Mgr Francesco Follo 13/12/2017 @Oss_romano

Mgr Francesco Follo 13/12/2017 @Oss_romano

« La pièce de “monnaie” sur laquelle est imprimée l’image de Dieu » 

«A César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu»

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Mgr Francesco invite à « comprendre qu’être des «pièces» de monnaie à l’effigie de Dieu signifie avoir imprimé sur nous l’amour de Dieu à partager », dans son commentaire sur les lectures de la messe de dimanche prochain, 18 octobre 2020.

Comme lecture patristique, il propose un passage de saint Laurent de Brindes (1559 – 1619).

 

Nous sommes la pièce de “monnaie”

sur laquelle est imprimée l’image de Dieu 

 

1) César et Dieu

L’Evangile d’aujourd’hui évoque la parole bien connue du Christ : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Phrase que l’on répète à tort et à travers quand on parle du rapport entre le christianisme et les institutions, plus largement le pouvoir politique. Pour ne pas réduire la méditation de l’évangile à une leçon, même brève, sur les rapports entre l’Eglise et l’Etat, je crois qu’il est bon d’expliquer dans quel contexte Jésus a prononcé cette phrase.

Bien qu’ayant une vision différente de l’occupation romaine au temps de la vie terrestre de Jésus, pharisiens et partisans d’Hérode veulent tous tendre un piège à Jésus. Quand un prophète devient dérangeant, il faut absolument essayer de le prendre en défaut et démontrer qu’il se contredit. D’où la question : « A ton avis, est-il permis oui ou non de payer l’impôt à César ? »

Si Jésus avait répondu « non » à la question de savoir si pour les Juifs il est licite ou non de payer les impôts à Rome, ils l’auraient dénoncé auprès des Romains comme ennemi et résistant ; s’il avait répondu oui, ils auraient eu beau jeu de le dénoncer devant tout le monde comme collaborateur.

Jésus ne tombe pas dans le piège. Il choisit une autre voie que ni les pharisiens ni les partisans d’Hérode n’avaient prévue en leur posant une question ambiguë : il invite ses interlocuteurs à prendre une pièce de monnaie de l’impôt. Ceux-ci présentent la monnaie à l’effigie de Tibère César. Jésus demande alors s’il s’agit bien de l’effigie de César, puis il déclare ce que j’ai cité plus haut.

L’enseignement que l’on en tire habituellement, et à juste titre, est de confirmer la distinction entre l’Etat et l’Eglise et d’affirmer qu’il faut absolument savoir faire la part de ce qui revient à César et ce qui revient à Dieu. En tout état de cause, c’est toujours à l’autorité suprême de Dieu que l’on recourt en toute circonstance. Le chrétien est celui qui est appelé à vivre en citoyen dans sa propre patrie, respectueux des lois de sa nation. Il paie ses impôts, intervient dans les assemblées, participe en tant que croyant à la vie politique, mais il sait que toute situation ne peut et ne doit s’en rapporter qu’à Dieu seul.

2) Dieu et son image

« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». On interprète généralement ces paroles comme la distinction à établir entre l’Eglise et l’Etat. A bon droit, sans aucun doute. Toutefois, cette phrase nous entraîne plus loin et rappelle une vérité plus profonde sur l’homme. Car, si sur la monnaie est imprimée l’image de César, sur nous est « imprimée » l’image de Dieu, ou mieux, nous sommes faits à l’image et à la ressemblance de Dieu. Lorsque Jésus demande de qui est l’effigie gravée sur la monnaie et de qui il s’agit, ils répondent : « de César ». Jésus réplique : « rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Cette réponse surprend les auditeurs. En toute circonstance nous devons nous demander ce qui est à César et ce qui est à Dieu. Dans la réponse de Jésus ce qui appartient à César est parfaitement clair : c’est seulement la monnaie frappée à Rome sur laquelle est gravée l’image de l’empereur. Il fallait donc la rendre à son propriétaire.

L’Evangile va plus loin et dit de donner à Dieu ce qui est de Dieu. Mais qu’est-ce qui est de Dieu ? Le terme d’ « image » qu’utilise Jésus à propos de la monnaie renvoie à la phrase placée justement au début de la Bible : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa (Gn 1,27). Ce qui veut dire ce que Jésus a initié au temps de sa vie terrestre avec la création de l’homme reste vrai aujourd’hui. Au début de l’histoire du monde, Adam et Eve sont le fruit d’un acte d’amour de Dieu, faits à son image et à sa ressemblance et leur vie coïncidait avec leur relation au Créateur.

