« Le rêve de celui qui veut être le plus riche et le plus fort, seul, se transforme en cauchemar, pas seulement pour lui », a affirmé Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant’Egidio, lors de la rencontre interreligieuse pour la paix organisée à Rome le 20 octobre 2020.
Devant le pape François et des leaders religieux réunis sur la Place du Capitole, l’historien a rappelé que cette initiative se situait dans le sillage de la rencontre d’Assise initiée par Jean-Paul II en 1986.
« Au cours des trente-cinq dernières années, a noté Andrea Riccardi, des énergies créatrices et libératrices de paix se sont libérées… de nouvelles paix sont devenues possibles (car la paix est toujours possible) et un climat de dialogue et de fraternité entre les religions s’est instauré. Ces dernières ont répondu très clairement à l’instrumentalisation de la religion dans un but violent. »
« Le message que transmettent les religions, rassemblées ici, est qu’on ne se sauve pas seul, en laissant les autres derrière soi, ni contre les autres, a-t-il souligné. Cela vaut pour l’Europe. Cela vaut pour tous les continents. Cela vaut aussi pour tout citoyens. Les traditions religieuses transmettent un message consonant : paix signifie construire ensemble, dans le dialogue, sans exclure ni avoir le dessus sur l’autre. »
Voici la traduction française de ce texte fournie par Sant’Egidio, organisateur de l’événement.
AK
Discours d’Andrea Riccardi
Vos Saintetés,
Monsieur le Président de la République,
Illustres représentants des religions mondiales,
Cette rencontre de prière et de dialogue pour la paix, programmée de longue date, a été réduite à sa forme essentielle en raison du contexte actuel difficile. Je suis très reconnaissant au Président de la République d’avoir bien voulu y participer. Je remercie ceux qui ont fait un voyage pour être présents ici, comme le Patriarche Bartholomée et d’autres.
Aujourd’hui, les communautés religieuses ont prié l’une à côté de l’autre, et maintenant elles adressent – à travers quelques intervenants – un message de paix. Le grand tournant de la rencontre d’Assise, voulue par Jean-Paul II en 1986, qui a donné son nom à « l’esprit d’Assise », fut que les religions ne continuèrent pas à prier l’une contre l’autre, comme par le passé, au temps où nous étions étrangers ou haineux. Aujourd’hui, elles prient l’une à côté de l’autre. Alors, Jean-Paul II disait : « La paix attend ses prophètes. Ensemble, nous avons remplis nos regards avec des visions de paix : ces dernières libèrent des énergies pour un nouveau discours de paix, de nouveaux gestes de paix, qui briseront les chaînes fatales des divisions héritées de l’histoire ou engendrées par les idéologies modernes. »
Au cours des trente-cinq dernières années, des énergies créatrices et libératrices de paix se sont libérées. Malheureusement, certaines situations de vivre ensemble se sont détériorées et de nouvelles guerres se sont ouvertes. Néanmoins, nous devons reconnaître que de nouvelles paix sont devenues possibles (car la paix est toujours possible) et un climat de dialogue et de fraternité entre les religions s’est instauré. Ces dernières ont répondu très clairement à l’instrumentalisation de la religion dans un but violent.
Nous avons prié les uns à côté des autres, car la prière est la racine de la paix, qui purifie le cœur de la haine et qui demande à Dieu la fin de toute guerre. Sur le podium se présentent ensemble des représentants des différentes religions, comme un arc-en-ciel de paix : leur diversité ne les empêche pas de partager un sentiment fraternel et pacifique, au contraire, cela révèle dans la différence l’adhésion véritable à une vision de paix. Cela n’aurait pas été possible il y a quelques années.
D’une prière commune jaillit la parole. Le monde est assoiffé de paroles vraies qui illuminent l’avenir, tellement incertain. Dans de nombreux pays se vit un moment grave dans lequel on ne peut pas rester en silence. Il faut donner de la voix et de la solidarité aux nombreuses personnes fragilisées par la pandémie, à ceux qui souffrent depuis trop longtemps, à celui qui subit des guerres toujours en cours, presque toutes oubliées parce qu’aujourd’hui nous sommes principalement concentrés sur nos maladies ou nos problèmes. Les croyants accueillent dans la prière les cris de douleur des affligés, qui manifestent le besoin d’une nouvelle vision de l’avenir. Les visions d’hier se sont perdues et il y a une grande angoisse pour le lendemain.
Le pape François, auquel je suis reconnaissant pour sa parole orientatrice, dans Fratelli tutti, nous a invité à chercher l’avenir à la lumière de la fraternité : « Seul, on risque d’avoir des mirages par lesquels tu vois ce qu’il n’y a pas ; les rêves se construisent ensemble. » Combien de mirages avons-nous poursuivis ! Puis ils se sont brisés : le mythe de l’économie qui résout tout providentiellement, le mythe de l’homme fort, l’illusion d’imposer ses raisons personnelles par la violence, la guerre, tant d’autres.
Les mirages se transforment en cauchemars, dont le pire est certainement la guerre, qui domine des pays entiers dans le bassin méditerranéen et ailleurs. La guerre est la mère de toutes les pauvretés ; dont les fruits sont aussi les réfugiés qui frappent à nos portes. Même le rêve de celui qui veut être le plus riche et le plus fort, seul, se transforme en cauchemar, pas seulement pour lui.
Croyants et leader religieux ont voulu prier ensemble ce soir. Maintenant, nous allons écouter leurs voix. Le message que transmettent les religions, rassemblées ici, est qu’on ne se sauve pas seul, en laissant les autres derrière soi, ni contre les autres. Cela vaut pour l’Europe. Cela vaut pour tous les continents. Cela vaut aussi pour tout citoyens. Les traditions religieuses transmettent un message consonant : paix signifie construire ensemble, dans le dialogue, sans exclure ni avoir le dessus sur l’autre. Les religions vivent de dialogue, parce que leur première œuvre est la prière, qui est dialogue avec Dieu, comme le disait Paul VI. Ne pas se sauver seul ouvre la route à des visions partagées et à un rêve sur l’humanité. Le pape François a écrit : « Rêvons en tant qu’une seule et même humanité, comme des voyageurs partageant la même chair humaine, comme des enfants de cette même terre qui nous abrite tous… » Ainsi, les croyants rêvent. Ils aident à imaginer les besoins de libération de la pauvreté. Les malades ; les victimes de la guerre, à commencer par les enfants ; les réfugiés. En effet, comme l’affirme Paul Ricœur : « Si les religions ont un sens, c’est de libérer le fond de bonté des hommes, d’aller le chercher là où il est enfoui. »