Mgr Francesco Follo, 24 mars 2021, capture @ UNESCO

Mgr Francesco Follo, 24 mars 2021, capture @ UNESCO

« En nous pardonnant, la miséricorde nous transforme », par Mgr Follo

« Tourner le regard vers le Christ ressuscité »

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Mgr Francesco Follo invite à « comprendre que la conversion c’est de tourner le regard vers le Christ ressuscité, qui transforme notre façon de penser et de vivre avec lui et avec les autres »: « Si nous changeons notre façon de penser, nous transformons notre façon de vivre. »

L’observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris (France) publie en effet, ce 15 avril 2021, son commentaire hebdomadaire des lectures de la messe de dimanche prochain, 18 avril, 3e dimanche de Pâques (Année B).

Comme lecture patristique, Mgr Follo propose un sermon de saint Augustin.

AB

En nous pardonnant, la miséricorde change

notre esprit, notre cœur, nos yeux.

Prémisse :

            Grâce à la célébration de la passion, de la mort et de la résurrection, qui nous a engagés dans un chemin comme celui que les deux disciples d’Emmaüs ont fait, notre esprit a changé et nous avons mieux compris les Écritures. Notre cœur a également changé et s’est élargi pour accueillir le Christ. Les yeux ont aussi changé et nous permettent de reconnaître le Ressuscité dans la fraction du pain. Les pieds, enfin, ont changé et, comme il est arrivé aux deux disciples d’Emmaüs, ils nous poussent à quitter l’auberge pour retourner immédiatement à Jérusalem.

1) Un chemin de miséricorde : d’Emmaüs à Jérusalem

            Dimanche dernier nous avons célébré la divine Miséricorde. Et aujourd’hui encore la page de l’évangile de Luc, proposée par la liturgie, souligne le lien étroit qui existe entre être des témoins de la résurrection du Seigneur et annoncer la conversion et le pardon. Nous vivons donc la miséricorde comme le reflet de la résurrection, et comme une occasion pour connaître Dieu et son amour infini, en reconnaissant que nous sommes des êtres faibles, fragiles, miséreux. Car c’est dans notre misère même que nous nous sentons accueillis par le Dieu de miséricorde.

            Dimanche dernier, nous avons contemplé Jésus qui regardait Thomas d’un regard plein de miséricorde. Les lectures de la messe d’aujourd’hui nous font contempler un crescendo de miséricorde : les actes des apôtres nous disent que la conversion est le condition nécessaire pour obtenir le pardon, Jean dans sa lettre nous dit que le pécheur peut trouver en Jésus un défenseur, quelqu’un qui au lieu de demander un compte-rendu du mal commis par l’homme offre sa vie pour lui, et il l’offre  non seulement pour ceux qui croient en lui mais également pour le monde, c’est-à-dire pour tous les hommes, voire les plus distants. L’Evangile fait un lien très étroit entre le fait d’être des témoins du Ressuscité et la prédication sur la conversion et le pardon.

                        L’Eglise est née du cœur transpercé de Jésus[1] et saint Thomas pardonné de son incrédulité a reçu en don la lourde tâche d’enfoncer son doigt entre les cotes du Crucifié et ressuscité et d’arriver tout près de son Cœur. Il toucha l’homme et reconnut Dieu qui lui manifestait, encore une fois, sa miséricorde.

            Sa conversion ne relevait pas tellement d’un mouvement extérieur, mais plutôt d’un cheminement intérieur comme a fait Marie-Madeleine, dans le jardin où se trouvait le tombeau vide. Elle s’est retournée et a aperçu de Jésus juste derrière elle, mais elle ne savait pas que c’était Jésus. A la question « Femme pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? », elle a répondu, pensant s’adresser au gardien du jardin : « Seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. ». Jésus lui a alors dit : « Marie ! ». Et elle s’est retournée et lui a dit : « Rabbounì! », qui veut dire: Maître!

            Cet épisode de l’évangile décrit en quoi consiste la conversion. Saint Jean raconte que Marie-Madeleine s’est tournée deux fois vers Jésus… Si elle est déjà tournée vers lui, quel est le sens de cette seconde fois ? Il s’agit d’un retournement intérieur, ce changement qui s’accomplit en nous et qui fait que nos yeux deviennent capables de reconnaître la nouvelle présence du Seigneur ressuscité. C’est cela à mon avis le chemin qui mène à la conversion : pour pouvoir recevoir le pardon il faut orienter sa vie vers celui qui a annoncé, a vécu, donné le pardon. Je crois au fond que c’est pour susciter cette reconnaissance que Jésus insiste tant à dire : Oui c’est bien moi !

            Quelle belle reconnaissance que celle qui passe encore une fois par la voix : voix qui appelle « Marie », voix qui explique les Ecritures le long de la route qui mène à Emmaüs. Et qui passe par les mains, celles qui rompent le pain lors de l’eucharistie.  Grâce à cette rencontre, les deux disciples qui ont accueilli le Christ, qui ont marché et mangé avec lui, ont hâte de retourner à Jérusalem. Ils y vont pour annoncer l’Evangile de miséricorde : le Christ est vraiment ressuscité et il s’est fait compagnon de leur misère.

