Mgr Giacomo Morandi secrétaire de la Doctrine de la foi © RV

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Vademecum de la CDF: une procédure « clairement décrite », estime Mgr Morandi

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La justice est nécessaire, mais pas suffisante

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La « véritable nouveauté » du vademecum, publié par la Congrégation pour la doctrine de la foi, ce jeudi 16 juillet 2020, sur les procédures en cas d’abus sexuel sur mineurs de la paert de clercs, « c’est que pour la première fois, la procédure est décrite de manière organisée », souligne Mgr Giacomo Morandi, pour indiquer la voie à suivre « dans la complexité des normes et des pratiques ».

Mgr Morandi, secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, a répondu aux questions d’Andrea Tornielli, directeur éditorial du Dicastère pour la communication du Saint-Siège.

L’Eglise doit avancer sur ce « nécessaire » « chemin de la vérité et de la justice », mais ce n’est pas suffisant, estime le secrétaire de la Congrégation : « Sans une formation adéquate, un discernement minutieux, une prévention sereine mais décisive, elle ne pourra pas à elle seule guérir cette blessure dont nous sommes témoins aujourd’hui ».

Le document était prévu par le sommet sur les abus qui a réuni au Vatican les présidents des Conférences épiscopales du monde, en février 2019.

HG

Andrea Tornielli – Qui a préparé ce document et pourquoi a-t-il fallu tant de temps depuis son annonce en février 2019 ?

Mgr Morandi – Il a été préparé par la Congrégation grâce surtout à la contribution du Bureau disciplinaire qui, ces dernières années, a acquis une expérience particulière dans les cas en question. Le temps apparemment long de sa rédaction est dû au nécessaire dialogue non seulement au sein de la Congrégation mais aussi à l’extérieur, avec des experts du secteur, d’autres Dicastères, et en particulier avec la Secrétairerie d’État.

Quel est l’objet de ce vade-mecum et à qui s’adresse-t-il ?

Je préfère l’appeler, comme le fait le Préfet de notre Congrégation, un «manuel». Ce n’est donc pas un texte normatif, mais un instrument à la disposition des évêques, des supérieurs religieux, des tribunaux ecclésiastiques, des juristes et aussi des responsables des centres d’écoute mis en place par les conférences épiscopales. Dans la complexité des normes et des pratiques, ce guide souhaite indiquer la voie à suivre et aider à ne pas se perdre.

Ce document contient-il de nouvelles indications par rapport à celles qui existent déjà ?

Non. Aucune nouvelle règle n’est promulguée. La véritable nouveauté, cependant, c’est que pour la première fois, la procédure est décrite de manière organisée, depuis la première information sur un éventuel délit jusqu’à la conclusion définitive de la cause, en unissant les normes existantes et la pratique de la Congrégation. Les normes sont connues, tandis que la pratique de la congrégation, c’est-à-dire la manière pratique d’appliquer les normes, n’est connue que de ceux qui ont déjà traité ces cas.

Le Vade-mecum est-il un document fermé et défini ou doit-il être mis à jour ?

Précisément parce qu’il s’agit d’un outil, d’un manuel, il se prête à des mises à jour constantes. Elles sont dues à la fois à d’éventuelles modifications futures du droit pénal, à des clarifications et à des questions qui peuvent venir localement des Ordinaires et des praticiens du droit. En ce sens, la version qui sort aujourd’hui est appelée «1.0», susceptible d’être mise à jour. Et toute aide visant à l’améliorer est un service bienvenu pour la justice.

Quels sont les cas qui relèvent de la compétence de votre congrégation ?

En général, les délits réservés à notre Congrégation sont tous ceux qui vont à l’encontre de la foi et seulement les plus graves (dans le langage courant actuellement utilisé, on parle de delicta graviora) contre la morale et l’administration des sacrements. Le Vade-mecum ne fait toutefois référence qu’à l’un de ces délits, que l’article 6 du motu proprio Sacramentorum Sanctitatis Tutela attribue au clerc lorsqu’il accomplit des actes contre le sixième commandement du Décalogue avec des mineurs. Ce sont les cas qui font le plus de bruit dans les médias, notamment en raison de leur gravité.