Déjà au IVe siècle, on lisait sous la plume d’un Auteur anonyme : « L’image de Dieu n’est pas imprimée sur l’or mais sur le genre humain. La monnaie de César est d’or, celle de Dieu est l’humanité… Par conséquent « donne ta richesse matérielle à César, mais réserve à Dieu l’unique innocence de ta conscience, là où Dieu est contemplé… En effet, César a voulu son image sur chaque monnaie, mais Dieu a choisi l’homme qu’Il a créé pour refléter sa gloire » (Anonyme, Oeuvre incomplète sur Matthieu, Homélie 42). Et saint Augustin a utilisé plusieurs fois cette référence dans ses homélies : « Si César exige sa propre image sur la monnaie, Dieu n’exigera-t-il pas que l’homme grave en lui-même l’image divine ? (En. in Ps. Ps 94,2). Et encore : « Comme l’on rend à César sa monnaie, ainsi rend-on à Dieu l’âme illuminée, reflet de la lumière de son visage… Christ, en effet, habite dans l’homme intérieur (Ibid., Ps 4,8).

Cette indication de Jésus ne peut se réduire au seul contexte politique. Le devoir de l’Eglise, dans ce cas, n’est pas de se limiter à rappeler aux hommes la juste distinction entre la sphère d’autorité de César et celle de Dieu, entre le monde politique et le monde religieux. Le devoir de l’Eglise, qui poursuit la mission de Jésus consiste essentiellement à parler de Dieu, à faire mémoire de sa souveraineté de Père, à rappeler à tous, et particulièrement aux chrétiens qui ont oublié leur propre identité, le droit de Dieu sur ce qui lui appartient, c’est-à-dire notre vie qui, en Lui, devient sainte, vraie. La vérité sur nous, comme sur tous les êtres humains, est que nous sommes avant tout fils de Dieu. Et que c’est à Dieu que nous appartenons. C’est là la racine de la liberté et de la dignité de l’homme qui doivent être défendues, soignées et restituées à chacun. Il s’agit donc de faire émerger, toujours plus claire, cette empreinte de Dieu qui a été façonnée au plus profond de tout être humain et qui le rend saint.

Il existe, en effet, une « sainteté » propre à chaque personne humaine, acquise non pas par mérite mais par don parce que chacun de nous a été créé à l’image de Dieu. Selon saint Irénée, le Verbe et l’Esprit sont les deux mains avec lesquelles l’homme fut modelé au début des temps et avec lesquelles il est aujourd’hui modelé à l’image de Dieu.

En tout temps, mais particulièrement au début de cette vie de sainteté, tout croyant n’a d’autre devoir que la docilité à l’action de l’Esprit Saint. Mais comment reconnaître l’action de l’Esprit Saint et lui faire place dans notre vie ? En gardant vivant en nous le saint désir de Dieu, avec persévérance, en accueillant la demande du Christ à chaque instant de notre vie. Sœur Elisabeth de la Trinité disait : « Comme chaque instant est sérieux ! Il coûte le sang du Christ ! ».

Chaque instant coûte Dieu lui-même, parce que le prix du sang, c’est Dieu : nous le recevons à chaque instant, nous devons le recevoir. A chaque instant aussi, malheureusement, nous pouvons nous fermer à Lui et Le refuser. Et nous Le refusons dans la mesure où nous ne nous abandonnons pas à cette grâce. Nous Le refusons et nous nous fermons à Lui dans la mesure où nous ne sommes pas dociles à Lui, nous ne l’écoutons pas et nous ne L’accueillons pas en nous, nous ses disciples.

En tant que disciples de Jésus nous devons œuvrer pour qu’en chaque homme resplendisse cette icône (image) de Dieu qui est imprimée dans son cœur. Non seulement nous devons adorer Dieu, toujours présent dans notre âme, non seulement nous devons nous rendre compte que nous sommes temple vivant de Dieu, mais nous devons aussi nous rendre compte que tout ce que nous avons reçu de Lui doit être à chaque instant mu par Lui, utilisé par Lui, activé par Lui. Nous ne devons pas être uniquement le temple de Dieu, mais l’instrument de son action, parce que Dieu n’habite pas en nous de façon statique, inactive, parce que Dieu n’habite pas en nous seulement parce que nous l’adorons. Il habite en nous pour agir, et surtout pour nous transformer et nous rendre semblables à Lui dont nous sommes l’image.