2) Témoins du Miséricordieux.

            Dans l’Evangile d’aujourd’hui, saint Luc révèle une évidente préoccupation apologétique, à savoir celle d’affirmer la réalité et la concrétude de la résurrection. Jésus ressuscité a un vrai corps. Il entre à nouveau dans le cénacle, salue, demande et fait des reproches, il invite à prendre conscience de sa vérité, montre ses mains et ses pieds et se met enfin à mange devant les disciples.

            Les disciples ont une réaction humainement compréhensible : ils sont déconcertés, apeurés, troublés, étonnés et incrédules. Ils sont aussi gagnés par la joie qui, même d’une autre façon que la peur, rend incrédules : « Dans leur joie ils n’osaient pas encore y croire ». Après la résurrection, les disciples doutent, sont incrédules, soit parce qu’ils ont affaire à un fait absolument nouveau, soit parce qu’ils tombent sur une surprise trop belle, désirée, annoncée par le Christ mais qu’ils jugent impossible.

            Finalement, grâce à la reconnaissance (gratitude) pour l’amour manifesté par les plaies glorieuses, par le pain eucharistique rompu à Emmaüs, par la paix descendue sur eux dans le Cénacle, les disciples ont reconnu que le Christ était vraiment ressuscité et ont senti le « devoir » d’en témoigner.

            Visité par le Christ qui se manifesta à eux par des signes de miséricorde, les disciples ont crû à son amour passionné, amour dont il avait donné la preuve en affrontant la passion, en montrant ses blessures : les stigmates. Pour eux, il était donc normal qu’ils suivent l’invitation à devenir des témoins passionnés de cet amour. Car l’amour se « paie » par l’amour.

            Par conséquent, le témoignage de la résurrection du Christ est efficace et crédible uniquement si nous-mêmes, disciples du Ressuscité, nous montrons au monde nos mains et nos pieds marqués par des œuvres d’amour, des œuvres de miséricorde.

            Les trois lectures de ce dimanche sont unies par ce fil rouge : la conversion et le pardon des péchés. Tous deux – conversion et pardon – ont leur racine dans la Pâques de Jésus et sont une partie essentielle de l’annonce missionnaire de l’Eglise, comme l’a rappelé le pape François dans la Bulle d’indiction de l’Année de la Miséricorde (11 avril 2015). Dans les Actes des apôtres, le jour de la Pentecôte, saint Pierre déclare sur la place publique : « Convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés » (Act 3,19, Première lecture). L’Apôtre exhorte paternellement ses « petits enfants » à ne pas pécher, mais si cela devait arriver, il rappelle qu’il y a toujours une planche de miséricorde : « nous avons un défenseur… Jésus Christ, le juste… qui, par son sacrifice, obtient le pardon pour les péchés du monde entier » (1 Jn, 2,1-2, Deuxième Lecture).

            Dans la troisième lecture, extraite de l’Evangile de saint Luc « la conversion et le pardon des péchés » sont la bonne nouvelle que les disciples devront prêcher « à toutes les nations », au nom de Jésus, c’est-à-dire envoyés par Lui (Lc 24,47).

            Un exemple particulier de cette évangélisation est donné par les Vierges consacrées dans le monde. Dans une société qui risque d’étouffer dans sa spirale de l’éphémère et de l’utile, du calcul et de la rivalité, celles-ci symbolisent la gratuité et l’amour

            La vie consacrée se caractérise par une absolue gratuité : c’est un don que l’on reçoit de Dieu, on vit uniquement pour Dieu, et il revient à Dieu en passant par la prière de louanges et l’imploration, par le service de charité. (cf rituel de consécration des vierges, n° 24 : « En toi, qu’elles possèdent tout, puisque c’est toi qu’elles préfèrent à tout »).

            Les personnes consacrées sont tout spécialement appelées à être des témoins de cette miséricorde du Seigneur, dans laquelle l’homme trouve son salut. Elles entretiennent la flamme de l’expérience du pardon de Dieu, car elles ont conscience d’être des personnes que l’on a sauvées, d’être grandes quand elles se reconnaissent petites, de se sentir de nouvelles femmes enveloppées dans la sainteté de Dieu quand elles reconnaissent leur péché. C’est pourquoi, pour l’homme d’aujourd’hui aussi, la vie consacrée reste une école privilégiée de la « componction du cœur »[2] (Benoît XVI, 2 février 2010). Ces femmes témoignent que, grâce à la virginité, il est possible de vivre un amour consacré dans le monde et que, grâce à une vie offerte dans la joie et totalement, l’amour de Dieu est vraiment crédible.

            La vierge consacrée dans le monde témoigne que Dieu est sa vie, que Dieu n’est pas un beau discours, une idée, mais une réalité dont la personne consacrée vit et fait connaître aux hommes.

