Le pape François souhaite une éducation apte à « former des personnes mures, capables de dépasser les fragmentations et oppositions et de reconstruire le tissu de relations pour une humanité plus fraternelle ».
Le pape a reçu en audience les participants à l’assemblée plénière de la Congrégation pour l’éducation catholique (des instituts d’études), dans la Salle Clémentine du Palais du Vatican, ce 20 février 2020.
« Tout est relation avec tout, tout est créé pour être l’image vivante de Dieu qui est Trinité d’Amour ! » a insisté le pape en citant son discours à la communauté académique de l’Institut universitaire Sophia de Loppiano, le 14 novembre 2019.
Il a évoqué « le monde fascinant de l’éducation », « une réalité dynamique », un « genre particulier de mouvement, avec des caractéristiques qui en font un dynamisme de croissance, orienté vers le plein développement de la personne dans sa dimension individuelle et sociale ». Il en a souligné quatre dimensions : écologique, inclusive, pacificatrice et d’équipe, rappelant la nécessité « d’unir les efforts ».
Le pape François rappelle aussi la « journée pour l’Alliance éducative mondiale », le 14 mai prochain : un « appel adressé à tous ceux qui ont des responsabilités politiques, administratives, religieuses et éducatives pour recomposer le “village de l’éducation” » et « retrouver un pas commun afin de raviver l’engagement pour et avec les jeunes générations, renouvelant la passion pour une éducation plus ouverte et inclusive, capable d’écoute patiente, de dialogue constructif et de compréhension mutuelle ». L’alliance éducative doit être « révolutionnaire », soutient le pape.
Voici notre traduction du discours du pape François.
HG
Discours du pape François
Messieurs les cardinaux,
Chers frères dans l’épiscopat et le sacerdoce,
Chers frères et sœurs,
Je remercie le cardinal Versaldi pour ses aimables paroles d’introduction et je vous salue tous cordialement. En vous réunissant en assemblée plénière, vous avez eu la possibilité, ces jours-ci, de relire le travail dense réalisé au cours des trois dernières années et de tracer les engagements futurs le cœur ouvert et dans l’espérance. Le domaine de compétence du Dicastère vous engage à entrer dans le monde fascinant de l’éducation, qui n’est jamais une action répétitive mais l’art de la croissance, de la maturation et, pour cette raison, jamais égale à elle-même.
L’éducation est une réalité dynamique, c’est un mouvement qui conduit les personnes à la lumière. Il s’agit d’un genre particulier de mouvement, avec des caractéristiques qui en font un dynamisme de croissance, orienté vers le plein développement de la personne dans sa dimension individuelle et sociale. Je voudrais m’arrêter sur quelques-uns de ses traits typiques.
Une propriété de l’éducation est d’être un mouvement écologique. C’est une de ses forces qui entraînent vers l’objectif complet de formation. L’éducation qui met la personne au centre dans sa réalité intégrale a pour but de la conduire à la connaissance d’elle-même, de notre maison commune dans laquelle elle est placée pour vivre et surtout à la découverte de la fraternité comme relation qui produit la composition multiculturelle de l’humanité, source d’enrichissement réciproque.
Comme je l’ai écrit dans l’encyclique Laudato si’, ce mouvement éducatif contribue à faire retrouver les « différents niveaux de l’équilibre écologique : au niveau intérieur avec soi-même, solidaire avec les autres, naturel avec tous les êtres vivants et spirituel avec Dieu ». Ceci requiert naturellement des éducateurs « capables de recentrer les itinéraires pédagogiques d’une éthique écologique, de manière à faire effectivement grandir dans la solidarité, dans la responsabilité et dans la protection fondé sur la compassion » (n.210)
Quant à la méthode, l’éducation est un mouvement inclusif. Une inclusion qui va vers tous les exclus : exclus en raison de la pauvreté, de la vulnérabilité liée aux guerres, aux famines et aux catastrophes naturelles, de la sélectivité sociale, des difficultés familiales et existentielles. Une inclusion qui se concrétise dans les actions éducatives en faveur des réfugiés, des victimes de la traite des êtres humains, des migrants, sans aucune distinction de sexe, de religion ou d’ethnie. L’inclusion n’est pas une invention moderne, mais elle fait partie intégrante du message du salut chrétien. Aujourd’hui, il est nécessaire d’accélérer ce mouvement inclusif de l’éducation pour endiguer la culture du déchet, qui est le fruit du refus de la fraternité en tant qu’élément constitutif de l’humanité.
Un autre trait typique de l’éducation est d’être un mouvement pacificateur. Un mouvement pacificateur, porteur de paix, est harmonieux – nous en reparlerons plus tard, mais c’est lié. Les jeunes eux-mêmes nous témoignent de cela, eux qui, par leur engagement et leur soif de vérité, nous « ramènent constamment au fait que l’espérance n’est pas une utopie et que la paix est un bien toujours possible » (Discours aux membres du Corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège, 9 janvier 2020). Le mouvement éducatif constructeur de paix est une force à alimenter contre l’ « egolâtrie » qui génère la non-paix, les fractures entre les générations, parmi les peuples, les cultures, les populations riches et celles qui sont pauvres, entre le masculin et le féminin, l’économique et l’éthique, l’humanité et l’environnement (cf. Congrégation pour l’Éducation catholique, Pacte éducatif mondial. Instrumentum laboris, 2020).
