Grand rabbin de France Haïm Korsia © Vatican Media

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« Deux frères avaient un champ », l’histoire du grand rabbin de France à la rencontre pour la paix

Hommage à l’enseignant Samuel Paty

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« Deux frères avaient un champ »… ainsi commence l’histoire racontée par le Grand rabbin de France, Haïm Korsia, devant le pape François, lors d’une rencontre interreligieuse pour la paix organisée par la Communauté de Sant’Egidio, ce 20 octobre 2020. Il a évoqué ainsi « le plus beau des temples à reconstruire: celui de la fraternité ».

Au milieu de son discours, sur le podium installé Place du Capitole au cœur de Rome, le représentant juif a exprimé « une pensée pour Samuel Paty », le professeur décapité le 16 octobre par un terroriste, à Conflans-Sainte-Honorine : il a été « assassiné pour avoir juste accompli sa mission », a-t-il dit, saluant « cet homme qui savait que le combat pour l’éducation est celui qui offre l’humanisme en partage ».

« Il en est mort, et cette mort nous oblige à poursuivre son combat dans la fraternité, mais sans faiblesse et sans peur », a ajouté le rabbin. Dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, le professeur d’histoire avait montré les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo, et son cours avait créé une polémique sur les réseaux sociaux.

Discours d’Haïm Korsia

Votre Sainteté,
Chers amis,

Dans toutes les synagogues du monde, ce samedi, nous avons lu le texte de la création du monde et le début de l’humanité. Tant d’espérance et tant de déception. Caïn tue Abel et ruine une fraternité qui était le modèle idéal du monde. Oui, la fraternité comme espérance.

Et Caïn, plus que d’assassiner son frère, va nier la force du lien fraternel en répondant à son Créateur qui l’interroge sur Abel : « Suis-je le gardien de mon frère? » Comme vous l’écrivez en votre dernière encyclique, il va nier « le projet même de fraternité inscrit dans la vocation de la famille humaine ». Elie Wiesel disait même que le contraire de l’amour n’est pas la haine, c’est l’indifférence. Et Caïn promeut ce monde de l’indifférence.

Pour Caïn, il n’y a pas de responsabilité de l’un envers l’autre, il n’y a pas de lien de semblable à semblable, d’humain à humain, puisqu’il n’y a pas de fraternité.
Et la Genèse va poursuivre avec les tensions entre les fils de Noé, puis Abraham et Loth, puis Isaac et Ismaël, puis Jacob et Esaü, puis Joseph et ses dix frères qui vont jusqu’à le vendre dans la haine qui les domine. Et pourtant, Joseph clame à un homme qui lui demande où il va: « Ce sont mes frères que je cherche ».

Oui, notre modèle est celui de Joseph, celui qui nous pousse à bâtir un lien de fraternité avec celles et ceux que nous rencontrons, avec celles et ceux qui nous donnent à espérer encore en une humanité à reconstruire.

Rabbi Nahman de Braslav affirme que « Le monde entier est un pont étroit et l’essentiel est de ne pas avoir peur, du tout ».
Et c’est ce souffle que j’ai trouvé en votre encyclique en particulier lorsque vous appelez à oser aller vers le lointain, celui dont le prophète Isaïe affirme « Paix, Paix, pour le lointain et pour le proche ». Oui, pour le lointain d’abord, mais en fait, pour tous, comme vous le rappelez en citant Hillel l’Ancien.

Par-delà le Talmud, vous mettez en exergue trois principes qui me sont chers, Liberté, Egalité et Fraternité, comme un hommage à la vocation de la France de se sentir responsable de toutes les misères et de tous les espoirs du monde. C’est encore ce principe de responsabilité envers l’autre qui s’exerce. Et si vous faites le choix de reprendre la phrase de saint Grégoire le Grand : « Quand nous donnons aux pauvres les choses qui leur sont nécessaires, nous ne leur donnons pas tant ce qui est à nous, que nous leur rendons ce qui est à eux », j’y vois l’écho de notre principe  biblique : »Nous ne sommes que les gardiens temporaires de ce que Dieu me demande de donner à celui ou celle qui en a besoin ».

Dans un livre lumineux sur Saint François d’Assise, Le Très bas, Christian Bobin explique que votre modèle était en rupture sévère avec son père. Et pourtant, l’âge venant, comme chaque fois que nous nous frottons à ceux à qui nous nous opposons, il va finir par lui ressembler. Notre fraternité a besoin de s’exercer dans la rencontre, dans le débat, parfois même dans la vive discussion, mais toujours dans l’espérance de trouver l’autre, pour pouvoir se trouver soi-même. Et c’est justement cette histoire de fraternité que le Midrash raconte que je veux vous livrer en conclusion.

Deux frères avaient un champ et partageaient la récolte. L’un avait de nombreux enfants et l’autre était célibataire. Chacun voulait donner plus à son frère et la nuit, discrètement, chacun ajoutait du blé sur le tas de son frère…et au matin, les tas étaient toujours identiques. Mais une nuit, les deux frères se croisent et comprennent ce que chacun voulait et tombent dans les bras l’un de l’autre. Des larmes coulent, tombent au sol, et Dieu dit : « Là où sont tombés ces larmes, je veux que mon Temple soit construit ». C’est bien à l’exemple de la Jérusalem céleste que nous devons tous rebâtir une fraternité digne du Temple. Et c’est peut-être le plus beau des temples à reconstruire: celui de la fraternité.

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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