 

Lecture patristique

Saint Augustin (+ 430)

Sermon 116, 1 5-6, PL 38, 657-660

Jésus Christ est notre salut. En effet, il l’est en personne, lui qui a été blessé pour nous, cloué à la croix, puis déposé de la croix et mis au tombeau. Il en est sorti, guéri de ses blessures, gardant ses cicatrices. Car il jugea profitable à ses disciples que ses cicatrices soient gardées, pour guérir les blessures de leur cœur. Quelles blessures ? Celles de l’incrédulité. En effet, lorsqu’il apparut à leurs yeux en présentant une chair réelle, ils pensèrent voir un esprit. C’est là une blessure du cœur qui n’est pas légère. Que votre charité y songe : s’ils avaient gardé cette blessure, en pensant que le corps enseveli n’était pas ressuscité, mais qu’un esprit avait trompé leurs regards par l’illusion d’un corps humain, s’ils étaient demeurés dans cette croyance, ou plutôt dans cette incrédulité, ce n’est pas leurs blessures qu’il faudrait déplorer, mais leur mort.

 

Donc, il se montra à ses disciples. Mais qui est-ce donc qu’il montra ? Le chef de son Église. Il prévoyait qu’à l’avenir son Église existerait dans tout l’univers, mais ses disciples ne le voyaient pas encore. Il leur montrait la tête, et il promettait le corps. Voici en effet ce qu’il ajouta : Rappelez-vous les paroles que je vous ai dites quand j’étais encore avec vous. Que signifient ces mots : quand j’étais encore avec vous ? Quand j’étais avec vous, étant mortel, ce que je ne suis plus maintenant. J’étais avec vous, lorsque j’avais à mourir. Que veut dire : avec vous ! Mortel, j’étais avec des mortels. Maintenant je ne suis plus avec vous, parce que, si je suis bien avec des mortels, je n’aurai plus maintenant à mourir.

 

Je vous ai dit qu’il fallait que tout s’accomplisse. Parce que c’est écrit, et qu’il le fallait. Quoi donc ? Que le Christ souffre, et qu’il ressuscite d’entre les morts le troisième jour. Cela ils l’ont vu : ils l’ont vu souffrir, ils l’ont vu attaché à la croix, et ils le voyaient après sa résurrection, vivant et présent parmi eux.

 

Qu’est-ce donc qu’ils ne voyaient pas ? Son corps, c’est-à-dire l’Église. Le Christ, ils le voyaient, mais elle, ils ne la voyaient pas. Ils voyaient l’Époux, l’Épouse était encore cachée. Qu’il leur promette donc la venue de l’Église. Il est écrit, et il le fallait, que le Christ souffre et ressuscite d’entre les morts. Voilà ce qui concerne l’Époux.

 

Et au sujet de l’Épouse ? La conversion proclamée en son nom pour le pardon des péchés, à toutes les nations, en commençant par Jérusalem. Voilà ce que les disciples ne voyaient pas encore : l’Église répandue à travers toutes les nations, en commençant par Jérusalem. Ils voyaient la tête et, sur sa parole, ils croyaient à son corps.

 

Nous leur sommes semblables : nous voyons quelque chose qu’ils ne voyaient pas ; et nous ne voyons pas quelque chose qu’ils voyaient. Que voyons-nous qu’ils ne voyaient pas ? L’Église répandue à travers les nations. Et qu’est-ce que nous ne voyons pas, mais qu’ils voyaient ? Le Christ vivant dans la chair. Comment le voyaient-ils, tandis qu’ils croyaient à son corps ? De la même façon que nous-mêmes voyons le corps et croyons à la tête. En revanche, que ce que nous ne voyons pas vienne à notre aide ! Voir le Christ a aidé les Onze à croire à l’Église future. L’Église que nous voyons nous aide à croire que le Christ est ressuscité. Leur foi a reçu son accomplissement : de même la nôtre. La leur a été accomplie en ce qui concerne la tête, la nôtre l’est en ce qui concerne le corps.

 

Le Christ total s’est fait connaître d’eux et s’est fait connaître de nous. Mais il n’a pas été connu tout entier par eux, ni tout entier par nous. Eux, ils ont vu la tête, et ils ont cru au corps. Nous, nous avons vu le corps et nous avons cru à la tête. Cependant le Christ ne fait défaut à personne : il est tout entier en tous, et pourtant son corps lui demeure attaché.

 

[1] Cf. Saint Ambroise, Expositio evangelii secundum Lucam, 2, 85-89: CCL 14, 69-72 (PL 15, 1666-1668)

[2] La componction du cœur porte en soi le sceau de la charité divine, du pur amour à Dieu. La vraie componction est en effet un don du Très-Haut, une douleur surnaturelle qui pénètre le cœur de l’homme à la pensée de la passion du Christ, au souvenir de ses propres fautes, au constat que l’exil terrestre qui sépare de Dieu, unique bonheur de l’âme voyageuse, se prolonge. Tout cela provoque un déferlement de saines larmes, larmes de l’âme plutôt que des yeux, auxquelles même Dieu ne sait résister.

 

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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