P. Laurent Stalla-Bourdillon, crédit photo Yannick BOSCHAT

P. Laurent Stalla-Bourdillon, crédit photo Yannick BOSCHAT

Tribune du p. Laurent Stalla-Bourdillon

« Dérive du sacerdoce et dérive de prêtres abuseurs »

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Les crimes perpétrés par des prêtres abuseurs ont souvent une double origine dont la seconde est plus difficile à mettre au jour. La première cause est une déviance psychopathologique qui aura trouvé dans la vie ecclésiastique un terreau favorable à son épanouissement. La seconde vient précisément du sentiment de toute puissance et d’impunité qu’a pu conférer aux abuseurs la condition du prêtre telle qu’elle leur est renvoyée par d’autres, une image  idéalisée du prêtre répandue parmi les fidèles.

 

Le rayonnement de cette image dans l’esprit des fidèles les a conduits souvent à prêter à « l’homme de Dieu » une « perfection » dont l’affirmation neutralise tout esprit critique. Il faut d’entrée l’affirmer clairement : dans l’Eglise, le prêtre est trop et mal identifié au Christ. La juste notion d’identification du prêtre au Christ, utilisée en théologie pour rendre compte en vérité de la réalité sacramentelle des rites, s’est dramatiquement reportée sur une caractérisation erronée, au quotidien, de la personnalité de certains prêtres. La doctrine de l’union de la personne Christ à la personne d’un homme, ordonné prêtre qui s’applique aux sacrements a été abusivement complétée par une confusion de la sainteté de celui qui reste un homme, avec celle du Christ, alors que la sainteté reste chaque jour pour le prêtre son propre chemin de conversion personnelle et de sanctification. Le prêtre reste un homme et un possible pécheur. On aura donc fait reposer sur l’humanité du prêtre, de manière excessive, les attributs de Celui qui seul est saint – car il est Dieu-, en invoquant le seul effet de son ordination et le fait qu’il parle des choses de Dieu.

 

« Le Christ n’est pas absent au point qu’il n’y aurait que les sacrements pour Le retrouver. (…) Les sacrements ne sont pas là pour combler un vide, mais pour manifester cette présence du Christ en nous par des signes “objectifs”, qui ne viennent pas simplement de nous-mêmes, de nos sentiments personnels susceptibles de devenir équivoques ou chimériques » écrivait Grégory Solari.[1] Celui qui a reçu autorité pour dispenser les sacrements s’arroge à tort, l’autorité de celui qui l’a appelé oubliant que si «  Dieu a lié le salut au sacrement du Baptême, mais il n’est pas lui-même lié à ses sacrements » selon le Catéchisme de l’Eglise Catholique (n°1258).

Cette merveille que sont les sacrements, comme signe efficace de la grâce divine, réjouit comme un fruit « beau à voir et bon à manger » pour acquérir la connaissance de Dieu. Mais elle peut aussi fasciner, et la fascination, ici, est spécialement trompeuse. L’effet que cette perception défectueuse de la doctrine du sacerdoce exerce sur le psychisme des personnes n’a pas été compensé par une exigence d’intelligence de la foi. Même s’ils ne furent pas tous à caractère pédocriminel, les très nombreux abus de conscience de clercs au cours du XXème siècle et aujourd’hui encore, auront été rendus possibles, pour une part, par l’idéalisation fantasmée du prêtre lui octroyant l’autorité d’une infaillibilité qui viendrait de sa relation particulière à Dieu.

 

Il faut pouvoir dire, selon l’antique formule, que le prêtre est un « alter Christus » sans  penser « ipse Christus ». En effet, il cesse d’être le témoin de Celui qu’il sert, s’il prétend être son incarnation ! S’identifier au Christ, ou du moins chercher à lui ressembler toujours plus, est un chemin de sanctification pour le prêtre ; cela n’a rien à voir avec l’idée, trop répandue parmi certains fidèles, que par le seul effet du sacrement de l’Ordre, l’identification au Christ opère une même sanctification. Soutenir cette dernière thèse n’est-ce pas aller trop loin ? Que le Christ s’empare de la personne du prêtre pour la célébration des sacrements n’implique pas que le prêtre puisse, en retour, s’identifier au Christ du point de vue de la sainteté. Car la sainteté n’est un état que pour le Christ en vertu de sa nature divine, alors qu’elle reste un « chemin » pour tout homme. Dès lors, si la sainteté du Christ fut concédée aux prêtres par abus, cette confusion aura permis bien des dérives. De là vient le cléricalisme contre lequel lutte le Pape François. Une confusion entre la personne du Jésus et la personne des prêtres s’est installée alors que ceux-ci’« reçoivent l’Esprit de Jésus pour agir en son nom et en sa personne » (n°1120) et non en la leur !