Quand, pour l’Église, s’agit-il d’abus sur « mineurs » ? Comment la limite d’âge a-t-elle changé ?

Dans le domaine pénal, l’enfant est la personne qui n’a pas encore atteint l’âge de 18 ans. Les autres distinctions d’âge, en dessous de 18 ans, ne sont pas pertinentes en ce sens. Le Code latin du can. 1395 § 2 parle toujours de 16 ans, mais le motu proprio Sacramentorum Sanctitatis Tutela de Jean-Paul II en 2001 a porté l’âge à 18 ans. Les cas d’«abus» (comme on vient de le dire, un «délit contre le sixième commandement du Décalogue avec des mineurs») sont souvent faciles à délimiter, par exemple les relations sexuelles en tant que telles ou d’autres contacts physiques qui ne sont pas de véritables «relations» mais qui ont une intention sexuelle claire, et d’autres fois les cas sont moins faciles à définir, avec des nuances qui doivent être évaluées pour voir si il s’agit de delicta graviora au sens juridique selon la loi en vigueur à ce moment-là.

On remarque un changement d’attitude par rapport aux plaintes anonymes, qui étaient autrefois simplement mises à la poubelle. Qu’est-ce qui a changé et pourquoi une plainte anonyme doit-elle être prise en compte ?

La question est délicate. Il est devenu évident qu’une attitude péremptoire, dans un sens ou dans un autre, n’est pas bonne pour la recherche de la vérité et de la justice. Comment peut-on ignorer une plainte qui, même si elle est anonyme, contient certaines preuves (par exemple des photos, des films, des messages, du son…) ou au moins des indices concrets et plausibles de la commission d’un délit ? Il serait injuste de l’ignorer simplement parce qu’elle n’est pas signée. D’autre part : comment accepter tous les signalements, même génériques et sans expéditeur ? Dans ce cas, il serait inapproprié de poursuivre. Il est donc nécessaire de faire un discernement minutieux. D’une manière générale, nous n’accordons pas de crédit aux signalements anonymes, mais nous ne renonçons pas a priori à leur évaluation initiale pour voir s’il existe des éléments déterminants, objectifs et évidents, que nous appelons dans notre langage fumus delicti.

Dans quelle mesure les cas marquants de ces dernières années ont-ils influencé l’élaboration de ce document et d’autres textes récents sur le sujet ?

Les cas éclatants sont traités de la même manière que les cas moins connus, toujours selon les règles de droit. Devant nous, il n’y a pas de «personnages» mais des personnes : des accusés, des victimes présumées, des témoins possibles… En général, il y a toujours un cadre de souffrance particulière. Il est certain que l’attention des médias sur les questions en objet s’est beaucoup accrue ces dernières années, et cela constitue une stimulation supplémentaire pour la Congrégation afin d’essayer de rendre justice d’une manière toujours plus correcte et efficace. C’est également pour cette raison que le Vade-mecum sera utile.

Les évêques et les supérieurs religieux ont-ils l’obligation de dénoncer aux autorités civiles les abus présumés commis par des clercs ?

Sur ce point, les conférences épiscopales nationales ont préparé des lignes directrices qui tiennent compte des réglementations locales. Il n’est pas possible de donner une réponse sans équivoque. Dans certains pays, la loi prévoit déjà cette obligation, et pas dans d’autres. En fait, le motu proprio Vos estis lux mundi du Pape François, promulgué l’année dernière, exprime en ces termes que l’Église agit dans des cas de ce genre «sans préjudice des droits et obligations établis en chaque lieu par les lois étatiques, en particulier pour ce qui concerne les éventuelles obligations de signalement aux autorités civiles compétentes» (Art. 19). Par ailleurs, l’article 17 du Vade-mecum stipule également : «Même en l’absence d’obligation juridique explicite, l’autorité ecclésiastique déposera une plainte auprès des autorités civiles compétentes chaque fois qu’elle l’estimera indispensable pour protéger tant la victime présumée que d’autres mineurs, du danger de nouveaux actes délictueux».

