Le rabbin Skorka présente une nouvelle édition de la Torah © L'Osservatore Romano

Le rabbin Skorka présente une nouvelle édition de la Torah (fév. 2017) © L'Osservatore Romano

Ouverture des archives de Pie XII, réflexion du rabbin Skorka

La recherche de la vérité dans la tradition juive

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« Après un travail intense de classification et de catalogue, les Archives du Vatican de la période de la seconde guerre mondiale sont maintenant accessibles à l’analyse, à l’étude et à l’interprétation »: l’ouverture des archives du pontificat de Pie XII, ce 2 mars 2020, suscite ce commentaire du rabbin argentin Abraham Skorka, ami du pape François, ans L’Osservatore Romano en italien des 28-29 février 2020.

Ces archives représentent deux millions et demi de documents soit 16 millions de feuillets catalogués et classifiés et donc accessibles aux chercheurs.

« Cet événement, écrit le rabbin, contribue à l’infinie recherche humaine de la vérité. Même si les êtres humains ne peuvent pas établir de manière définitive si l’un ou l’autre choix aurait eu telle ou telle conséquence pour les juifs victimes des nazis, nous sommes poussés par la nécessité d’en savoir le plus possible. »

Il relève aussi que « dans la tradition hébraïque, cette recherche de la vérité fait partie du chemin qui nous rapproche de Dieu ».

Voici notre traduction de la réflexion du rabbin Skorka.

AB

Abraham Skorka, Institute for Jewish-Catholic Relations of Saint Joseph’s University, Philadelphia, PA (Etats-Unis)

Emet Emunah, vérité et foi, ont pour racine les trois mêmes lettres hébraïques, (aleph, noun) d’où dérivent d’autres mots hébraïques qui se réfèrent à la sécurité, à la stabilité, au pouvoir et à la confiance (omnahmeheiman, etc.). Dans le psaume 31, 6[5] nous lisons : « En tes mains je remets mon esprit ; tu me rachètes, Seigneur, Dieu de vérité ». Rabbi Hanina, un des sages talmudiques, a dit : «Le Sceau du Saint, qu’Il soit béni, Il est la Vérité » (b. Yoma 69b).

Dans de nombreux endroits de la littérature sacrée hébraïque, la vérité est employée pour définir une caractéristique principale de Dieu. Et la vérité est aussi ce que Dieu exige des êtres humains, comme l’a déclaré le prophète Zacharie (8,16) : « chacun dira la vérité à son prochain ». Maimonide aussi indique Abraham comme modèle de recherche de la vérité lorsqu’il refusa le paganisme de sa société et commença à servir l’Unique Vrai Dieu (YadAvodat Kokhavim 1). Dans la tradition hébraïque, par conséquent, la connaissance de la vérité est fondamentale dans tous les aspects de la vie, scientifiques, éthiques et existentiels. Elle est essentielle pour la croissance de la foi. Ces concepts me sont revenus à l’esprit récemment, lorsque j’ai lu l’annonce de l’ouverture, début mars, des archives historiques du Saint-Siège sur la période de la seconde guerre mondiale. Cela m’a alors rappelé quelque chose qu’a écrit le pape François : « L’homme a besoin de connaissance, il a besoin de vérité, parce que sans elle, il ne se maintient pas, il n’avance pas. La foi, sans la vérité, ne sauve pas, ne rend pas sûrs nos pas. Elle reste un beau conte, la projection de nos désirs de bonheur, quelque chose qui nous satisfait seulement dans la mesure où nous voulons nous leurrer » (Lumen fidei, n. 24).

Il n’est donc pas surprenant que la perspective hébraïque et la perspective chrétienne convergent lorsqu’elles considèrent que la vérité est d’une importance primordiale.

Je me suis aussi souvenu lorsqu’il y a dix ans, avec le cardinal Jorge Bergoglio, archevêque de Buenos Aires, nous avons discuté de la question de la Shoah pour le livre de dialogues que nous étions en train de rédiger. Nous avons parlé en partant de notre compréhension personnelle ; nous avons ouvert notre coeur l’un à l’autre. J’ai révélé ma préoccupation quant au pape Pie XII et à la souffrance des juifs persécutés par les nazis. D’une part, je savais qu’il y avait des personnes qui soutenaient que, par son silence public, il avait réussi à sauver en cachette la vie de nombreux juifs, mais de l’autre, je me demandais si ce silence public avait été utilisé par les assassins pour en éliminer beaucoup d’autres.

Obsédé par les expressions poignantes que j’avais vues sur les visages de certains membres de ma famille, dont les proches, mes ancêtres directs, avaient perdu la vie dans les usines de mort construites par les nazis, j’abordai le sujet avec le cardinal Bergoglio. Je fis observer que les actions de l’Église, pendant la seconde guerre mondiale, devaient être examinées pour soulager la souffrance et l’angoisse encore éprouvées par les juifs. À cette fin, il était nécessaire d’analyser tout le matériel historique. Il répondit : « Ce que tu as dit sur le fait d’ouvrir les archives relatives à la Shoah me semble parfait. On devrait les ouvrir et tout clarifier. Il sera alors possible de voir si l’on aurait pu faire quelque chose, dans quelle mesure cela aurait pu se faire et, si nous nous sommes trompés sur quelque chose, nous pourrons dire : « Nous nous sommes trompés sur ce point ». Nous ne devons pas avoir peur de cela. L’objectif doit être la vérité. Quand on commence à cacher la vérité, on élimine la Bible. On croit en Dieu, mais seulement jusqu’à un certain point… Nous devons connaître la vérité et aller dans ces archives » (cf. Sur la terre comme au ciel).

En écrivant par la suite Lumen fidei, au n. 13, le pape François mentionne le rabbin de Kock. C’est probablement le premier et l’unique maître hassidique à être cité dans une encyclique papale. Ce rabbin est connu pour son engagement à la recherche de la vérité. Tout en citant un texte midrashique (Bereshit Rabba 8:5) pour redire que Dieu seul peut avoir connaissance de la pleine vérité de toutes les choses, il croyait ardemment que les êtres humains doivent toujours poursuivre la vérité, même lorsqu’ils ne la perçoivent que vaguement. Même si Dieu seul est en mesure de juger la pleine vérité des événements historiques et des motivations des personnes, les êtres humains doivent toutefois chercher constamment à percevoir toute la vérité qu’ils peuvent. Dix ans après ma conversation avec le cardinal Bergoglio sur cette question, et après un travail intense de classification et de catalogue, les Archives du Vatican de la période de la seconde guerre mondiale sont maintenant accessibles à l’analyse, à l’étude et à l’interprétation. Cet événement contribue à l’infinie recherche humaine de la vérité. Même si les êtres humains ne peuvent pas établir de manière définitive si l’un ou l’autre choix aurait eu telle ou telle conséquence pour les juifs victimes des nazis, nous sommes poussés par la nécessité d’en savoir le plus possible.

L’espérance exprimée au cours de notre conversation il y a dix ans est maintenant en train de devenir réalité. La souffrance et l’angoisse de ne pas pouvoir chercher la vérité vont être allégées. Dans la tradition hébraïque, cette recherche de la vérité fait partie du chemin qui nous rapproche de Dieu.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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