En matière de santé mentale, il faut « revenir à la prise en charge de la fragilité de chaque homme et de chaque femme, de chaque enfant et de chaque personne âgée, avec l’attitude attentive et solidaire du bon Samaritain », a affirmé le cardinal Peter K. A. Turkson dans un Message à l’occasion de la Journée mondiale de la santé mentale, célébrée le 10 octobre 2021.
Le préfet du Dicastère pour le Service du Développement humain intégral, le cardinal Peter Kodwo Appiah Turkson, a publié un message à l’occasion de la Journée mondiale de la Santé mentale, le 10 octobre 2021, ce même jour. Soulignant le dramatique impact de la pandémie sur la population mondiale, il a cependant désigné « des politiques sociales, sanitaires et économiques inadéquates » à l’origine de cette « crise multidimensionnelle ».
Le cardinal ghanéen a reconnu que le « le désavantage social » a un « impact important sur les conditions de santé mentale de l’individu », d’où la nécessité de s’attaquer aux « causes qui conduisent au rejet et à l’isolement ». Il s’agit, a-t-il dit, d’adopter des « politiques visant à améliorer l’environnement, physique et social de l’enfant à naître », ainsi que ses conditions de vie au moins pendant toute sa croissance.
Le préfet du dicastère pour le développement humain intégral appelle de ses vœux un système de santé « renforcé » pour protéger la santé mentale, notamment « en soutenant les organisations engagées dans la recherche scientifique sur les maladies mentales et en promouvant des modèles d’inclusion sociale ». Il est important, a-t-il ajouté, d’impliquer la communauté dans laquelle vit le malade mental, afin de lui « assurer une présence et de l’affection ».
Voici notre traduction de son message en italien.
Introduction
Le 10 octobre est la Journée mondiale de la Santé mentale qui, cette année, est intitulée « Santé mentale dans un monde d’inégalités » et qui veut porter l’attention sur les disparités qui subsistent dans le domaine du traitement et de l’assistance aux malades psychiques.
Dans les pays à revenus faibles et moyens, entre 75% et 95% des personnes ayant des troubles mentaux ne peuvent pas accéder aux services de santé mentale et, dans les pays à revenus élevés, la situation n’est pas meilleure ! (1).
Dans le vaste univers de la santé, l’une des dimensions les plus négligées est précisément celle de la santé mentale, qui s’accompagne souvent de stéréotypes, d’un manque de connaissance des questions plus spécifiques et de désinformation. Dans le monde entier, de nombreuses violations des droits humains sont commises à l’encontre de personnes atteintes de troubles mentaux : des hommes et des femmes de tous âges qui souffrent déjà de la stigmatisation et de la discrimination dont ils font l’objet, ce qui les pousse à l’isolement et à la marginalisation. Dans près de la moitié des cas, les troubles mentaux commencent avant l’âge de 14 ans, à tel point que le suicide est la deuxième cause de décès parmi les jeunes de 15 à 19 ans.
La situation actuelle
On estime qu’avant la pandémie de Covid-19, près d’un milliard de personnes dans le monde souffrait de troubles mentaux. Au fur et à mesure de l’évolution de l’urgence sanitaire, les restrictions sociales imposées par la première phase d’urgence ont conduit à une augmentation de l’abus d’alcool et d’autres substances psychotropes ainsi qu’à l’exacerbation de différentes formes d’addiction, dont les jeux d’argent. Ce sont les mesures adoptées pour combattre le virus de Covid-19 qui ont été une cause supplémentaire de solitude pour les personnes atteintes de troubles mentaux : l’impossibilité de mener leurs activités ordinaires et de cultiver les relations habituelles a aggravé la situation déjà pénible de marginalisation, en particulier pour les personnes qui sont hébergées dans des instituts d’assistance sociale et dans des hôpitaux psychiatriques. (2)
En réalité, l’avènement de la pandémie, avec ses profondes conséquences pour l’ensemble de la population mondiale, n’est que le facteur aggravant d’une crise multidimensionnelle qui trouve ses origines dans des politiques sociales, sanitaires et économiques inadéquates. Des politiques qui ont souvent engendré de nouvelles pauvretés et une nouvelle marginalisation et qui continuent de créer des situations d’injustice et d’iniquité dans la distribution des ressources, au détriment de millions de personnes. Une crise alimentée par l’affaiblissement général des valeurs spirituelles, du sens des responsabilités et de la valeur de la solidarité. Le fossé entre les riches et les pauvres s’est creusé. Avec l’urgence sanitaire, de nouvelles formes de pauvreté sont apparues, s’ajoutant aux fragilités sociales déjà connues, principalement dues au manque de travail (3). En particulier, dans les pays les plus vulnérables de plus en plus de personnes versent dans la pauvreté en perdant leur travail ; ce sont surtout les femmes qui souffrent le plus des conséquences de la pandémie et des inégalités sociales (4).
Il est prouvé que la pauvreté et les inégalités affectent le développement psychique de la personne et sa santé mentale. Le désavantage social – qui commence avant la naissance et s’accentue au cours de la vie – a un impact important sur les conditions de santé mentale de l’individu : l’environnement physique et social dans lequel on vit, ainsi que l’accès aux services de santé et à l’éducation, sont autant de déterminants sociaux qui ont un effet profond sur la santé mentale.
Afin de réduire l’incidence des troubles mentaux associés aux inégalités sociales, il est donc nécessaire d’adopter des politiques visant à améliorer l’environnement, physique et social de l’enfant à naître, ainsi que les conditions de vie pendant la petite enfance, l’âge scolaire, pendant la période de réalisation de projets familiaux et d’ambitions professionnelles, et à un âge plus mûr. En particulier, il a été observé que le fait d’assurer dès le départ des conditions de vie optimale aux enfants offre de plus grandes possibilités de bien-être, notamment mental, à l’âge adulte, avec des bénéfices directs également sur la communauté d’appartenance (5).
En effet, nous constatons que, dans toutes les cultures, lorsque la santé mentale fait défaut, il y a une triple fragilité : la fragilité de toute maladie qui nous confronte à une limite personnelle, la fragilité qui découle d’une dissolution de sa propre identité, laissant la personne « sans visage » et la fragilité sociale qui résulte du manque d’intégration de celle-ci dans sa propre communauté et de son rejet par ceux qui ont peur de la maladie mentale et ne savent pas comment l’intégrer, l’accueillir, la traiter. La stigmatisation et la discrimination peuvent avoir des répercussions plus larges et plus profondes que les blessures du corps et de l’esprit, et impliquer non seulement la personne atteinte du trouble mais aussi sa famille. Je lance donc un appel afin que des mesures soient prises pour mettre fin à cette stigmatisation personnelle et familiale en s’attaquant aux causes qui conduisent au rejet et à l’isolement.
Le rôle de la communauté de soins
Face à cela, nous sommes tous appelés à être proches de nos frères et sœurs atteints de maladies mentales et à lutter contre toute forme de discrimination et de stigmatisation à leur égard.
Comme nous le rappelle le pape François, « seule une société humaine et fraternelle est capable de travailler pour garantir de manière efficace et stable que tous seront accompagnés tout au long de leur vie, non seulement pour subvenir à leurs besoins fondamentaux, mais pour qu’ils puissent donner le meilleur d’eux-mêmes, même si leurs performances ne sont pas les meilleures, même s’ils vont lentement, même si leur efficacité n’est pas très pertinente » [6]. En effet, « tant que notre système économique et social produira encore une victime et qu’il y aura encore ne serait-ce qu’une seule personne rejetée, il ne peut y avoir de célébration de la fraternité universelle » [7].
Les paroles du Saint-Père nous disent que la logique du rejet et de la mise au rebut est une logique qui subvertit la justice sociale dans le monde.
Cela souligne la nécessité d’abandonner le paradigme actuel du développement pour adopter un modèle culturel qui replace la dignité humaine au centre et promeut le bien pour les individus et pour l’ensemble de l’humanité. Il est temps de revenir à la prise en charge de la fragilité de chaque homme et de chaque femme, de chaque enfant et de chaque personne âgée, avec l’attitude attentive et solidaire du bon Samaritain [8].
Une communauté de soins est une communauté de bons samaritains
Nos pensées se tournent ensuite vers les nombreux « samaritains cachés », les professionnels, les bénévoles et les travailleurs de tous niveaux qui s’occupent avec professionnalisme et compétence de ceux qui souffrent de détresse mentale, et qui œuvrent souvent dans des conditions difficiles en raison de l’absence ou de la rareté des structures adéquates pour traiter ces pathologies et assister la personne malade et sa famille. Il faut donc espérer que le système de santé sera renforcé pour protéger la santé mentale, notamment en soutenant les organisations engagées dans la recherche scientifique sur les maladies mentales et en promouvant des modèles d’inclusion sociale. Il est important d’impliquer la communauté dans laquelle vit le malade mental, afin de lui assurer une présence et de l’affection [9].
C’est dans cette direction que vont les efforts du Dicastère pour le service du développement humain intégral et de la Commission vaticane Covid-19, que le Saint-Père a voulu créer le 20 mars 2020, au sein même du Dicastère, pour exprimer la préoccupation et l’amour de l’Église pour toute la famille humaine face à la pandémie. S’appuyant sur l’expertise des communautés locales, des plateformes mondiales et des experts universitaires, la Commission cherche à obtenir des changements vastes et courageux : la dignité au travail, de nouvelles structures pour le bien commun, la solidarité au cœur de la gouvernance et la nature en harmonie avec les systèmes sociaux. L’objectif n’est pas seulement de soulager les souffrances immédiates, mais aussi d’amorcer la transformation des cœurs, des esprits et des structures vers un nouveau modèle de développement qui prépare un avenir meilleur pour tous.
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NOTES
(1) Fédération mondiale pour la santé mondiale (WFMH), Campagne mondiale 2021de sensibilisation à la santé mentale dans le monde, in wfmh.global/2021-world-mental-health-global-awareness-campaign-world-mental-health-day-theme/
(2) Organisation mondiale de la santé (OMS), 148ème Session du Conseil exécutif, Rapport du directeur général : « Promouvoir la préparation et l’action en matière de santé mentale face à la pandémie de Covid-19 » in https://iapps.who.int/gb/ebwha/pdf files/EB148/B148_20- en.pdf.
(3) Dicastère pour le Service du développement humain intégral, « Accompagner les personnes en souffrance psychologique dans le contexte de la pandémie de Covid-19 », novembre 2020.
(4) Dicastère pour le Service du développement humain intégral, « Accompagner les personnes en souffrance psychologique dans le contexte de la pandémie de Covid-19 », novembre 2020.
(5) Organisation mondiale de la santé (OMS), Rapport sur les « déterminants sociaux de la maladie mentale » (2014) « Le désavantage commence avant la naissance et s’accentue au cours de la vie » [iv], in https://apps.who.int/iris/handle/10665/112828
(6) François, Lettre encyclique Fratelli tutti, n. 110.
(7) François, Message pour l’événement « L’économie de François » (1er mai 2019) : L’Osservatore Romano, 12 mai 2019, p. 8.
(8) François, Lettre encyclique Fratelli tutti, n. 79.
(9) François, Message aux participants à la Conférence nationale sur la santé mentale, 14 juin 2021.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat