliser la miséricorde est mort. Celui qui est là pour être pinailleur avec l’autre, pour regarder toutes les pailles dans l’œil des autres est mort dans le cœur.
À ce propos, saint Cyrille d’Alexandrie commente : « Jésus nous convainc avec des arguments irréfutables pour ne pas vouloir juger les autres et examiner nos manques. En effet, c’est Lui qui guérit ceux qui ont le cœur contrit et nous libère des maladies spirituelles. En fait, si les péchés qui nous accablent sont plus grands et plus sérieux que ceux des autres, pourquoi les réprimandons-nous sans nous soucier de nos péchés ? Tous ceux qui veulent vivre dans la piété et en particulier ceux qui ont la tâche d’éduquer les autres tireront avantage de ce commandement du Christ. S’ils sont vertueux et tempérés, et s’ils donnent l’exemple de la vie évangélique à travers leurs actes, ils réprimanderont gentiment ceux qui n’ont pas décidé de faire la même chose, en leur rappelant qu’ils doivent prendre les modes de vie conformes aux vertus des maîtres pour modèles. » (Commentaire sur l’évangile de Luc 6, PG 72, 604)
En bref, dans la parabole de la paille dans les yeux du frère, Jésus nous demande une attitude qui nous permette de rencontrer l’autre avec une totale ouverture afin que nos relations avec Dieu soient établies avec Lui avec la confiance des enfants. Par conséquent, nous jugeons non pas pour punir mais pour partager, pour nous corriger fraternellement nous-mêmes en vue d’aller vers le Christ et nous greffer sur Lui, Arbre de vie.
2) Le bon arbre. Un Amour sans conditions, celle-ci est la loi de Dieu
Avec la parabole de l’arbre qui donne de bons fruits, Jésus nous fait savoir que croire vraiment en lui veut dire pratiquer le bien envers autrui et non l’égoïsme. Par contre, la personne qui ne s’engage pas à l’imiter, aura des difficultés à faire le bien car son cœur est stérile.
En conclusion, on peut dire : personne ne sera jugé sur la base des règles qui lui sont imposées de l’extérieur mais par ce qui arrive dans le cœur de cette personne. Il faut se convertir, cela comporte le bouleversement de son propre cœur, une conversion de l’esprit.
L’apôtre Jacques appelle la loi de Dieu « loi de liberté » (Jc 2, 11-12). Cet apôtre nous invite à parler et à agir comme des personnes qui doivent être jugées selon la loi de la liberté.
La loi de l’amour est une loi de liberté. C’est celle des « liberi » qui veut aussi dire « fils » en latin parce que, dans la conception de la famille du monde romain de cette époque-là, les « liberi » sont la partie de la famille qui s’oppose aux esclaves. Les « liberi » sont fils. Notre loi est celle des fils. Et quelle est la loi des fils ? La loi de liberté, loi des fils, veut dire loi d’amour parce qu’en ayant reçu l’amour de la mère et du père, les fils savent s’aimer eux-mêmes et aimer les autres comme eux-mêmes, dela même manière qu’ils sont aimés. C’est la seule loi. Et celui qui aime son prochain accomplit toute la loi qui est loi de liberté.
L’apôtre Jacques continue : « Le jugement est sans miséricorde pour celui qui n’a pas fait miséricorde ». Comme Dieu ne fait pas de jugement, c’est nous qui le faisons dans notre vie concrète dans nos relations avec les autres. Si je juge l’autre, je juge Dieu et je condamne Dieu qui aime l’autre comme Il m’aime. Je refuse, donc, l’amour de Dieu. Donc, je refuse Dieu. Le seul péché est de ne pas aimer l’autre, de juger l’autre, de condamner l’autre. « C’est l’autre qui se trompe parce que vous pouvez en être surs, c’est l’autre qui se trompe toujours, c’est nous qui faisons tout juste. » Et pourtant, Dieu ne le juge pas, il le pardonne. En effet, « il est clair que l’autre pense de façon fausse, s’il pensait bien, je penserais moi aussi la même chose ! » Nous raisonnons toujours de cette façon.
Et l’Apôtre continue : « la miséricorde l’emporte sur le jugement ». Celle-ci est la belle loi de liberté, à laquelle nous devons nous convertir.
La conversion de Saint Paul est un exemple de cette conversion. Cet Apôtre ne s’est pas converti du péché à la bonté, il s’est converti à partir de la « perfection » de la loi ancienne suivie jusqu’au bout, jusqu’à la persécution des chrétiens qui étaient perçus comme une secte qui n’était pas bonne. Sa conversion allait à la justice légale à la connaissance de Dieu qui aime tout le monde.
La justice de l’amour est la justice de Dieu. De la loi à l’Evangile.
