Card. Cantalamessa, première prédication de carême 2021 © Vatican Media

Card. Cantalamessa, première prédication de carême 2021 © Vatican Media

« Que l’eau de notre tiédeur devienne le vin d’une ferveur renouvelée », par le card. Cantalamessa

Première prédication de carême (texte complet)

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Les autres prédications auront lieu les vendredis 5, 12 et 26 mars – pas le 19 mars, solennité de saint Joseph, jour férié au Vatican -.
Le cardinal Cantalamessa a invité à rejeter toute « tiédeur » et à vivre la joie chrétienne dans une « ferveur » inspirée par l’Esprit Saint: ce même Esprit par lequel l’eau est changée en vin à Cana transforme le coeur du croyant.
AB

Raniero Cantalamessa, ofmcap.

« CONVERTISSEZ-VOUS ET CROYEZ

A L’ÉVANGILE ! »

Première prédication de Carême, 2021

Comme à l’habitude, nous consacrerons cette première méditation à une introduction générale au temps du Carême, avant d’entrer dans le thème spécifique prévu, une fois la retraite de la Curie terminée. Dans l’Évangile du premier dimanche de Carême de l’année B, nous avons entendu l’annonce programmatique par laquelle Jésus commence son ministère public: « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! » Nous méditerons ici sur cet appel du Christ toujours actuel.

On parle de conversion en trois occasions ou dans trois contextes différents dans le Nouveau Testament. A chaque fois, une nouvelle composante est mise en évidence. Ensemble, ces trois passages nous donnent une idée complète de ce qu’est la métanoïa évangélique. Il n’est pas dit que nous devons nécessairement vivre les trois en même temps, avec la même intensité. Il y a une conversion pour chaque étape de la vie. L’important est que chacun de nous découvre celle qui lui convient le mieux en ce moment.

Convertissez-vous, c’est-à-dire croyez !

La première conversion est celle qui résonne au début de la prédication de Jésus et qui se résume dans les mots : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile ! » (Mc 1, 15). Essayons de comprendre ce que le mot « conversion » signifie ici. Avant Jésus, la conversion signifiait toujours un « retour en arrière » (le mot hébreu, shub, signifie faire demi-tour, revenir sur ses pas). Elle indiquait la démarche d’une personne qui, à un certain moment de sa vie, se rend compte qu’elle fait « fausse route ». Alors elle s’arrête, change d’avis, décide de revenir à l’observance de la Loi et de renouer son alliance avec Dieu. La conversion, dans ce cas, a un sens fondamentalement moral et suggère l’idée de quelque chose de pénible à faire : changer d’habitudes, arrêter de faire ceci et cela….

Sur les lèvres de Jésus, ce sens change. Non parce qu’il aime changer le sens des mots, mais parce qu’avec sa venue, les choses ont changé. « Les temps sont accomplis : le règne de Dieu est tout proche ! » Se convertir ne signifie plus revenir en arrière, à l’ancienne alliance et à l’observance de la Loi, mais plutôt faire un saut en avant et entrer dans le Royaume, saisir le salut qui est offert aux hommes gratuitement, par l’initiative libre et souveraine de Dieu.

« Convertissez-vous et croyez » ne signifie pas deux choses différentes et successives, mais la même action fondamentale : convertissez-vous, c’est-à-dire croyez ! « Prima conversio fit per fidem », dit St. Thomas de Aquin : La première conversion c’est croire.[1] Tout cela requiert une véritable « conversion », un changement profond dans la façon dont nous concevons notre relation à Dieu. Elle nous oblige à passer de l’idée d’un Dieu qui demande, qui ordonne, qui menace, à l’idée d’un Dieu qui vient les mains pleines pour se donner à nous tout entier. C’est la conversion de la « loi » à la « grâce » qui était si chère à saint Paul.

« Si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants… »

Écoutons le second passage de l’Évangile dans lequel on parle une nouvelle fois de conversion :

À ce moment-là, les disciples s’approchèrent de Jésus et lui dirent : « Qui donc est le plus grand dans le royaume des Cieux ? » Alors Jésus appela un petit enfant ; il le plaça au milieu d’eux, et il déclara : « Amen, je vous le dis : si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, celui-là est le plus grand dans le royaume des Cieux. (Mt 18,1-3).

Cette fois-ci, oui, se convertir signifie rebrousser chemin, précisément revenir à l’époque où l’on était enfant ! Le verbe même employé, strefo, indique un demi-tour. C’est là la conversion de celui qui est déjà entré dans le Royaume, qui a cru à l’Évangile, qui sert le Christ depuis un certain temps. C’est notre conversion !

