Saint Jean-Marie Vianney, curé d'Ars © Sanctuaire d'Ars

Saint Jean-Marie Vianney, curé d'Ars © Sanctuaire d'Ars

Dialogue entre le pape François et S. Jean-Marie Vianney, par le card. parolin

Conférence du Secrétaire d’Etat à Ars

Share this Entry

En visite à Ars (France), le cardinal Pietro Parolin a proposé un dialogue entre le pape et saint Jean-Marie Vianney, lors d’une conférence le 4 août 2020, pour la fête du saint.

Conférence du cardinal Pietro Parolin

Le Pape François et les prêtres, en chemin avec le peuple de Dieu

Excellence, chers frères prêtres, chers amis,

Il m’a été demandé de m’arrêter avec vous, cet après-midi, sur quelques aspects de l’enseignement que le Pape François donne aux prêtres qui cheminent avec le Peuple de Dieu. Puisque nous sommes à Ars, il me semble que nous pourrons trouver des lumières précieuses en faisant dialoguer le Saint-Père avec saint Jean-Marie Vianney. Demandons-leur quelques principes qui puissent orienter le ministère pastoral en notre 21ème siècle.

1. La prière
Quand Jean-Marie Vianney est arrivé à Ars en 1818, il a trouvé un village qui n’était ni pire ni meilleur que les autres. A ceux dont il recevait la charge, il voulait « montrer le chemin du Ciel ». Comment a-t-il fait ?
La première chose dont les habitants se sont rendu compte, c’est qu’il y avait de la lumière dans l’église, tôt le matin. L’abbé Vianney y restait jusqu’à la messe qu’il célébrait à 7h . Il était conscient qu’il ne pourrait rien faire s’il ne se mettait pas, tout d’abord, dans les mains du Seigneur. Il a donc passé des heures et des heures devant le tabernacle de son église, à la fois pour être un prêtre selon le cœur de Dieu et pour demander au Seigneur la conversion des habitants d’Ars.
Je ne peux m’empêcher de vous citer le Saint-Père en exemple. Ceux qui vivent près de lui savent que lui aussi se lève tôt le matin et qu’il prie jusqu’à la messe de 7h. Le soir, il arrête ses occupations et retourne longuement à la chapelle jusqu’au diner.
La prière est nécessaire pour grandir dans notre propre fidélité. Le Pape rappelle que « la vocation, comme la foi elle-même, est un trésor que nous portons dans des vases d’argile (cf. 2 Co 4, 7) ; c’est pourquoi nous devons en prendre soin, comme nous prenons soin des choses les plus précieuses, afin que personne ne nous vole ce trésor, et que celui-ci ne perde pas sa beauté au fil du temps » . Cela implique une responsabilité et un engagement de notre part. Je cite encore le Saint-Père : « Avec la grâce du Seigneur, chacun de nous est appelé à assumer de manière responsable l’engagement personnel de sa propre croissance humaine, spirituelle et intellectuelle, et dans le même temps à entretenir la flamme de sa vocation. Cela implique qu’à notre tour, nous ayons toujours notre regard fixé sur le Seigneur » .
La prière a aussi un but pastoral. Lumen gentium nous dit que c’est « au titre même de leur charge » que les prêtres offrent la prière et le sacrifice pour leur peuple et pour tout le Peuple de Dieu (n. 41). Le Saint-Père nous invite à faire de la prière « un élément fondamental (…) de notre service apostolique » . C’était déjà la pensée de Benoît XVI qui disait que « le temps pour demeurer en la présence de Dieu dans la prière (…) n’est pas un à-côté du travail pastoral : demeurer face au Seigneur est une priorité pastorale, en dernière analyse la plus importante. » Le Pape François a dit aux séminaristes de Bologne qui sont appelés à exercer leur ministère dans une région marquée par la déchristianisation : « Ceux qui sont les plus exposés au vent froid de l’incertitude et de l’indifférence religieuse ont besoin de trouver dans la personne du prêtre cette foi robuste qui est comme un flambeau dans la nuit et comme un rocher auquel on peut s’accrocher. Cette foi se cultive surtout dans la relation personnelle, cœur à cœur, avec la personne de Jésus-Christ » .
Comment priait le Curé d’Ars ? Il disait parfois son bréviaire dans les bois mais, pour l’oraison, il regardait le tabernacle. Regarder et se laisser regarder : c’est ce que le Saint-Père nous invite à faire : « demandez, contemplez, remerciez, intercédez, mais aussi habituez-vous à adorer. (…) Apprendre à adorer en silence » . La quatrième partie du Catéchisme de l’Eglise Catholique, qui est un beau traité sur la prière, dit que l’oraison est « silencieux amour » (n. 2717).
Quand le Curé d’Ars regardait le tabernacle, il avait parfois une expression qui faisait croire qu’il voyait Notre-Seigneur . Mais il a aussi avoué qu’il lui arrivait d’avoir « le cœur dur comme une pierre et froid comme le marbre », jusqu’à être accablé par le dégoût de la prière . Ce qui importe dans la prière, ce n’est pas d’avoir ou de ne pas avoir des consolations. Le Catéchisme explique que la sècheresse fait partie de la prière (n. 2731). L’important est de prier dans la foi, c’est-à-dire dans « une adhésion filiale à Dieu, au-delà de ce que nous sentons et comprenons » (n. 2609). Dans la lettre qu’il adressait aux prêtres le 4 août dernier, le Saint-Père écrit que, « dans la prière nous faisons l’expérience de notre bienheureuse pauvreté qui nous rappelle que nous sommes des disciples nécessiteux de l’aide du Seigneur. »
Chers amis, posons-nous la question : Est-ce que nous acceptons de donner chaque jour un temps prolongé au Seigneur, même dans la sécheresse, ou bien pensons-nous que seule notre action pastorale est efficace ?
Cela est vrai aussi pour les paroisses. Vous savez comment le curé d’Ars a entrainé ses fidèles dans la prière.