Ces fractures et oppositions, qui blessent les relations, cachent une peur de la diversité et de la différence. C’est pourquoi l’éducation est appelée avec sa force pacificatrice à former des personnes capables de comprendre que les diversités ne sont pas un obstacle à l’unité, mais qu’elles sont au contraire indispensables à la richesse de l’identité de chacun et de celle de tous.
Un autre élément typique de l’éducation est qu’elle est un mouvement d’équipe. Ce n’est jamais l’action d’une seule personne ou institution. La Déclaration conciliaire Gravissimum educationis affirme que l’école « constitue comme un centre, à l’activité et aux progrès duquel doivent participer ensemble les familles, les enseignants, les différents types d’associations à finalités culturelles, civiques et religieuses, la société civile et toute la communauté humaine » (n.5). De son côté, la Constitution apostolique Ex corde Ecclesiae, dont nous célébrons cette année le trentième anniversaire de la promulgation, affirme que « l’Université catholique poursuit ses objectifs y compris à travers son engagement à former une communauté authentiquement humaine, animée de l’esprit du Christ » (n. 21). Mais toutes les universités sont appelées à être des « communautés d’étude, de recherche et de formation » (Const. ap. Veritatis gaudium, art. 11 par. 1).
Ce mouvement d’équipe est depuis longtemps en difficulté pour diverses raisons. C’est pour cela que j’ai senti la nécessité de promouvoir, pour le 14 mai prochain, la journée pour le alliance éducative mondiale, dont j’ai confié l’organisation à la Congrégation pour l’Éducation catholique. C’est un appel adressé à tous ceux qui ont des responsabilités politiques, administratives, religieuses et éducatives pour recomposer le « village de l’éducation ». Il ne s’agit pas de se retrouver ensemble pour élaborer des programmes, mais pour retrouver un pas commun « afin de raviver l’engagement pour et avec les jeunes générations, renouvelant la passion pour une éducation plus ouverte et inclusive, capable d’écoute patiente, de dialogue constructif et de compréhension mutuelle. Le alliance éducative ne doit pas être un simple système, il ne doit pas « recuisiner » les positivismes que nous avons reçus d’une éducation des Lumières. Il doit être révolutionnaire.
« Jamais comme maintenant il n’a été nécessaire d’unir les efforts dans une vaste alliance éducative pour former des personnes mures, capables de dépasser les fragmentations et oppositions et de reconstruire le tissu de relations pour une humanité plus fraternelle ». Pour atteindre ces objectifs, il faut du courage : « Le courage de mettre la personne au centre […]. Le courage d’investir les meilleures énergies […]. Le courage de former des personnes disponibles pour se mettre au service de la communauté » (Message pour le lancement de l’Alliance éducative, 12 septembre 2019). Le courage de bien payer les éducateurs.
Je vois dans la composition d’une alliance éducative mondiale la facilitation de la croissance d’une alliance interdisciplinaire et transdisciplinaire, que la récente Constitution apostolique Veritatis gaudium a signalée pour les études ecclésiastiques, mais qui vaut pour toutes les études, comme « principe vital et intellectuel de l’unité du savoir dans la distinction et le respect des ses expressions multiples, corrélées et convergentes, notamment dans le rapport au panorama actuel fragmenté et souvent désintégré des études universitaires et au pluralisme incertain, conflictuel ou relativiste, des convictions et des options culturelles » (Préambule, 4 c).
Dans cet horizon large de l’éducation, je vous souhaite de continuer avec profit dans la réalisation du programme pour les prochaines années, en particulier dans la rédaction d’un Directoire, dans la constitution d’un Observatoire mondial, ainsi que dans la qualification et la mise à jour des études ecclésiastiques et dans une plus grande sollicitude pour la pastorale universitaire comme instrument de la nouvelle évangélisation. Tous ces engagements peuvent contribuer efficacement à consolider l’alliance, dans le sens qui nous a été enseigné par la Parole de Dieu : « l’alliance entre Dieu et les hommes, le pacte entre les générations, l’alliance entre les peuples et les cultures, l’alliance – à l’école – entre enseignants et élèves, et aussi les parents, l’alliance entre l’homme, les animaux, les plantes et même les réalités inanimées qui font que notre maison commune est belle et colorée. Tout est relation avec tout, tout est créé pour être l’image vivante de Dieu qui est Trinité d’Amour ! » (Discours à la communauté académique de l’Institut universitaire Sophia de Loppiano, 14 novembre 2019).
Chers frères et sœurs, je vous remercie pour le travail que vous réalisez avec dévouement chaque jour. J’invoque sur vous les dons de l’Esprit Saint afin qu’il vous donne la force dans votre délicat ministère en faveur de l’éducation. Et je vous demande, s’il vous plaît, de prier pour moi. Merci.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat