Mgr Eugène Tisserant était issu d’une famille bourgeoise de Lorraine. Fin connaisseur de langues anciennes et exégète, est appelé à Rome en 1930 par le Pape Pie XI qui lui confie l’organisation de la Bibliothèque vaticane. Créé à cardinal en 1936, il se voit remettre les rênes de la Sacrée Congrégation pour les Églises orientales jusqu’en 1959.
Connu pour sa grande liberté de parole et de pensée, le cardinal français meurt en 1972; ses funérailles seront présidées par le pape Paul VI.
Le témoignage de Miron Lerner
Étienne Fouilloux confie sa réaction après la distinction de « Juste parmi les Nations »: « J’en suis très heureux. Je sais que sa petite-nièce souhaitait cette distinction, mais jusqu’à présent, nous n’avions pas trouvé de personne sur laquelle fixer l’attention, puisque Yad Vashem demande que ce soit la famille de quelqu’un qui a été sauvé qui fasse les démarches. Nous avions de multiples preuves que Tisserant avait aidé des juifs sous le fascisme, avant et pendant la guerre. Mais nous n’avions pas de nom auquel accrocher cette aide. Donc au-delà de la personne de Miron Lerner -que je ne connais pas du tout-, il y a beaucoup d’autres personnes qui auraient pu faire la même démarche. »
Il raconte: « Le cardinal Tisserant a aidé un certain nombre de personnes en les cachant, en les employant à la Bibliothèque vaticane dans les années 1930 -quand elles étaient privées de leur poste par l’État fasciste-, ou en facilitant l’obtention de visas pour qu’elles puissent aller se réfugier aux États-Unis. »
Il a été un Résistant, explique l’historien: « Il ne s’est jamais rallié au maréchal Pétain. À Rome, il est considéré comme un opposant, y compris par l’ambassadeur de Vichy, Léon Bérard. Publiquement, il ne s’exprime pas beaucoup, parce qu’il est soumis à un devoir de réserve, et que l’on est dans un contexte de guerre, mais, dans les milieux de la France Libre, tout le monde sait qu’à Rome, Tisserant est quelqu’un qui résiste à sa manière, et qu’on peut compter sur lui. Il a vraiment la posture d’un prélat résistant et cela éclate en 1944, lors de son premier voyage en France où il est reçu comme tel par le général de Gaulle et par les milieux de la France Libre. »
Etudiant à l’Ecole biblique de Jérusalem
Il avait appris l’hébreu et il avait réfléchi au rapport entre le judaïsme et le christianisme: « C’est une relation très profonde, qui date de ses études de séminariste à Nancy, avant la Première guerre mondiale, où d’emblée, il a voulu apprendre l’hébreu, ce qui n’était pas prévu dans le cursus habituel des séminaristes. Avec plusieurs de ses confrères, il se sont mis à apprendre l’hébreu, à chercher des livres dans cette langue -y compris des ouvrages publiés à Varsovie par les milieux juifs. Il y a une très profonde imprégnation, une volonté d’affirmer que le christianisme vient de la matrice juive, et cela, dès ses vingt ans. C’est quelqu’un pour qui la Bible, les études bibliques et l’exégèse sont fondamentales. Lors de son séjour à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, en 1904-1905, on pense et on sait, puisqu’il le dit, qu’il a rencontré un certain nombre de personnalités juives, dont le refondateur de l’hébreu moderne, qui est aussi un des dirigeants sionistes les plus connus (Éliézer Ben-Yehudah, ndlr). Ensuite, durant la Première guerre mondiale, il a officié dans la région; et de nouveau, peu après la fin du conflit, en 1918, il retourne en Palestine et rencontre différentes personnalités du monde chrétien d’Orient, mais aussi du monde juif. »
Prendre en compte le monde juif
Il a en quelque sorte annoncé le concile Vatican II et la Déclaration Nostra aetate sur le rapport de l’Eglise et des religions non-chrétiennes, et spécialement le judaïsme: « On peut dire qu’il a anticipé Nostra aetate, durant le pontificat de Pie XII, quand il soutenait tous les chrétiens qui s’impliquaient dans les relations avec le judaïsme. Durant la période où il était secrétaire de la Sacrée Congrégation pour les Églises orientales -donc avant 1959- il a appuyé de son autorité des hommes comme Paul Démann, prêtre de Sion qui avait publié une revue intitulée Les Cahiers sioniens et joua un grand rôle dans la rédaction des fameux “Dix points de Seelisberg”. Tisserant avait aussi soutenu la possibilité d’une liturgie catholique de rite hébreu. D’une certaine manière, il a anticipé ce que la Déclaration affirme en 1965, dans la mesure où il souhaitait que l’Église catholique prenne en compte le monde juif et établisse avec lui des rapports de filiation. »