Que suppose la discussion de savoir qui est le plus grand ? Que la plus grande préoccupation n’est plus le royaume, mais la place qu’on y occupe, son moi. Chacun des Apôtres avait un titre lui permettant d’aspirer à être le plus important : Pierre avait reçu la promesse de la primauté, Judas la caisse, Matthieu pouvait dire qu’il avait laissé plus que les autres, André qu’il avait été le premier à le suivre, Jacques et Jean qu’ils avaient été avec lui sur le Thabor… Les fruits de cette situation sont évidents : rivalité, suspicion, confrontation, frustration.

Jésus enlève soudain le voile. Loin d’occuper la première place dans le Royaume, de cette façon on n’y entre même pas ! Le remède ? Se convertir, changer complètement de perspective et de direction. La révolution que Jésus propose est une véritable révolution copernicienne. Il faut  se décentrer de soi-même et se recentrer sur le Christ.

Jésus parle plus simplement de devenir des enfants. Pour les Apôtres, redevenir des enfants signifiait revenir à ce qu’ils étaient au moment de l’appel sur les rives du lac ou au bureau de collecteur d’impôts, c’est-à-dire sans prétentions, sans titres, sans comparaison entre eux, sans jalousie, sans rivalité. Seulement riches d’une promesse (« Je vous ferai devenir pêcheurs d’hommes ») et d’une présence, celle de Jésus. À l’époque où ils étaient encore des compagnons d’aventure, et non des concurrents pour la première place.

Pour nous aussi, redevenir des enfants signifie revenir au moment où nous avons découvert que nous étions appelés, au moment de notre ordination sacerdotale, de notre profession religieuse ou de notre première vraie rencontre personnelle avec Jésus. A l’époque où nous disions : « Dieu seul suffit ! » et que nous y croyions.

« Tu n’es ni froid ni brûlant »

Le troisième contexte dans lequel l’invitation à la conversion revient –péremptoire – est donné par les sept Lettres aux Églises de l’Apocalypse. Ces sept Lettres sont adressées à des personnes et à des communautés qui, comme nous, vivent la vie chrétienne depuis un certain temps et, en fait, y exercent un rôle de leader. Elles sont adressées à l’ange des différentes Églises : « À l’ange de l’Église qui est à Éphèse, écris ». On ne peut expliquer ce titre qu’en référence, directe ou indirecte, au pasteur de la communauté. On ne peut imaginer que l’Esprit Saint attribue à des anges la responsabilité des fautes et des déviations qui sont dénoncées dans les différentes églises, et encore moins que l’invitation à la conversion s’adresse à des anges plutôt qu’à des hommes.

Parmi les sept Lettres de l’Apocalypse, celle qui devrait nous faire réfléchir plus que toute autre est la Lettre à l’Église de Laodicée. Nous connaissons son ton sévère : « Je connais tes actions, je sais que tu n’es ni froid ni brûlant… Puisque tu es tiède – ni brûlant ni froid – je vais te vomir de ma bouche…. Sois fervent et convertis-toi ». (Ap 3, 15s) Il s’agit de se convertir de la médiocrité et de la tiédeur.

Dans l’histoire de la sainteté chrétienne, l’exemple le plus célèbre de la première conversion, celle du péché à la grâce, c’est saint Augustin ; l’exemple le plus instructif de la deuxième conversion, celle de la tiédeur à la ferveur, c’est sainte Thérèse d’Avila.  Ce qu’elle dit d’elle dans la Vie est certainement exagéré et dicté par la délicatesse de sa conscience, mais, en tout cas, peut nous servir à tous pour un examen de conscience utile.

« Je commençai donc de passe-temps en passe-temps, de vanité en vanité, d’occasion en occasion, à m’exposer à de si grands dangers […] Je trouvais dans les choses de Dieu de grandes délices, mais les chaînes du monde me tenaient encore captive ; je voulais, ce me semble, allier ces deux contraires, si ennemis l’un de l’autre : la vie spirituelle avec ses douceurs, et la vie des sens avec ses plaisirs. »

Le résultat de cet état était une profonde tristesse :

« Je tombais, je me relevais, faiblement sans doute, puisque je retombais encore. Me traînant dans les plus bas sentiers de la perfection, je ne m’inquiétais presque pas des péchés véniels, et quant aux mortels, je n’en avais pas une assez profonde horreur puisque je ne m’éloignais pas des dangers. Je puis le dire, c’est là une des vies les plus pénibles que l’on puisse s’imaginer. Je ne jouissais point de Dieu, et je ne trouvais point de bonheur dans le monde. Quand j’étais au milieu des vains plaisirs du monde, le souvenir de ce que je devais à Dieu venait répandre l’amertume dans mon âme ; et quand j’étais avec Dieu, les affections du monde portaient le trouble dans mon cœur[2]. »

Beaucoup pourraient découvrir dans cette analyse la véritable raison de leur insatisfaction et de leur mécontentement.