Nous sommes invités à demander par la prière et l’action d’être rendus conformes à l’image du Fils de Dieu. Cette image est souvent abîmée, humiliée, brisée à cause de nos fautes personnelles ou par celles des autres. En nous abîmant nous-mêmes ou les autres, nous abîmons l’image de Dieu qui est nous, nous défigurons l’image que « les deux mains » créatives de Dieu ont réalisée. Aujourd’hui Jésus nous exhorte à « rendre» à Dieu ce qui lui appartient : tout et tout le monde, nous-mêmes ainsi que l’humanité et la création.

Mais nous ne devons pas oublier que de toutes les créatures, l’homme est le seul que Dieu a voulu pour Lui (Gaudium et spes, 12 ; Catéchisme de l’Eglise catholique 356), ou bien qu’il n’est pas une chose parmi les choses, mais un être doué de conscience personnelle et de libre décision. C’est une personne capable d’une relation avec Dieu et avec ses semblables. C’est là l’image-ressemblance avec Dieu : nous ne sommes pas une chose prise dans les lois du cosmos (pensez à l’évolution qui a mené à la présence de l’homme : les scientifiques parlent de trois milliards d’années) mais nous avons une conscience, une liberté, nous pouvons interpréter notre présence dans le monde en lui donnant un sens 1.

L’homme apparaît ainsi comme le sommet de la création, le point où le créé devient conscient et capable de répondre librement à Dieu, capable d’une relation 2.

Un Ordre de personnes qui vivent cette relation de communion sponsale avec Dieu et fraternelle avec les hommes est celui des Vierges consacrées dans le monde. A travers leur consécration, ces femmes témoignent à l’Eglise et au monde que l’être humain est le reflet de l’amour de Dieu et qu’il est appelé à être dans le monde visible un porte-parole de la gloire de Dieu et, dans un certain sens, une parole de Sa gloire.

Les Vierges manifestent et rendent publique la virginité parfaite de leur propre Mère, l’Eglise, et la sainteté de leurs liens étroits avec le Christ. De plus, ces femmes offrent un signe admirable de la sainteté florissante et de cette fécondité spirituelle propre à l’Eglise. A ce propos, les paroles de saint Cyprien sont magnifiques : «La virginité est une fleur qui bourgeonne dans l’Eglise, honneur et ornement de la grâce de l’Esprit Saint, nature joyeuse, œuvre intacte et non corrompue de louange et de gloire, image de Dieu qui reflète la sainteté du Seigneur, portion choisie du troupeau du Christ. L’Eglise se réjouit, dont la glorieuse fécondité fleurit en elles abondamment: plus grandit la foule de vierges, plus est grande la joie de la mère Eglise » (Cyprien, De habitu virginum, 3 : PL4, 443).

C’est de ceci que s’inspirent avec sagesse les expressions du célébrant dans le rite de consécration des vierges et dans les prières qui s’adressent au Seigneur (N° 24, Rite de  Consécration des vierges) : « C’est en effet, ton Esprit Saint qui suscite au milieu de ton peuple des hommes et des femmes conscients de la sainteté du mariage et capables pourtant de renoncer à cet état afin de s’attacher dès maintenant à la réalité qu’il préfigure : l’union du Christ et de l’Eglise ».

NOTES

1- Dans le second récit biblique de la création (Gn 2, 4a-25) l’homme (adam) est tiré de la poussière (adamah) sur laquelle Dieu souffle son souffle de vie (neshamah) pour en faire un être vivant (nefesh). Ce qui fait la différence entre nous et les autres créatures, c’est l’esprit, notre capacité à être libres, à donner un sens au fait que nous existons.

2- La relation n’est pas un accessoire de la nature humaine, mais l’expression la plus accomplie de notre existence comme personne.

 

Lecture Patristique

Saint Laurent de Brindes (1559 – 1619)

22e dimanche après la Pentecôte, 2-5

Opera omnia, 8, 335.336.339-340.346.

Nous trouvons deux questions dans l’évangile d’aujourd’hui: la première a été posée au Christ par les pharisiens, la seconde aux pharisiens par le Christ. La leur est tout entière terrestre et inspirée par le diable, la sienne tout entière céleste et divine. Celle-là est un effet de l’ignorance et de la méchanceté, celle-ci procède de la sagesse et de la bonté parfaites: Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles? Eux répondent: De César. Il leur dit: Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (Mt 22,20-21). Il faut rendre à chacun ce qui lui revient.

Voilà une parole vraiment pleine de sagesse et de science célestes. Car elle nous enseigne qu’il y a deux sortes de pouvoir, l’un terrestre et humain, l’autre céleste et divin.

Elle nous apprend que nous sommes tenus à une double obéissance, l’une aux lois humaines et l’autre aux lois divines. Qu’il nous faut payer à César le denier portant l’effigie et l’inscription de César, à Dieu ce qui a reçu le sceau de l’image et de la ressemblance divines: La lumière de ton visage a laissé sur nous ton empreinte, Seigneur (cf. Ps 4,7).

Nous sommes faits à l’image et à la ressemblance (Gn 1,26) de Dieu. Tu es homme, ô chrétien. Tu es donc la monnaie du trésor divin, un denier portant l’effigie et l’inscription de l’empereur divin. Dès lors, je demande avec le Christ: Cette effigie et cette légende, de qui sont-elles? Tu réponds: « De Dieu. » J’ajoute: « Pourquoi donc ne rends-tu pas à Dieu ce qui est à lui? »

Si nous voulons être réellement une image de Dieu, nous devons ressembler au Christ, puisqu’il est l’image de la bonté de Dieu et l’effigie exprimant son être (cf. He 1,3). Et Dieu a destiné ceux qu’il connaissait par avance à être l’image de son Fils (Rm 8,29). Le Christ a vraiment rendu à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Il a observé de la manière la plus parfaite les préceptes contenus dans les deux tables de la loi divine en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur une croix (Ph 2,8), et il était orné au plus haut degré de toutes les vertus visibles et  cachées.

L’évangile de ce jour met en évidence la prudence sans pareille du Christ, qui lui a fait éviter les pièges de ses ennemis par une réponse si sage et si habile. C’est là qu’apparaît également sa justice: elle inspire son enseignement quand il nous dit de rendre à chacun ce qui lui revient; elle montre qu’il voulut lui aussi s’acquitter de l’impôt, et qu’il paya deux drachmes pour lui-même et deux pour Pierre. C’est là que se manifeste la force d’âme qui le rendit capable d’enseigner ouvertement la vérité, de dire aux Juifs en colère, sans nullement les craindre, qu’il fallait payer les impôts à César.

Telle est la voie de Dieu que le Christ a enseignée avec droiture.

Ainsi ceux qui ressemblent au Christ par leur vie, leur conduite et leurs vertus se modelant sur lui, rendent vraiment visible l’image de Dieu. Le renouvellement de cette image divine s’accomplit par la parfaite justice: Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu, à chacun ce qui lui revient.

 

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Mgr Francesco Follo

Mgr Francesco Follo est ordonné prêtre le 28 juin 1970 puis nommé vicaire de San Marco Evangelista à Casirate d’Adda de 1970 à 1976. Il obtient un doctorat en Philosophie à l’Université pontificale grégorienne en 1984. De 1976 à 1984, il travaille comme journaliste au magazine Letture du Centre San Fedele de la Compagnie de Jésus (jésuites) à Milan. Il devient membre de l’Ordre des journalistes en 1978. En 1982, il occupera le poste de directeur-adjoint de l’hebdomadaire La Vita Cattolica. De 1978 à 1983, il est professeur d’Anthropologie culturelle et de Philosophie à l’Université catholique du Sacré Cœur et à l’Institut Supérieur des Assistant Educateurs à Milan. Entre 1984 à 2002, il travaille au sein de la Secrétairerie d’Etat du Saint-Siège, au Vatican. Pendant cette période il sera professeur d’Histoire de la Philosophie grecque à l’Université pontificale Regina Apostolorum à Rome (1988-1989). En 2002, Mgr Francesco Follo est nommé Observateur permanent du Saint Siège auprès de l’UNESCO et de l’Union Latine et Délégué auprès de l’ICOMOS (Conseil international des Monuments et des Sites). Depuis 2004, Mgr Francesco Follo est également membre du Comité scientifique du magazine Oasis (magazine spécialisé dans le dialogue interculturel et interreligieux). Mgr Francesco Follo est Prélat d’Honneur de Sa Sainteté depuis le 27 mai 2000.

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