Un mouvement de plus en plus important instaure en France l’adoration, parfois perpétuelle, dans les paroisses. C’est ainsi que la vie de foi se renforce et que l’expérience de Dieu pousse à l’évangélisation.
Je conclus ce premier point avec une exclamation du Pape François : « Qu’il est beau de voir des prêtres joyeux dans leur vocation, avec une sérénité de fond qui les soutient également dans les moments de fatigue et de douleur ! Et cela n’arrive jamais sans la prière, celle du cœur, ce dialogue avec le Seigneur… qui est le cœur, pour ainsi dire, de la vie sacerdotale » .

2. « Sortir »
L’abbé Vianney, à l’image du Bon Pasteur, devait aussi partir à la recherche de ses brebis et reconstituer le troupeau.
Comme partout ailleurs, la Révolution française avait engendré à Ars un certain nombre de conséquences funestes. Laissés à eux-mêmes, les chrétiens avaient abandonné la pratique religieuse. Il fallait reprendre l’évangélisation.
Ce n’est pas la première fois que l’Eglise se voit obligée de renouveler son effort missionnaire. Annoncer inlassablement l’Evangile est sa première mission. Aussi, les destructions les plus dramatiques ne peuvent nous décourager. Il faut savoir repartir, avec la certitude que le Christ nous soutient dans la mise en pratique de son dernier grand commandement : « allez, de toutes les nations faites des disciples » (Mt 28, 19-20).
Demander au Pape ce qu’il désire dire aux prêtres, c’est l’entendre immédiatement rappeler que la nature de l’Eglise est missionnaire. « Malheur à moi si je n’annonce pas l’Evangile ! » (1 Co 9, 16), a-t-il répété avec saint Paul devant des prêtres au Mexique .
Mais l’ardeur missionnaire ne suffit pas. Pour rejoindre ceux qui vous sont confiés et leur annoncer le Christ, il faut en trouver le moyen. L’abbé Vianney a connu une situation particulière ; tout prêtre qui reçoit une nouvelle mission se trouve lui aussi confronté à l’inattendu d’un contexte unique. Le défi est toujours le même : Comment trouver le moyen d’évangéliser concrètement ?
L’action pastorale repose sur un discernement : observer la situation, regarder avec bienveillance, écouter avec attention. Surtout, laisser l’Esprit Saint suggérer les pistes à suivre. Car c’est lui le grand Protagoniste de la mission de l’Eglise. L’Esprit vous a été donné au moment de votre baptême, il est descendu d’une manière nouvelle et toute spéciale le jour de votre ordination. Vous pouvez dire comme Jésus : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres » (Lc 4, 18). Saint Paul ne cesse de vous inviter à laisser l’Esprit agir en vous (cf. Rm 8, 14 ; Gal 5, 25). Aussi le Saint-Père vous demande de ne pas vous contenter de savoir que l’Esprit Saint existe : « Je le dis (…) avec tendresse et amour : tant, tant, tant de prêtres vivent avec la grâce de Dieu, mais comme si l’Esprit Saint n’existait pas. Oui, ils savent qu’il y a un Esprit Saint, mais Il n’entre pas dans leur vie » . Le Pape vous demande donc de vivre avec l’Esprit et d’être à son écoute pour discerner ce qu’il veut que vous fassiez : « C’est l’Esprit Saint qui t’aide dans le discernement (…). C’est bien lui qui nous pousse à la mission, c’est bien lui qui prépare notre âme à savoir écouter » .
Devant la nouveauté des situations auxquelles vous êtes confrontés, l’Esprit Saint suscite la créativité pour trouver le meilleur moyen d’approcher les autres. L’Eglise primitive a été créative car il fallait sans cesse agir dans des situations nouvelles : Pierre chez Corneille, le Concile de Jérusalem, Paul dans son évangélisation des païens… « Créativité est le mot » , dit le Saint-Père, créativité dans l’Esprit Saint. La juste créativité est une forme de fidélité à l’Esprit.
Poussé par l’Esprit, éclairé par son observation de la situation, Jean-Marie Vianney est sorti de son presbytère pour aller à la rencontre de son peuple. Il ne l’a pas trouvé à l’église car les gens n’y venaient plus depuis longtemps. Qu’a-t-il donc fait ? Il sait que l’accueil pastoral ne suffit pas. Le prêtre, dit le Saint-Père « est oint de la divine obstination que personne ne se perde. Pour cela, non seulement il tient les portes ouvertes, mais il sort à la recherche de celui qui ne veut plus entrer par la porte. (…) Il est toujours en sortie de soi » . « Sortir est le cœur de l’évangélisation », sortir pour arriver à être proche des gens, d’une proximité d’amour . Alors, durant dix années, Jean-Marie Vianney est sorti, il est allé rencontrer les gens là où il pouvait les trouver : dans les fermes au moment des repas. C’est ainsi qu’il a peu à peu appris à connaître les habitants d’Ars, leurs joies, leurs peines, tout ce qui les faisait vivre.
Depuis le 19ème siècle, les conditions de la vie ont changé. Vous ne pouvez pas agir aujourd’hui comme le faisait le Curé d’Ars en son temps, mais vous pouvez le prendre comme modèle de discernement et de créativité. Il a su trouver le moyen de rencontrer ses contemporains et cela fut fécond. Vous connaissez la réflexion qu’il a faite au bout de neuf années de prière et de travail pastoral : « Ars n’est plus Ars ! » . Les gens avaient retrouvé la foi et s’étaient remis à en vivre. Comme un bon pasteur, l’abbé Vianney a discerné de nouvelles voies pour approcher ses brebis. Il a vécu au milieu d’elles, il en a pris l’odeur, il les a habituées à sa présence. Surtout, il leur a montré qu’il les aime. Le Saint-Père demande que la créativité dans l’Esprit soit aussi empathie dans le même Esprit. Il cite une parole que Benoît XVI a dite à Aparecida : « L’Eglise ne grandit pas par prosélytisme mais par attraction » . Et François commente : « Qu’est-ce que l’attraction ? C’est cette empathie humaine qui est ensuite guidée par l’Esprit Saint » . En France, de nombreuses méthodes d’évangélisation sont proposées aujourd’hui. Cette créativité est féconde ; n’hésitez pas à continuer, pour rejoindre toujours plus les personnes où elles sont.
Il faut noter ici un autre aspect du zèle pastoral de Jean-Marie Vianney : Ars n’était pas si grand pour prendre toutes ses énergies. Comme il avait du temps dans les premières années, il s’est mis au service de ses confrères. Le prêtre fonctionnaire ferme son bureau quand il a fait ce qu’on lui demande. Tandis que « le Pasteur selon Jésus, dit le Pape, (…) ne vit pas en tenant les comptes de ce qu’il a et des heures de service » . Le prêtre qui est mû par la charité pastorale se donne sans compter. Vous connaissez la définition que donne Pastores dabo vobis (n. 23) de la charité pastorale : elle est participation à la charité du Christ, don total de soi à l’Eglise.

3. Enseigner
Rejoindre les hommes de notre temps est essentiel, mais nous ne pouvons pas en rester là. Notre présence au milieu de nos contemporains est féconde lorsqu’elle est témoignage de la présence vivante et aimante de Jésus et lorsqu’elle est annonce de la Bonne Nouvelle. La joie de l’Evangile (n. 49) nous dit que nous sommes envoyés à une multitude affamée et Jésus nous répète sans cesse : « donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mc 6, 37). Lui-même était saisi de compassion envers ses contemporains qui étaient comme des brebis sans berger. « Alors, il se mit à les enseigner longuement » (Mc 6, 34). « Il est important, dit le Pape François, que l’accueil soit suivi d’une claire proposition de la foi » . Une des caractéristiques du Curé d’Ars a été la prédication.
Le Saint-Père insiste beaucoup sur la qualité des homélies. Il s’y est arrêté longuement dans La joie de l’Evangile (n. 135-159). A des jeunes prêtres étudiants à Rome, il a partagé sa préoccupation : « Je crois qu’en général nos homélies ne sont pas bonnes, (…) ce sont des conférences, des cours, des réflexions. (…) Pour bien évangéliser, nous devons progresser sur la question de l’homélie (…) : bien ajuster les homélies pour que les gens comprennent ». . C’est dans l’homélie qu’on mesure la proximité d’un pasteur avec son peuple. Une homélie est ennuyeuse s’il n’y a pas cette proximité. Il faut être simple : « Ne faites pas des homélies trop intellectuelles et élaborées : parlez simplement, parlez aux cœurs, comme le Seigneur lorsqu’il parlait, il touchait les cœurs. Et cette prédication sera une véritable nourriture » .
L’homélie se prépare. Les gens d’Ars entendaient leur curé la répéter quand ils passaient près du presbytère . Vous connaissez ce grave avertissement de La joie de l’Evangile : « Un prédicateur qui ne se prépare pas (…) est malhonnête et irresponsable envers les dons qu’il a reçus » (n. 145).
Cependant, on ne peut pas limiter l’enseignement de la foi à dix minutes par semaine. La prédication de la Parole de Dieu est la première tâche du prêtre. Le sacristain d’Ars a témoigné que le Saint Curé y attachait une « grande importance » . La formation permanente du Peuple de Dieu passe par une connaissance toujours plus profonde

du mystère du Christ et des exigences concrètes de la vie chrétienne. Le curé d’Ars faisait chaque jour le catéchisme. Tous y participaient. Puisque le Pape a noté « la simplicité » du Catéchisme de l’Eglise Catholique , je vous suggère d’organiser des rencontres paroissiales de formation pour faire entrer les fidèles dans ce texte, si simplement pétri de la Parole de Dieu, des Pères de l’Eglise et de l’enseignement du Concile.

4. Célébrer l’Eucharistie
« Il n’y a rien de si grand » que l’Eucharistie, disait le Curé d’Ars , qui reconnaissait en elle tout le mystère de la foi : la présence du Seigneur , son offrande au Père , la puissance de la Miséricorde , le moment de l’intercession , le don de la communion . L’Eucharistie était pour lui l’événement paroissial par excellence .
L’Eucharistie constitue le cœur du prêtre : Le Saint Curé se lamentait : « Mon Dieu ! qu’un prêtre est à plaindre quand il fait cela comme une chose ordinaire !… » .
Le Pape François nous rappelle que l’Eucharistie est « l’acte suprême de la Révélation » . « L’événement fondamental de notre salut », l’Eucharistie l’actualise quotidiennement « dans un sacrement qui se prolonge dans la vie ». L’Eucharistie est « le mémorial de notre foi » . Ce n’est pas « un souvenir abstrait, froid, une simple notion, mais la mémoire vivante et consolante de l’amour de Dieu » . Dans chaque célébration eucharistique, Jésus s’offre en sacrifice au Père pour nous, et il le fait « pour que nous aussi nous puissions nous unir à Lui, en offrant à Dieu notre vie, notre travail, nos joies et nos peines…, tout offrir en sacrifice spirituel » .
Ce sacrement implique notre engagement personnel : ce n’est pas seulement le Corps et le Sang du Christ que nous offrons. Nous célébrons in persona Christi, ce qui signifie, dit le Pape, que nous ne voulons faire qu’un avec lui et offrir notre corps avec le sien « pour la gloire de Dieu et le salut du monde ». Les paroles de l’Institution – ceci est mon Corps, ceci est mon Sang – « dessinent alors notre identité sacerdotale : elles nous rappellent que le prêtre est l’homme du don, du don de soi, chaque jour, sans vacances et sans pause » . « Pour le salut du monde » signifie que l’infini trésor que représente le don du Christ veut se répandre sur l’humanité toute entière, particulièrement sur « tous ces visages qui nous ont été confiés » . Dans l’Eucharistie, nous sommes identifiés à Jésus, « toujours vivant pour intercéder en leur faveur » (He 7, 25).

5. Confesser
Dans les premières années de son ministère à Ars, l’abbé Vianney s’installait au confessionnal des paroisses voisines pour aider ses confrères. Comme sa disponibilité était connue, il lui arrivait aussi d’être appelé en pleine nuit auprès d’un malade. Son art de l’écoute, du conseil, sa miséricorde attirèrent de plus en plus de pénitents qui vinrent ensuite le retrouver chez lui, à Ars.
Ils furent des dizaines de milliers et le Curé passa de quinze à dix-huit heures par jour dans son confessionnal.
Le Pape est intarissable sur le thème de la confession. Parce que c’est le sacrement de la Miséricorde ! C’est la raison pour laquelle il considère que le confessionnal est « un véritable lieu d’évangélisation » . « Il n’y a pas d’évangélisation plus authentique, dit-il, que la rencontre avec le Dieu de la miséricorde, avec le Dieu qui est miséricorde » .
Le Saint-Père a un sens aigu de la tendresse de Dieu qui enveloppe la fragilité de l’homme. Il aime citer la parabole de l’enfant prodigue. Les fidèles présentent leurs chutes comme ils peuvent, parfois de manière maladroite, sans savoir comment s’exprimer, mais le Père « excède en miséricorde », il laisse éclater « la surabondance de sa joie » , il se jette à leur cou avant même qu’ils aient eu le temps de dire le discours qu’ils avaient préparé. Le Pape s’est entretenu longuement sur cette question avec les Missionnaires de la Miséricorde. Par notre accueil, nos paroles, notre être même, nous sommes appelés, « sans rigorisme ni laxisme » , à refléter les sentiments du Seigneur pour qu’à travers nous, chaque pénitent perçoive combien Dieu a comme la passion de se réjouir quand il le voit arriver, que le pécheur perçoive avec quel amour le Père lui pardonne tout, le revêt de l’habit de fête et lui met au doigt l’anneau qui signifie qu’il est de la famille .
« Etre miséricordieux n’est pas seulement une manière d’être, mais la manière d’être. On ne peut pas être prêtre autrement » . Le Pape désire que notre vie soit « une œuvre de miséricorde » . Nous sommes là pour permettre à chacun de faire une véritable expérience du regard d’amour que Dieu porte sur lui.
Vous savez que, de nos jours, beaucoup de fidèles ne se confessent plus ou très peu. Je vous invite à tout faire pour qu’ils redécouvrent ce sacrement essentiel de notre foi. Cela demande une volonté pastorale déterminée, une catéchèse incessante qui donne le désir de s’ouvrir à la Miséricorde. Cela demande aussi un certain courage pour accepter d’accueillir avec disponibilité ceux qui viennent demander, timidement parfois, ce sacrement de l’amour. Ne les obligez pas à sonner au presbytère, c’est trop leur demander. L’église est le lieu le plus accessible pour eux. Il est vrai qu’il est exigeant d’inscrire dans vos agendas des heures d’accueil, sans savoir si quelqu’un viendra. Vous savez aussi le sacrifice qui consiste à rester des heures au confessionnal. Mais la sanctification sacerdotale passe également par cette fidélité pastorale. D’ailleurs beaucoup de prêtres témoignent que l’accueil des pénitents dans le sacrement de la réconciliation constitue un des actes les plus gratifiants du ministère.

6. Accueillir les pauvres
La France qui sortait de la Révolution a connu de grandes zones de pauvreté. Le Curé d’Ars connaissait cette rude réalité. Enfant, il a vu son père accueillir de nombreux mendiants à la maison . A Ars, on était obligé de cacher ses vêtements car on savait que l’abbé donnait aux pauvres tout ce qu’il avait. Sa charité inventive lui donna l’idée de lutter contre la pauvreté de manière institutionnelle : il a fondé le pensionnat de « la Providence » pour sortir de la misère matérielle et morale les adolescentes qui vivaient sur les routes. Comme il savait qu’il ne pouvait réussir seul, il a réuni quelques jeunes filles du village pour l’aider dans cette tâche.
Le Pape consacre le chapitre 4 de La joie de l’Evangile à la dimension sociale de l’évangélisation. La première annonce qui invite à « se laisser aimer de Dieu et à l’aimer » doit provoquer « une réaction première et fondamentale : (…) avoir à cœur le bien des autres » (n. 178), en particulier des plus pauvres. Aussi désire-t-il « une Église pauvre pour les pauvres ». Il a écrit dans Laudato sì que l’option préférentielle pour les pauvres vise « la destination commune des biens de la terre », mais « elle exige de considérer avant tout l’immense dignité du pauvre » (n. 158). Le Pape précise ailleurs : « Ils ont beaucoup à nous enseigner. (…) Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux » (n. 198).
La pauvreté est souvent la conséquence des guerres et des conflits de toute sorte. Toute société a ses propres conflits. Chacun peut entendre pour soi ce que le Pape a dit aux prêtres du Collège Ethiopien de Rome : « Que vous, prêtres, puissiez toujours être artisans de bonnes relations, constructeurs de paix. Que vous puissiez éduquer les fidèles qui vous seront confiés à cultiver ce don de Dieu, en soignant les blessures intérieures et extérieures que vous rencontrerez et en cherchant à encourager les parcours de réconciliation » .
Je vous invite à regarder comment votre ministère presbytéral, votre paroisse, vos communautés chrétiennes intègrent cette option préférentielle des pauvres qui est le plus beau témoignage que le monde attend de l’Eglise.
Recevez l’éloge que le Saint-Père vous a fait dans sa lettre aux prêtres du 4 août dernier : Il s’y montre « reconnaissant pour tant de prêtres qui, de manière constante et honnête, donnent tout ce qu’ils sont et ce qu’ils possèdent pour le bien des autres (cf. 2 Co 12, 15) et développent une paternité spirituelle capable de pleurer avec ceux qui pleurent. »

