« Qui connaît l’histoire de l’Église en Chine sait combien il est important que tous les évêques chinois soient en pleine communion avec l’Église universelle ». C’est au terme d’un long rappel de l’histoire complexe et douloureuse des relations entre le Saint-Siège et la Chine que le cardinal Pietro Parolin a prononcé cette affirmation.
Intervenant au congrès “Une autre Chine”, organisé par l’Institut pontifical pour les missions étrangères (PIME, de Milan), le 3 octobre 2020, à l’occasion des 150 ans de fondation de l’Institut, le secrétaire d’État a rappelé que « le dialogue actuel entre le Saint-Siège et la Chine « a des racines anciennes ». Si « le contexte actuel du dialogue est différent de celui du passé », cela reste la « continuation d’un chemin initié il y a très longtemps ».
Un discours très attendu à l’heure où les paris vont bon train sur le renouvellement ou non par le Saint-Siège de l’Accord provisoire entre ce dernier et la République populaire de Chine (RPC) sur la nomination des évêques.
L’apport du PIME de Milan
Le cardinal, artisan de cet Accord, a choisi, non sans raison, de rappeler tout d’abord les étapes d’un « long chemin » d’évangélisation, marqué « dès le début par de nombreuses difficultés ». Évoquant les grandes figures qui ont participé à ce dialogue, à commencer par Matteo Ricci, souvent nommé par le pape François, il a souligné l’apport du PIME à ce chemin, notamment à travers un événement historique.
A la fin des années 1800, les missionnaires purent enfin s’installer à Kaifeng, la capitale de la province du Henan : c’était le « signe d’un rapport différent avec les gouvernants, les mandarins, les lettrés » et cela permit, plus tard, de faire de la capitale le siège d’une nouvelle préfecture apostolique. Parce que, écrivait l’un d’eux, « les évêques doivent avoir leur siège dans les capitales ». Et le secrétaire d’État de commenter : « Cela s’est toujours fait de cette manière, en commençant par les apôtres. La foi s’est toujours propagée en partant des grands centres ».
Ce sont également deux évêques du PIME qui proposèrent à la Congrégation Propaganda Fide, de tenir un synode général de l’Église en Chine et d’envoyer un légat pontifical résident dans la capitale, pour instaurer des relations diplomatiques avec le gouvernement chinois, anticipant ainsi les orientations qui seraient plus tard données par Benoît XV dans sa Lettre apostolique Maximud illud (39.35).
Maximud illud concernait le monde mais elle fut « pensée spécifiquement dans la perpective chinoise et pour la situation chinoise », a souligné le cardinal Parolin. Et Mgr Celso Costantini, premier délégué apostolique dans ce pays, fut un « interprète courageux » de la conversion missionnaire souhaitée par Benoît XV.
C’est encore un « PIME » qui proposa à Rome « un changement révolutionnaire dans l’approche missionnaire » : il s’agissait, a expliqué le secrétaire d’État, de « fonder l’Église locale, tournée davantage vers l’avenir que vers le présent, davantage vers l’annonce de la Bonne Nouvelle dans ce grand pays qu’aux règles et aux méthodes héritées du passé ».
Une Église locale avec des pasteurs locaux
En 1949, la nomination du premier évêque chinois de Shanghai fut saluée avec enthousiasme par Pie XII, qui rappela, a souligné le cardinal Parolin, que le véritable engagement des missionnaires était « la création d’une Église locale avec des pasteurs locaux ». C’était « la ligne donnée par Benoît XV qui continuait de porter du fruit ».
Lors du difficile passage à la République populaire de Chine, l’attitude de Pie XII fut inspirée « par des raisons et des motifs de prudence bien plus pastoraux que politiques ». Dans son encyclique Ad sinarum gentem, il dit son espérance que les évêques chinois soient « les responsables de l’évangélisation de la Chine ».
Malgré « la douloureuse blessure » des premières ordinations illicites d’évêques chinois, « le magistère de l’Église a continué dans la direction prise par les successeurs de Pie XII ». En 2007, Benoît XVI écrivait à propos de certains de ces évêques que, considérant « la sincérité de leurs sentiments et la complexité de la situation », il leur avait accordé « le plein et légitime exercice de la juridiction épiscopale ».
La pleine communion des évêques
Enfin, a poursuivi le secrétaire d’État, « la pleine communion de tous les évêques chinois a été définitivement obtenue en 2018 ». Dans son message écrit accompagnant l’Accord provisoire entre le Saint-Siège et la RPC, le pape François en souligne l’importance. Les nominations épiscopales qui sont l’objet de cet Accord sont fondamentales pour, écrit le pape, « soutenir et promouvoir l’annonce de l’Évangile, et atteindre et conserver la pleine et visible unité de la communauté catholique en Chine ».
Aujourd’hui, s’est réjouit le cardinal, « en Chine, en dépit de tous ses problèmes et ses difficultés, l’Église catholique existe. Cette Église qui, parmi tant d’obstacles, continue d’annoncer l’Évangile, n’est pas une Église du silence ».
De Paul VI au pape François, tous les papes ont cherché ce que Benoît XVI a appelé « le dépassement d’une pesante situation de malentendus et d’incompréhensions qui ne sert ni les autorités chinoises ni l’Église catholique en Chine ». Benoît XVI lui-même avait approuvé le projet d’Accord sur la nomination des évêques en Chine.
Dissiper les malentendus
Quant au fameux Accord provisoire sur la nomination des évêques, le secrétaire d’État a déploré les « nombreux malentendus » dont beaucoup découlent de l’attribution à cet Accord « d’objectifs qu’il n’a pas », ou de « corrélations entre des événements concernant l’Église catholique en Chine » ou des questions politiques et cet Accord « qui n’ont aucun rapport avec celui-ci ». D’ailleurs, insiste-t-il, « le Saint-Siège n’a jamais laissé place à des équivoques ou des confusions sur l’Accord du 22 septembre 2018, qui concerne exclusivement la nomination des évêques ».
Le cardinal Parolin admet qu’il reste beaucoup d’autres problèmes dans la vie de l’Église catholique en Chine, qu’il n’a pas encore été possible d’affronter. Toutefois, a-t-il déclaré, « la nomination des évêques revêt une importance particulière » ; c’est en effet « le problème qui a fait le plus souffrir l’Église catholique en Chine ces 60 dernières années ».
Il fallait, a-t-il encore expliqué, « résoudre définitivement » le « délicat problème » des ordinations illicites d’évêques. Aujourd’hui, « pour la première fois depuis tant de décennies, tous les évêques en Chine sont en communion avec l’évêque de Rome. Le pape François a accueilli dans un esprit paternel et miséricordieux les derniers évêques illégitimes qui n’étaient pas encore reconnus, début septembre 2018 ».
Un authentique esprit de réconciliation
« L’objectif de l’Accord est avant tout ecclésial et pastoral », redit le secrétaire d’État. Il s’agit d’« aider les Églises locales afin qu’elles jouissent de conditions de plus grande liberté, autonomie et organisation, de sorte qu’elles puissent se consacrer à la mission et à annoncer l’Évangile en contribuant au développement intégral de la personne et de la société ».
Ce n’est donc qu’un « point de départ », estime le cardinal. Il faut du temps pour en évaluer les fruits. C’est pourquoi, a-t-il indiqué, « du côté du Saint-Siège, il y a la volonté de prolonger l’Accord ad experimentum comme cela a été fait jusqu’ici, afin d’en vérifier l’utilité ».
Le pape compte sur toute la communauté catholique en Chine, a conclu le cardinal Parolin, pour « vivre dans un authentique esprit de réconciliation entre frères, en posant des gestes concrets qui aident à dépasser les incompréhensions du passé, et aussi celles du passé récent ». C’est ainsi que les catholiques de Chine pourront témoigner de leur foi avec un amour vrai et s’ouvrir au dialogue avec tous les peuples. En cette période de grandes tensions au niveau mondial, cet Accord peut aider à « consolider un horizon international de paix ».