Agnès Desmazières © AD

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Des femmes dans les instances de décision selon « Fratelli tutti », par Agnès Desmazières

« Promouvoir la dignité des femmes, leur responsabilité et leur liberté »

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En l’espace de quelques jours, le pape François est intervenu, à quatre reprises, pour rappeler la nécessité de la présence de davantage de femmes « dans les lieux où se prennent des décisions importantes » en Eglise (Angélus du dimanche 11 octobre 2020).

Cette intervention fait suite à l’intention de prière du mois d’octobre « pour qu’en vertu du baptême, les fidèles laïcs, en particulier les femmes, participent plus aux instances de responsabilité de l’Église ». Elle s’inscrit également dans le prolongement du message du pape du 8 octobre 2020, adressé aux membres du conseil consultatif féminin du Conseil pontifical de la culture.

Hier encore, la publication de l’introduction du pape au livre de Mgr Fabio Fabene, Sinfonia di ministeri. Una rinnovata presenza dei laici nella Chiesa (Symphonie de ministères. Une présence des laïcs dans l’Eglise), était l’occasion d’un rappel de l’importance de la contribution des femmes.

Une telle insistance dans le contexte de la publication de l’encyclique Fratelli tutti signale combien la participation des femmes aux instances de coresponsabilité est indispensable à la réalisation d’une « fraternité ouverte » (Fratelli tutti n. 1). L’encyclique offre ainsi des éclairages pertinents pour penser la présence des femmes dans les lieux de décision dans l’Eglise.

Ouverture et réciprocité

La fraternité – qui est aussi sororité – sera ouverte dans la mesure où une authentique « réciprocité » entre hommes et femmes sera concrètement vécue (cf. discours du 7 février 2015). La collaboration des hommes à la promotion des femmes est ainsi indispensable. Le pape François encourage à adopter la « perspective du avec », plutôt que celle du « contre ». La logique de la réciprocité et du partage est appelée à prévaloir sur celle de la compétition et du pouvoir. Il ne s’agit pas de nier la réalité du pouvoir, mais de la situer à sa juste place et de la comprendre comme un service, service du peuple, de son bien commun et du bien propre de chacun et chacune.

De manière significative, le rappel de l’égale dignité des femmes et des hommes, en Fratelli tutti n. 23, est précédé de l’affirmation de l’égale dignité entre riches et pauvres (n. 22). Ainsi, la promotion des femmes doit être au service des pauvres et non se réaliser à leurs dépens. Dans la ligne de la lettre au peuple de Dieu, il convient d’insister sur le fait qu’une telle promotion ne doit être ni instrumentalisée ni manipulée par une élite autoréférencée, désireuse d’accaparer le pouvoir et de perpétuer ses espaces de domination au mépris du peuple (cf. Fratelli tutti n. 14 ; n. 75-76). Le fait d’appartenir à l’ « élite » sociale ne saurait garantir la possession d’un esprit véritablement ecclésial.

Un discernement apparaît dès lors nécessaire, le critère financier ne devant pas être premier dans la nomination à des responsabilités ecclésiales. Malheureusement, trop souvent, « seulement ceux qui ont le bénéfice d’une sécurité financière peuvent se permettre de servir dans un ministère dans l’Eglise [et ce ne sont] pas nécessairement les individus les plus talentueux[1] ». Le Code de droit canonique rappelle que les laïcs travaillant au service de l’Eglise « ont le droit à une honnête rémunération selon leur condition et qui leur permette de pourvoir décemment à leurs besoins et à ceux de leur famille, en respectant aussi les dispositions du droit civil; de même, ils ont droit à ce que leur soient dûment assurées prévoyance, sécurité sociale et assistance médicale » (can. 231 §2). En France, comme sans doute en d’autres pays, certains et certaines peuvent rencontrer des difficultés à se nourrir ou doivent rationner leurs titres de transport pour se rendre à leur travail – alors que, pour d’autres, le salaire qu’ils ou elles reçoivent fait figure d’argent de poche.

Compétence et proximité

Dans cette perspective, la « compétence », typique du charisme des laïcs (Lumen gentium n. 37 et Gaudium et spes n. 43), est à valoriser s’agissant de la participation des femmes aux instances de décision. Une plus grande attention à la transversalité des compétences – entre compétences acquises dans un milieu professionnel séculier et compétences exercées en Eglise – serait appréciable, permettant l’émergence de nouveaux profils de femmes engagées et l’avènement d’une nouvelle culture, moins cléricale.

Reconnaître la dignité des femmes implique de reconnaître leurs compétences, l’apport de leurs expériences. L’Eglise a une responsabilité dans l’épanouissement de leurs compétences. Les femmes elles-mêmes ont la responsabilité de faire croître leurs compétences par leur effort, leur travail. L’acquisition de compétences ne se fait pas sans fatigue, sans moments de doute ou de désolation.

De manière complémentaire, la proximité avec le peuple apparaît comme un critère décisif. Le commentaire que le pape François fait de la parabole du Bon samaritain au chapitre deux de Fratelli tutti le montre. Être proche du peuple, c’est, en dépit de ses responsabilités, savoir se situer au milieu de lui, être présent de manière simple – sans chercher l’accumulation de responsabilités – à la vie de son Eglise, à sa paroisse. C’est aussi être proche du peuple, de la nation à laquelle l’on appartient, en partageant son style de vie – un style de vie sobre. C’est connaître sa réalité concrète, le prix d’une baguette ou d’un ticket de métro. C’est encore se faire proche des pauvres.