 « La commission d’enquête sur le Père Finet constate qu’« on attend un « dévouement à toute épreuve du fidèle, contrôlé par l’obéissance « une adulation du père » à qui « l’on pardonne tout » et à propos de qui « le regard critique est interdit ». On retrouve les conséquences constatées dans d’autres communautés nouvelles charismatiques quand le « prêtre » ou « père » du lieu prend trop de place »[2].

 

Pour trop de fidèles, l’autorité du prêtre s’est donc substituée à l’autorité de la Parole de Dieu. Dans le cas douloureux du père Finet et de Marthe Robin, elle a été directement et indument objectivée dans la parole de la personne mystique que fut Marthe. Ce n’est pas ce qu’elle a dit qui compte ici – d’ailleurs nous ne saurons jamais ce qu’elle a dit puisque nous n’avons que les paroles qu’on lui prête – mais les confirmations d’intuitions mystiques rapportées par ceux qui l’ont rencontrée. N’y a-t-il pas eu un phénomène de fascination pour la dimension surnaturelle de la vie de Marthe Robin qui devait par capillarité confirmer le « dire » et le « faire » de tous ceux qui se revendiquaient d’une proximité avec elle ? Ainsi du Père Finet. Il y a donc eu une très sérieuse dérive d’intelligence de la foi par les fidèles, qui fut rendue possible par un manque de discernement mais aussi hélas par la faiblesse des contenus mêmes de formations donnés par l’institution, depuis des décennies, aux chrétiens, à qui l’on apprenait d’abord à se soumettre à l’autorité ecclésiastique. Comment ne pas apprécier dans le rappel de la dimension communautaire de l’Eglise lors du Concile Vatican II, la meilleure mise en garde contre des excès de pouvoir ?  Faut-il que la raison soit faible pour que la foi au Christ tourne à ce point à la fascination de crédules se coulant dans d’obséquieux consentements, écrasant tout discernement parce que l’autorité d’une personne qui « voit Jésus » serait nécessairement un gage de supériorité et le sceau d’une vérité incontournable écrasant à son tour toute liberté ? C’est là le processus type d’une manipulation mentale, jouant de l’aspiration spirituelle primordiale consistant à vouloir voir le « saint de Dieu », à contempler la sainteté de celui en qui ne se trouve aucune complicité avec le mal. 

 

Le Christ, que les prêtres servent dans les sacrements, communique sa sainteté aux fidèles par leur médiation, quel que soit leur état personnel. Autrement dit, la grâce n’est pas empêchée par les péchés du ministre et peut, malgré eux, rejoindre les fidèles. Bernanos le faisait dire au Curé d’Ambricourt : « Quel mystère que l’on donne ce que l’on ne possède pas soi-même ». Ce qu’enseigne le catéchisme de l’Eglise Catholique au n°1128:

 

 « C’est là le sens de l’affirmation de l’Église (cf. Cc. Trente : DS 1608) :

les sacrements agissent ex opere operato (littéralement :  » par le fait même que l’action est accomplie « ), c’est-à-dire en vertu de l’œuvre salvifique du Christ, accomplie une fois pour toutes. Il s’en suit que  » le sacrement n’est pas réalisé par la justice de l’homme qui le donne ou le reçoit, mais par la puissance de Dieu  » (S. Thomas d’A., s. th. 3, 68, 8). Dès lors qu’un sacrement est célébré conformément à l’intention de l’Église, la puissance du Christ et de son Esprit agit en lui et par lui, indépendamment de la sainteté personnelle du ministre. Cependant, les fruits des sacrements dépendent aussi des dispositions de celui qui les reçoit. »

 

La célèbre phrase de Saint Augustin disant : « Si Pierre baptise, c’est le Christ qui baptise ; si Paul baptise, c’est le Christ qui baptise ; si Judas baptise, c’est le Christ qui baptise ! » doit être correctement comprise : sinon, l’on risque de faire porter à Judas les attributs du Christ.