Parlons donc de la conversion de la tiédeur. Saint Paul exhortait les chrétiens de Rome avec ces mots : « Ne ralentissez pas votre élan, restez dans la ferveur de l’Esprit » (Rm 12, 11). On pourrait objecter : « Mais, cher Paul, c’est bien là que réside le problème ! Comment passer de la tiédeur à la ferveur, si l’on a malheureusement dérapé ? » On peut glisser progressivement dans la tiédeur, comme on tombe dans les sables mouvants, mais on ne peut pas se relever tout seul, presque en se tirant par les cheveux.

Notre objection vient du fait que nous négligeons ou interprétons mal l’ajout « de l’Esprit » (en pneumati) que l’Apôtre fait suivre à l’exhortation « Restez dans la ferveur ». Chez Paul, le mot « Esprit » indique – ou inclut – presque toujours une référence à l’Esprit Saint. Il ne s’agit jamais exclusivement de notre esprit ou de notre volonté, sauf dans 1 Thessaloniciens 5, 23, où il indique une composante de l’homme, à côté du corps et de l’âme.

Nous sommes héritiers d’une spiritualité qui concevait le chemin de la perfection selon les trois étapes classiques : la voie purgative, la voie illuminative et la voie unitive. En d’autres termes, on doit pratiquer le renoncement et la mortification pendant longtemps avant de pouvoir éprouver de la ferveur. Il y a une grande sagesse et des siècles d’expérience derrière tout cela, et malheur à ceux qui pensent que c’est désormais dépassé. Non, tout cela n’est pas dépassée, mais ce n’est pas la seule voie que suit la grâce de Dieu.

Un schéma aussi rigide dénote un déplacement lent et progressif de l’accent de la grâce vers l’effort de l’homme. Selon le Nouveau Testament, il existe une circularité et une simultanéité, de sorte que si la mortification est nécessaire pour parvenir à la ferveur de l’Esprit, il est tout aussi vrai que la ferveur de l’Esprit est nécessaire pour arriver à pratiquer la mortification. Une ascèse entreprise sans une forte impulsion initiale de l’Esprit serait un effort mortel, et ne produirait rien d’autre que la « vantardise de la chair ». L’Esprit nous est donné pour que nous puissions nous mortifier, plutôt que comme une récompense pour nous être mortifiés. « Si par l’Esprit vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez » (Rom 8,13).

Cette deuxième voie, qui va de la ferveur à l’ascèse et à la pratique des vertus, est celle que Jésus fit suivre à ses Apôtres. Le grand théologien byzantin Cabasilas écrit :

« Les Apôtres et nos pères dans la foi eurent l’avantage d’être instruits dans toute doctrine et de surcroît par le Sauveur lui-même. (…) Néanmoins, bien qu’ils eussent su tout cela, jusqu’à leur baptême [à la Pentecôte, avec l’Esprit], ils ne montrèrent rien de nouveau, de noble, de spirituel, de meilleur que l’ancien. Mais lorsque le temps du baptême fut venu pour eux et que le Paraclet fit irruption dans leurs âmes, alors ils devinrent des êtres nouveaux et embrassèrent une vie nouvelle, devinrent guides pour les autres et firent brûler la flamme de l’amour pour le Christ en eux-mêmes et dans les autres. […] De la même façon, Dieu conduit à la perfection tous les saints qui vinrent après eux[3] ».

Les Pères de l’Église exprimaient tout cela avec l’image suggestive de « la sobre ivresse ». Ce qui en poussa beaucoup à reprendre ce thème, déjà développé par Philon d’Alexandrie[4], ce sont les paroles de Paul aux Éphésiens :

« Ne vous enivrez pas de vin, car il porte à l’inconduite ; soyez plutôt remplis de l’Esprit Saint. Dites entre vous des psaumes, des hymnes et des chants inspirés, chantez le Seigneur et célébrez-le de tout votre cœur[5] ».