Comme le dit le pape dans Evangelii gaudium, « personne ne devrait dire qu’il se maintient loin des pauvres parce que ses choix de vie lui font porter davantage d’attention à d’autres tâches » (n. 201). Cette remarque est spécialement importante à l’heure où les élites sont de plus en plus déconnectées du peuple. Les responsabilités ecclésiales ne représentent pas une excuse pour ne pas prêter attention aux pauvres, aux petits, qui sont à nos portes, dont nous pouvons avoir la responsabilité. Concrètement, cela passe par le don de son temps (Fratelli tutti n. 63). La dignité des femmes comme des hommes est en fait d’être « perturbés par la souffrance humaine » (n. 68).

La « culture de la rencontre », antidote au cléricalisme

Promouvoir la participation des femmes aux instances de décision c’est entrer dans un cercle vertueux, celui de la « culture de la rencontre ». Leur présence ne peut devenir effective que dans la mesure où se répand une « culture de la rencontre » et, en retour, la responsabilisation des femmes contribue à construire une telle culture. La « culture de la rencontre » consiste dans le fait de chercher, en tant que peuple, « à nous rencontrer, rechercher des points de contact, construire des ponts, envisager quelque chose qui inclut tout le monde, nous passionnent » (n. 216).

L’engagement des femmes est dès lors décisif pour favoriser la pénétration de la « culture de la rencontre » comme « mode de vie » ecclésial. Leur présence active est gage d’inclusivité. Elle manifeste que chacun et chacune trouve sa place dans le « magnifique polyèdre » de l’Eglise (n. 190). Le message du 8 octobre signale d’ailleurs bien comment la participation des femmes est porteuse de « dynamiques de justice » et de dialogue. Le dialogue ne va pas sans justice et vérité, rappelle le pape François dans Fratelli tutti.

Ainsi, la prise des paroles des femmes en Eglise est à favoriser. Il y a à rompre de manière décidée avec l’idée que les femmes ne peuvent que se taire en Eglise, les hommes se chargeant d’être leurs porte-paroles. Une telle attitude conduit trop souvent à ce que des clercs s’attribuent les idées, les recherches de femmes pour satisfaire leurs propres ambitions personnelles. La discrimination des femmes est bien toujours d’actualité. Les réflexions du pape François dans Fratelli tutti peuvent aider à penser de manière féconde son éradication. Il note ainsi que « le pardon n’annule pas [la nécessité de la justice], mais l’exige » (n. 241). Il convient dès lors de ne pas exiger des femmes d’oublier les discriminations qu’elles ont subies sous prétexte qu’elles sont le fait de clercs.

L’honneur du sacerdoce et de l’Eglise n’est pas terni par les demandes de justice des femmes, mais par les abus commis par ces clercs. Il y a lieu, en certains cas, de s’interroger sur l’ « impunité » dont ceux-ci peuvent bénéficier (n. 252). En tant que femmes, promotrices de la « culture de la rencontre », nous avons donc à nous exercer – parfois dans la souffrance et la désolation – « à rechercher la justice sans tomber dans le cercle vicieux de la vengeance ni dans l’injustice de l’oubli ». Comme le dit le pape François, « il est facile aujourd’hui de céder à la tentation de tourner la page » (n. 249), mais il est plus courageux et plus saint de dénoncer ses abus qui défigurent l’Eglise – même si cela peut réclamer un certain héroïsme.

Une plus grande formation à la coresponsabilité est nécessaire pour tous ceux et celles en situation de coresponsabilité. Les femmes, du fait des discriminations qu’elles subissent, ont sans doute souvent plus sensibles aux situations d’injustice et de discrimination, mais elles peuvent être elles-mêmes aussi responsables de discriminations – y compris à l’encontre d’autres femmes,  souvent les plus pauvres, les plus humbles – ou, tout au moins, complices d’un système clérical. Il y a ainsi à questionner les logiques de soumission qui sont parfois à l’œuvre, la quête d’un protecteur clerc, susceptible de favoriser sa carrière, pouvant favoriser un clientélisme nocif. L’Eglise a besoin de femmes libres, courageuses et responsables.

Des « esprits libres et prêts pour de nouvelles rencontres »

Sous cette lumière, le pape François relève, dans Fratelli tutti, qu’un « chemin de fraternité […] ne peut être parcouru que par des esprits libres et prêts pour de nouvelles rencontres » (n. 50). Dès lors, promouvoir la dignité des femmes, c’est promouvoir leur responsabilité et leur liberté. La participation des femmes aux instances de décision de l’Eglise ne pourra être effective que si elle sera libre. Dans la perspective de la conversion pastorale de l’Eglise, il est important de réfléchir à la manière dont les structures de coresponsabilité peuvent être garantes d’une telle liberté dans l’Esprit. Liberté et ouverture aux rencontres – c’est-à-dire à la nouveauté, à l’autre – sont ainsi corollaires, la liberté n’étant pas domination, mais accueil de l’autre dans le respect de ma propre identité. Osons tous et toutes emprunter le chemin de la fraternité et de la sororité !

 

Agnès Desmazières

 

[1] Michael J. O’Loughlin et Michael J. Brough, « Adopting Effective Human Resource Development Strategies for the Catholic Church in the United States, » in Lay Ecclesial Ministry: Pathways Toward the Future,  Zeni Fox dir. (Lanham: Rowman & Littlefield, 2010).

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