 

Pour conclure, relisons encore ces passages du Catéchisme de l’Eglise Catholique et ce point particulièrement délicat à partir duquel la confusion peut s’opérer entre sacramentalité et réalité :

 

« Le ministère ordonné ou sacerdoce ministériel est au service du sacerdoce baptismal. Il garantit que, dans les sacrements, c’est bien le Christ qui agit par l’Esprit Saint pour l’Église. La mission de salut confiée par le Père à son Fils incarné est confiée aux Apôtres et par eux à leurs successeurs : ils reçoivent l’Esprit de Jésus pour agir en son nom et en sa personne. Ainsi, le ministre ordonné est le lien sacramentel qui relie l’action liturgique à ce qu’ont dit et fait les Apôtres, et, par eux, à ce qu’a dit et fait le Christ, source et fondement des sacrements. » n°1120 

 

« Célébrés dignement dans la foi, les sacrements confèrent la grâce qu’ils signifient. Ils sont efficaces parce qu’en eux le Christ lui-même est à l’œuvre : c’est Lui qui baptise, c’est Lui qui agit dans ses sacrements afin de communiquer la grâce que le sacrement signifie. (…) Comme le feu transforme en lui tout ce qu’il touche, l’Esprit Saint transforme en Vie divine ce qui est soumis à sa puissance. » n°1127

 

Les sacrements sont appelés « les sacrements de la foi ». Ils supposent que c’est dans la foi que se reçoit la grâce divine. Or, notre mentalité contemporaine a tendance à vouloir la réalité tout de suite et non plus la réalité de la foi. Ainsi, on croit déjà réalisé et effectif en ce monde, ce qui est la promesse du monde qui vient. Ce que nous sommes vraiment devenus par les sacrements, nous le serons seulement mais vraiment dans le monde qui vient (et que nous ne voyons pas encore) ; en ce monde-ci, et nous devons encore le devenir, à travers la patience et la persévérance de la foi.

Pour avoir trop complaisamment idéalisé la vie sacerdotale, on aura éloigné tel candidat au sacerdoce à qui l’humble conscience de son état de pécheur barrait la voie aux ordres. On aura contraint tel autre à surjouer cet idéal auquel il ne correspondait pas, faisant du dévoilement de la moindre faille une occasion de suicide. On aura laissé trop souvent prospérer le loup dans la bergerie. De la justesse de l’enseignement sur le ministère du prêtre dépendront le renouveau des vocations sacerdotales et l’avènement d’un peuple sacerdotal.[3]

 

Père Laurent Stalla-Bourdillon

Directeur du Service pour les Professionnels de l’Information du diocèse de Paris,

Enseignant au Collège des Bernardins

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[1] https://www.famillechretienne.fr/eglise/vie-de-l-eglise/gregory-solari-peut-on-imaginer-une-eglise-sans-contact-273565

[2] http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/abus-sexuels-emprise-revelations-des-foyers-de-charite-sur-leur-fondateur-06-05-2020-106122_16.php?fbclid=IwAR2CcF-VpyGP4w7_8p9TFOcayK8m1cJMb11rSxXILO2tzKoUuFKltTG_E9Q

[3] La confusion évoquée dans cet article pourrait se résumer à l’ambiguité du n°1120 du Catéchsime de l’Eglise catholique ou la mention « Le ministère ordonné ou sacerdoce ministériel (LG 10) est au service du sacerdoce baptismal. Il garantit que, dans les sacrements, c’est bien le Christ qui agit par l’Esprit Saint pour l’Église » et devrait être comprise comme : « … il est la garantie que, dans les sacrements, c’est le Christ qui agit ».

 

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Rédaction

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