Qu’est-ce qu’un «procès pénal extrajudiciaire» ? Quand et pourquoi cela se fait-il ? 

Il s’agit d’une procédure prévue par les deux codes canoniques en vigueur. C’est une voie plus rapide. A l’issue du procès pénal extrajudiciaire, l’Ordinaire (ou l’un de ses délégués), assisté de deux assesseurs, se prononce sur la culpabilité ou non de l’accusé et (en cas de culpabilité avec certitude morale) sur la peine proportionnée à imposer. Cette procédure, également appelée «administrative», comporte des avantages et des inconvénients. On lance des poursuites de cette manière extrajudiciaire lorsque, par exemple : les faits sont clairs ; l’activité délictueuse signalée est déjà confirmée par l’accusé ; l’Ordinaire demande que cela soit fait pour des raisons fondées ; la Congrégation considère que cela est approprié en fonction des circonstances particulières (personnel qualifié, géographie, rapidité, etc.). Bien entendu, le droit à la défense de l’accusé doit toujours être absolument garanti. C’est également pour cette raison que le procès extrajudiciaire en droit latin prévoit jusqu’à trois degrés de recours possibles, afin de garantir autant que possible l’objectivité du jugement.

Il s’agit de délits qui sont généralement commis sans la présence de témoins. Comment est-il possible de vérifier la validité des accusations pour s’assurer que les coupables soient punis et ne puissent plus nuire ? 

Nous recourrons aux instruments de procédure couramment utilisés pour vérifier la fiabilité des preuves. De nombreux délits, et pas seulement ceux en objet, sont commis sans témoins. Mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas arriver à une certitude. Il existe des outils procéduraux qui le permettent : la fiabilité des personnes impliquées, la cohérence des faits déclarés, l’éventuelle réitération des délits, la présence de documents à charge, etc. Il faut dire qu’à plusieurs reprises, l’accusé lui-même, conscient du mal commis, l’admet devant le tribunal.

Et comment éviter qu’une personne soit injustement accusée et condamnée ? 

Lorsque les faits ne sont pas suffisamment prouvés, le principe in dubio pro reo s’applique. C’est un principe de base de notre culture juridique. Dans ces cas, plutôt que de déclarer l’innocence, on plaide non coupable.

Pourquoi un ecclésiastique, lorsqu’il est accusé d’avoir commis des abus, peut-il immédiatement demander une dispense de célibat ?

C’est vrai. Lorsque le clerc reconnaît le délit et son inaptitude à poursuivre le ministère, il peut demander à être dispensé. Il reste donc prêtre (le sacrement ne peut être révoqué ou perdu) mais n’est plus clerc: il quitte l’état clérical non pas sur démission mais sur une demande en conscience adressée au Saint-Père. Ce sont des voies différentes qui aboutissent au même résultat en ce qui concerne la condition juridique de la personne : un ancien clerc qui ne pourra jamais plus se présenter comme un ministre de l’Église.

Pouvez-vous nous donner quelques informations sur la dimension du phénomène ? Les nouvelles normes ne font-elles que mettre en lumière des cas passés ou le fléau de la maltraitance des enfants est-il toujours présent au sein de l’Eglise ?

Le phénomène est présent sur tous les continents, et nous assistons encore à l’émergence de dénonciations de faits anciens, parfois même remontant à de nombreuses années. Il est clair que certains délits sont également récents. Mais lorsque cette phase d’«émersion» du passé prendra fin, je suis convaincu (et nous l’espérons tous) que le phénomène auquel nous assistons aujourd’hui pourra être contenu. Il faut cependant dire que le chemin de la vérité et de la justice est l’une des possibles réponses de l’Église. Nécessaire oui, mais pas suffisante. Sans une formation adéquate, un discernement minutieux, une prévention sereine mais décisive, elle ne pourra pas à elle seule guérir cette blessure dont nous sommes témoins aujourd’hui.

© Traduction du Bureau de presse du Saint-Siège

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Hélène Ginabat

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