Permettez-moi de comparer une petite réalité à la grande réalité de Saint Paul et d’affirmer que les vierges consacrées, elles-aussi, sont un exemple de conversion à l’amour du Christ reconnu comme Epoux.
Comme l’instruction romaine « Ecclesiae Sponsae Imago » le rappelle « la suite » (sequela) du Seigneur consiste en une continuelle conversion, une adhésion progressive à Lui : ce processus concerne toutes les dimensions de l’existence corporelle et affective, intellectuelle, spirituelle et de la volonté. Il s’étend sur toute la durée de la vie car « la personne consacrée ne pourra jamais considérer avoir achevé la gestation de cet être nouveau qui éprouve en lui-même, dans toutes les circonstances de la vie, les sentiments mêmes du Christ ». La grâce de la consécration dans l’Ordo virginum définit et configure de façon stable la physionomie spirituelle de la personne, l’oriente dans le chemin de l’existence, la soutient et la renforce dans une réponse toujours plus généreuse à l’appel » (Congrégation pour les instituts des Vie consacrée et les Sociétés de Vie apostolique, Instructions sur l’Ordo Virginum, Ecclesiae Sponsae Imago, n. 74 -75).
Ces femmes consacrées témoignent de ceci : si nous nous convertissons au Christ qui nous invite à demeurer en Lui pour faire demeurer en nous sa bonne nouvelle, nous comprendrons toujours mieux que le vrai sens du commandement de Dieu n’est pas d’être une imposition mais d’être une communication d’amour. Le « commandement » de la conversion est une invitation d’amour que le Christ adresse à ses disciples parce qu’ils entrent en communion avec lui, parce qu’ils accueillent leurs offre d’amitié fraternelle.
Lecture patristique
saint Cyrille d’Alexandrie (+ 444)
Commentaire sur l’évangile de Luc, 6
PG 72, 601-604
Les bienheureux disciples étaient destinés à devenir les guides et les maîtres spirituels de la terre entière. Ils devaient donc faire preuve, plus que les autres, d’une éminente piété, être familiarisés avec la manière de vivre évangélique et entraînés à pratiquer toute oeuvre bonne. Ils auraient à transmettre à ceux qu’ils instruiraient la doctrine exacte, salutaire et strictement conforme à la vérité, après l’avoir d’abord contemplée eux-mêmes, et avoir laissé la lumière divine éclairer leur intelligence.
Sans quoi, ils seraient des aveugles conduisant d’autres aveugles. Car ceux qui sont plongés dans les ténèbres de l’ignorance ne peuvent pas conduire à la connaissance de la vérité les hommes souffrant de cette même ignorance. Le voudraient-ils d’ailleurs, qu’ils rouleraient tous ensemble dans l’abîme de leurs passions.
Aussi le Seigneur a-t-il voulu éteindre la passion ostentatoire de la vantardise que l’on trouve chez tant de gens, et les dissuader de rivaliser avec leurs maîtres pour les dépasser en estime. Il leur a dit: Le disciple n’est pas au-dessus de son maître (Lc 6,39). Même s’il arrive à certains d’atteindre un degré de vertu égal à celui de leurs maîtres, ils se conformeront à la modestie dont ceux-ci font preuve, et ils les imiteront. Paul, à son tour, nous en donne la certitude quand il dit: Montrez-vous mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ (1Co 11,1).
Eh bien, pourquoi juges-tu, alors que le Maître ne juge pas encore? Car il n’est pas venu juger le monde, mais lui faire grâce. Entendue dans le sens que je viens précisément d’indiquer, la parole du Christ devient: « Si je ne juge pas, ne juge pas non plus, toi qui es mon disciple. Il se peut que tu sois coupable de fautes plus graves que celui que tu juges. Quelle ne sera pas ta honte quand tu en prendras conscience! »
Le Seigneur nous donne le même enseignement dans une autre parabole où il dit: Qu’as-tu à regarder la paille dans l’oeil de ton frère (Lc 6,41)? Il nous convainc par des arguments irréfutables de ne pas vouloir juger les autres, et de scruter plutôt nos coeurs. Ensuite il nous demande de chercher à nous libérer des passions qui y sont installées, en demandant cette grâce à Dieu. C’est lui, en effet, qui guérit ceux qui ont le coeur brisé et nous délivre de nos maladies spirituelles. Car si les péchés qui t’accablent sont plus grands et plus graves que ceux des autres, pourquoi leur fais-tu des reproches sans te soucier des tiens?
Tous ceux qui veulent vivre avec piété, et surtout ceux qui ont charge d’instruire les autres, tireront donc nécessairement profit de ce précepte. S’ils sont vertueux et tempérants, donnant précisément par leurs actions l’exemple de la vie évangélique, ils reprendront avec douceur ceux qui ne se sont pas résolus à agir de même, leur remontrant qu’ils ne prennent pas pour modèles les manières de vivre conformes à la vertu des maîtres.