7. La fraternité sacramentelle
Le Curé d’Ars s’est totalement engagé dans la pastorale en faveur du peuple qui lui était confié, mais il ne s’est jamais isolé de ses confrères, bien au contraire. Il les aidait autant qu’il pouvait, en particulier lorsqu’ils étaient malades. Il était toujours fidèle aux rencontres de doyenné et on remarque que c’est lui qui préparait le plus souvent les sujets abordés. Enfin, on sait avec quels sentiments d’humilité et de charité, il a partagé son ministère à Ars avec les abbés Raymond et Monnin, sans oublier tout ce qu’il devait à son maître, l’abbé Balley.
Dans sa lettre du 4 août dernier, le Pape vous remercie « de vous efforcer de renforcer les liens de fraternité et d’amitié dans le presbyterium ». La fraternité sacramentelle concrète constitue un grand défi aujourd’hui car le ministère est souvent lourd et difficile ; on ne peut l’exercer dans la solitude. Prenez du temps pour rester avec vos confrères, surtout les plus jeunes qui ont besoin de vous. Vous trouvez dans la Ratio fundamentalis diverses modalités pour vivre cette fraternité sacerdotale.
Vous savez par expérience combien la vie fraternelle est exigeante. Elle ne dure dans le temps et ne grandit que dans la charité, c’est-à-dire dans l’attention au frère et dans l’acceptation bienveillante de ce qu’il est. Trouvez le courage de renforcer cette vie fraternelle en pensant que les jeunes répondront plus facilement à l’appel du Seigneur s’ils voient des aînés qui unissent concrètement dans leur propre vie les deux dimensions du mystère de l’Église qui est inséparablement communion et mission. Ils désirent cette vie fraternelle mais ils ont besoin de prêtres mûrs qui la garantissent et la fassent croître malgré les difficultés.

8. Marie
Il me faudrait présenter bien d’autres aspects de l’enseignement que le Saint-Père donne aux prêtres. Je dois conclure et je le fais avec Marie.
« Dans le cœur de la Sainte Vierge, il n’y a que la miséricorde », disait le Curé d’Ars . Il parlait d’expérience car, depuis tout petit, il avait un lien très fort avec la Sainte Vierge. A Ars, il l’a étroitement associée à son œuvre d’évangélisation en la faisant connaître, aimer, prier. Il lui a consacré sa paroisse et chacun de ses paroissiens.
« Regarder Marie, dit le Saint-Père, c’est “croire à nouveau dans la force révolutionnaire de la tendresse et de l’affection” » . A la retraite qu’il a prêchée aux prêtres en 2016, il l’a présentée comme « vase et source de la miséricorde » . Il invite les prêtres à faire comme lui en la prenant pour Mère. Lui-même se laisse regarder par elle avec « la confiance de l’enfant, du pauvre, du simple » . Mais Marie a aussi un impact sur le ministère du prêtre car elle enseigne que « l’unique force capable de conquérir le cœur des hommes est la tendresse de Dieu » .
Je termine avec cette prière du Pape François :
« Souviens-toi Seigneur de ton alliance de miséricorde avec tes fils, les prêtres de ton peuple. Que nous soyons, avec Marie, signe et sacrement de ta miséricorde. »
Ainsi soit-il !

Share this Entry

Rédaction

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel