Les lumières dans l’horreur des camps de concentration, l’amour porté à son mari jusqu’à la fin… dans un article de L’Osservatore Romano publié le 22 février 2021, le directeur Andrea Monda donne le récit de la rencontre entre le pape François et l’écrivaine italienne Edith Bruck, survivante de la Shoah, à laquelle il a participé.
« Je suis venu ici chez vous pour vous remercier de votre témoignage et pour rendre hommage au peuple martyrisé par la folie du populisme nazi », a dit le pape en arrivant chez la poétesse d’origine hongroise âgée de 88 ans. « Avec sincérité, a-t-il ajouté, je redis les paroles que j’ai prononcées du fond du coeur devant Yad Vashem et que je répète devant toute personne qui, comme vous, a beaucoup souffert à cause de cela : pardon Seigneur, au nom de l’humanité. »
A l’origine de cette rencontre dont les images ont fait le tour du monde ? Un entretien avec Edith Bruck dans les pages de L’Osservatore Romano du 26 janvier. « Le pape la lit et en est touché, rapporte Andrea Monda, il me fait savoir qu’il veut rencontrer cette dame. Je me donne du mal, j’organise la visite d’Edith Bruck au Vatican, et je le communique au pape, qui m’appelle et me dit : ‘Vous n’avez pas compris directeur, ce n’est pas elle qui doit venir, c’est moi qui irai visiter Madame Bruck chez elle, si c’est possible’. »
« On n’est jamais préparés aux plus beaux moments de la vie », a commenté Edith Bruck en accueillant son hôte, « tout comme on n’est jamais prêt pour les pires moments ». Et le pape de répondre : « Et puis il y a la surprise de ce qui jaillit de l’intérieur, de notre coeur. »
Andrea Monda décrit l’émotion palpable de cette « réunion de famille » autour d’un gâteau à la ricotta, à laquelle ont participé la nièce d’Edith Bruck, Deborah, fille de sa soeur Judit – qui survécut elle aussi à la Shoah – et quelques autres personnes dont Olga, une Ukrainienne qui accompagne la femme de lettres depuis une vingtaine d’années. Le pape a offert une menorah, le chandelier juif à sept branches, ainsi que le Talmud de Babylone en version bilingue hébreu-italien.
Quand Caïn oublie
Durant plus d’une heure de conversation au deuxième étage d’une rue du centre de Rome, a été évoqué le livre-témoignage « Il pane perduto », où la poétesse, qui avait alors 13 ans, raconte notamment que le cuisinier de Dachau lui a offert un peigne, lui demandant son nom en lui disant « J’ai une fille de ton âge ». « Regardant ma tête où mes cheveux repoussaient, il a sorti ce peigne de sa poche et me l’a donné, raconte Edith Bruck. J’eus la sensation de me retrouver après très longtemps devant un être humain. »
La survivante s’est souvenu aussi des « lumières dans l’obscurité » : ce soldat qui la sépara de force de sa mère envoyée dans les chambres à gaz d’Auschwitz ; ce soldat allemand qui lui demanda de laver sa gamelle dans laquelle il avait laissé de la confiture ; cet autre qui lui offrit des gants, troués, mais précieux pour elle.
« Quel courage, quelle souffrance », a commenté le pape, en rappelant : « Nous sommes tous frères, même si parfois Caïn l’oublie, comme au XXe siècle. »
« Parce que vous l’avez aimé »
Dans la tourmente de la pandémie de covid-19, Edith Bruck a souhaité que les soins des malades puissent se faire « à domicile ».
Elle a alors fait mémoire de la dernière décennie de son mari Nelo Risi, atteint de la maladie d’Alzheimer : « Cela peut sembler étrange, mais cela a été des années heureuses, j’ai continué à dialoguer avec mon mari, à être proche de lui, main dans la main. Les médecins me disaient qu’il mourrait en quelques jours, et nous avons continué ainsi plus de 10 ans ». « Parce que vous l’avez aimé », a alors répondu le pape.
La conversation s’est élargie au drame de la faim des enfants alors que les Etats consacrent des sommes colossales à l’armement : « Le problème est l’égoïsme, a estimé le pape, tendre la main coûte peu mais l’égoïsme bloque ce geste, il contracte la main qui serait prête à se tendre vers l’autre. »