À partir d’Origène, on ne compte plus les textes des Pères illustrant ce thème, jouant tantôt sur l’analogie, tantôt sur le contraste entre l’ivresse matérielle et l’ivresse spirituelle. Ceux qui, à la Pentecôte, avaient pris les Apôtres pour des ivrognes avaient raison – écrit saint Cyrille de Jérusalem – ils se sont seulement trompés en attribuant cette ivresse au vin ordinaire, alors qu’il s’agissait du « vin nouveau », pressé de la « vraie vigne » qu’est le Christ ; les Apôtres étaient bien ivres, oui, mais de cette sobre ivresse qui met à mort le péché et donne vie au cœur[6].

Comment faire pour reprendre cet idéal de sobre ivresse et l’incarner dans la situation historique et ecclésiale actuelle ? Où est-il écrit, en effet, que cette manière aussi « forte » de faire l’expérience de l’Esprit était l’apanage des Pères et des premiers temps de l’Église, mais qu’il n’en est plus ainsi pour nous ? Le don du Christ ne se limite pas à une époque particulière, mais il est offert à toute époque. C’est précisément le rôle de l’Esprit que de rendre la rédemption du Christ universelle, de la rendre disponible à toute personne, en tout point du temps et de l’espace.

Une vie chrétienne pleine d’efforts ascétiques et de mortification, mais sans la touche vivifiante de l’Esprit, ressemblerait – disait un Père ancien – à une messe au cours de laquelle on ferait de nombreuses lectures, on accomplirait tous les rites et on apporterait de nombreuses offrandes, mais où la consécration des espèces par le prêtre n’aurait pas lieu. Tout resterait comme avant, rien d’autre que  du pain et du vin.

« Il en est ainsi, concluait ce Père, de même pour le chrétien. Même s’il a parfaitement suivi le jeûne et la veille, la psalmodie et toute l’ascèse et toute vertu, mais que l’opération mystique de l’Esprit ne s’est pas accomplie, par la grâce, sur l’autel de son cœur, tout ce processus d’ascèse est incomplet et presque vain, parce que l’exultation de l’Esprit n’opère pas mystiquement dans son cœur[7]. »

Quels sont les « lieux » où l’Esprit agit de cette manière pentecostale aujourd’hui ? Écoutons la voix de saint Ambroise qui fut le chantre par excellence, parmi les Pères latins, de la sobre ivresse de l’Esprit. Après avoir rappelé les deux « lieux » classiques où l’on peut puiser l’Esprit – l’Eucharistie et les Écritures – il évoque une troisième possibilité. Voici ce qu’il dit :

« Il y a encore une autre ivresse qui s’opère par la pluie pénétrante du Saint-Esprit. C’est ainsi que, dans les Actes des Apôtres, ceux qui parlaient en diverses langues apparurent aux auditeurs comme s’ils étaient remplis de vin doux[8]. »

Après avoir rappelé les moyens « ordinaires », saint Ambroise, en ces mots, mentionne un moyen différent, « extraordinaire », en ce sens qu’il n’est pas fixé à l’avance, que ce n’est pas quelque chose d’institué. Il consiste à revivre l’expérience que les Apôtres ont fait le jour de la Pentecôte. Ambroise n’avait certainement pas l’intention de signaler cette troisième possibilité, pour dire à ses auditeurs qu’elle leur était interdite, étant réservée aux seuls Apôtres et à la première génération de chrétiens. Au contraire, il entendait inviter ses fidèles à faire l’expérience de cette « pluie pénétrante de l’Esprit » qui se produisit à la Pentecôte. C’est ce que saint Jean XXIII attendait du Concile Vatican II : une « nouvelle Pentecôte » pour l’Église.

Nous avons donc aussi la possibilité de puiser l’Esprit par cette voie nouvelle, dépendant uniquement de la souveraine et libre initiative de Dieu. L’une des façons dont se manifeste de nos jours l’Esprit en dehors des canaux institutionnels de la grâce est ce qu’on appelle le « Baptême dans l’Esprit ». Je le mentionne ici sans aucune intention de prosélytisme, mais pour répondre à l’exhortation que le Pape François adresse souvent à tous ceux du Renouveau charismatique catholique de partager avec tout le peuple de Dieu ce « courant de grâce » que l’on vit dans le Baptême de l’Esprit.

L’expression « Baptême dans l’Esprit » vient de Jésus lui-même. Faisant référence à la Pentecôte toute proche, avant de monter au ciel, il a dit à ses Apôtres : « Alors que Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours[9] ». C’est un rite qui n’a rien d’ésotérique, mais se compose plutôt de gestes d’une grande simplicité, calme et joie, accompagnés d’attitudes d’humilité, de repentir, de disponibilité à devenir des enfants.

C’est un renouveau et une actualisation non seulement du baptême et de la confirmation, mais de toute la vie chrétienne : pour les époux, du sacrement de mariage ; pour les prêtres, de leur ordination sacerdotale ; pour les personnes consacrées, de leur profession religieuse. La personne concernée s’y prépare, ainsi que par une bonne confession, en participant à des rencontres de catéchèse au cours desquelles elle est remise dans un contact vivant et joyeux avec les principales vérités et réalités de la foi : l’amour de Dieu, le péché, le salut, la vie nouvelle, la transformation dans le Christ, les charismes, les fruits de l’Esprit. Le fruit le plus fréquent et le plus important est la découverte de ce que signifie avoir « une relation personnelle » avec Jésus ressuscité et vivant. Dans la conception catholique, le baptême dans l’Esprit n’est pas un point d’arrivée, mais un point de départ vers la maturité chrétienne et l’engagement ecclésial.

Est-il juste d’espérer que tout le monde vive cette expérience ? Est-ce la seule façon possible de faire l’expérience de la grâce d’une Pentecôte renouvelée souhaitée par le Concile ? Si par baptême dans l’Esprit, nous entendons un certain rite, dans un certain contexte, nous devons répondre non ; ce n’est certainement pas la seule façon de faire une expérience forte de l’Esprit. Il y a eu et il y a d’innombrables chrétiens qui ont fait une expérience semblable, sans rien savoir du baptême dans l’Esprit, recevant une augmentation évidente de grâce et une nouvelle onction de l’Esprit à la suite d’une retraite, d’une rencontre, d’une lecture. Même une retraite peut très bien se terminer par une invocation spéciale du Saint-Esprit, si celui qui la prêche en a fait l’expérience et si les participants le souhaitent. Le secret est de dire une fois « Viens, Saint-Esprit », mais de le dire de tout ton cœur, en laissant l’Esprit libre de venir comme il veut, pas comme nous voudrions qu’il vienne, c’est-à-dire sans rien changer à notre manière de vie et de prier.

Le « baptême dans l’Esprit » s’est révélé être un moyen simple et puissant de renouveler la vie de millions de croyants dans presque toutes les églises chrétiennes. On ne compte plus le nombre de personnes qui n’étaient chrétiennes que de nom et qui, grâce à cette expérience, sont devenues des chrétiens de fait, consacrés à la prière de louange et aux sacrements, actifs dans l’évangélisation et prêts à assumer des tâches pastorales dans la paroisse. Une véritable conversion de la tiédeur à la ferveur ! Il faudrait se dire ce qu’Augustin se répétait, presque avec indignation, en écoutant les histoires d’hommes et de femmes qui, à son époque, abandonnaient le monde pour se consacrer à Dieu : « Si isti et istae, cur non ego[10] ? … ». Si eux l’ont fait, pourquoi ne le ferais-je pas, moi aussi ?

Demandons à la Mère de Dieu de nous obtenir la grâce qu’elle a obtenue pour son Fils à Cana en Galilée. Par sa prière, ce jour-là, l’eau a été transformée en vin. Demandons que, par son intercession, l’eau de notre tiédeur devienne le vin d’une ferveur renouvelée. Le vin qui, à la Pentecôte, a provoqué chez les apôtres la sobre ivresse et les a rendus « fervents dans l’Esprit ».

 

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Traduit de l’Italien par Cathy Brenti, de la Communauté des Béatitudes.

NOTES

[1] St. Thomas, S.Th, I-IIae, q. 113, a. 4.

[2] Thérèse d’Avila, Livre de la vie, 7-8, Folio 2015.

[3]N. Cabasilas, La vie en Christ, Cerf 2011.

[4] Philon d’Alexandrie, Legum allegoriae, I, 84 (nefalios methē).

[5] Ep 5, 18-19.

[6] Saint Cyrille de Jérusalem, Cat. XVII, 18-19.

[7] Macaire l’Egyptien, Philocalie, 3, Cerf 2019.

[8] Saint Ambroise, Commentaires des Psaumes 35, 19.

[9] Ac 1, 5.

[10] Saint Augustin, Confessions, VIII, 8, 19.

 

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Raniero Cantalamessa

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