L'hommage du pape à son "Maître" jésuite, le p. Fiorito (traduction, 1ère partie)

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Et gratitude du pape envers la Compagnie de Jésus

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« Le fait même de présenter les Écrits dans cette salle de la Curie généralice est pour moi une façon d’exprimer ma gratitude pour tout ce que la Compagnie de Jésus m’a donné et a fait pour moi. En la personne du Maître Fiorito, sont inclus de nombreux jésuites qui ont été mes formateurs et je veux ici faire particulièrement mention de tant de frères coadjuteurs, Maîtres par leur exemple joyeux en restant de simples serviteurs pour toute la vie. »

C’est ainsi que le pape François a présenté les 5 volumes des « Écrits » (Escritos) du p. Miguel Ángel Fiorito s.j. (1916-2005), dans la Salle de la Congrégation générale de la compagnie de Jésus, vendredi 13 décembre 2019. Il a intitulé son discours : « Miguel Ángel Fiorito, maître du dialogue ».

Le pape a relevé le paradoxe de ce titre, emprunté au directeur de l’édition : Fiorito, a-t-il dit, « parlait peu, mais il avait une grande capacité d’écoute, une écoute capable de discernement, qui est un des piliers du dialogue ». Et il a ajouté que son Maître « serait d’accord sur le fait que ses écrits peuvent intéresser ceux qui accompagnent spirituellement et qui donnent les Exercices, toutes ces personnes désireuses d’une aide pratique pour guider les autres et pour proposer les Exercices avec davantage de fruit ».

Voici notre traduction de la présentation du pape François (Ie partie)

HG

Miguel Ángel Fiorito, maître de dialogue. Par le pape François.

Lorsque le père Spadaro m’a donné les cinq volumes avec les « Escritos » du Maître Fiorito – c’est ainsi que nous l’appelions familièrement, nous, jésuites argentins et uruguayens – il m’a parlé d’une possible présentation. En effet, la Civiltà Cattolica les a publiés sous la direction du p. José Luis Narvaja. J’ai eu le désir d’y participer personnellement. Je le lui ai aussitôt dit : « Et pourquoi ne pas faire faire la présentation par l’un de ses disciples ? ». Il m’a demandé : « Qui, par exemple ? ». J’ai alors répondu : « Moi ! ». Et me voici.

Dans l’introduction, José Luis approfondit la figure du père Fiorito comme « maître de dialogue ». Ce titre m’a plu parce qu’il décrit bien le Maître, soulignant un paradoxe : En effet, Fiorito parlait peu, mais il avait une grande capacité d’écoute, une écoute capable de discernement, qui est un des piliers du dialogue.

Je renvoie donc à cette étude préliminaire, qui traite tous les aspects du dialogue comme le pratiquait et l’enseignait le p. Fiorito : le dialogue entre le maître et les disciples dans l’esprit commun de l’École, le dialogue avec les auteurs et avec les textes, le dialogue avec l’histoire et le dialogue avec Dieu. J’exposerai deux points qui m’ont aidé à structurer cette présentation, élargissant quelques réflexions que je fais dans le Prologue contenu dans le premier volume.

Je pars d’une expression qu’emploie Fiorito dans son article intitulé « L’académie de Platon comme École idéale ». L’expression est Magister dixerit, « le Maître dirait ». Si une difficulté surgit, qui n’est pas spécifiquement prévue par ce qu’ « a dit le Maître », le bon disciple, se sentant responsable de la valeur de la doctrine qu’il a reçue et voulant la défendre, s’en sort en affirmant : « Le Maître dirait ». Tandis que je relisais divers articles, je me demandais ce que dirait le Maître dans une circonstance similaire. Non pas tant « ce qu’il dirait », en fait, mais « comment » il le dirait. Sur ce point, j’ai été inspiré par une autre chose que souligne Narvaja, à savoir que Fiorito aimait se considérer comme un commentateur, dans le sens précis du mot : quelqu’un qui « commente en co-pensant (« com-mentum ») ; c’est-à-dire en pensant avec l’(autre) auteur ».

Ce que veux faire aujourd’hui, par conséquent, c’est un commentaire : penser avec Fiorito, avec Narvaja, à certaines choses qui m’ont fait beaucoup de bien et qui peuvent en aider d’autres. Je me servirai des textes librement, ce qui sera facilité par l’excellent travail qui a conduit à les publier tous ensemble et avec le bagage critique adéquat.

Que se demanderait Fiorito face à une édition de ses Escritos comme celle-ci ? Peut-être d’abord si cela en valait la peine, étant donné qu’il n’est pas un auteur connu, sauf peut-être dans l’environnement restreint de ceux qui étudient saint Ignace. Mais je crois qu’il serait d’accord sur le fait que ses écrits peuvent intéresser ceux qui accompagnent spirituellement et qui donnent les Exercices, toutes ces personnes désireuses d’une aide pratique pour guider les autres et pour proposer les Exercices avec davantage de fruit.

Fiorito n’a pas beaucoup cherché à se faire connaître mais, en bon maître, il a fait connaître beaucoup de bons auteurs à ses disciples. Je dirais même qu’il nous faisait goûter le meilleur des meilleurs, sélectionnant les textes et les commentant sur le Boletín de espiritualidad  de la province jésuite de l’Argentine qu’il publiait tous les mois. C’était un homme toujours à la recherche des signes des temps, attentif à ce que l’Esprit dit à l’Église pour le bien des hommes, à travers la voix d’une grande diversité d’auteurs, actuels et classiques. Et les textes qu’il commentait répondaient aux préoccupations – non seulement à celles du moment, mais aussi aux plus profondes – et réveillaient des propositions nouvelles, créatives. En ce sens, il lui semblait fructueux de continuer à faire connaître ceux qu’il faisait connaître.

Je crois avoir mentionné son nom pour la première fois lors d’une rencontre avec les jésuites du Myanmar et du Bengladesh. L’un d’eux, un formateur, m’avait demandé quel modèle j’avais à proposer à un jeune jésuite. Deux images me sont venues à l’esprit. La première concernait une personne pas très positive, tandis que l’autre, si ; et c’était celle de Fiorito. Il était ingénieur, puis il est entré dans la Compagnie. Professeur de philosophie, président de la Faculté, mais il aimait la spiritualité. Il nous enseignait, à nous les étudiants, la spiritualité de saint Ignace. C’est lui qui nous a enseigné la voie du discernement ». Je me souviens avoir ajouté que cela me faisait plaisir de le citer précisément là, au Myanmar, parce qu’à mon avis, il n’aurait jamais imaginé que son nom puisse être évoqué en des lieux si lointains. Encore moins lors d’un événement comme celui d’aujourd’hui.

Et pourtant il serait très content, j’en suis certain, que ses Escritos soient publiés par l’un de ses disciples. Et qu’ils soient présentés aujourd’hui par un autre d’entre eux. Le vrai maître, dans le sens évangélique, est content que ses disciples deviennent eux aussi des maîtres et, à son tour, il garde toujours sa condition de disciple.

Comme le montre Narvaja, c’est Fiorito qui nous a transmis l’ « esprit d’école » où « la propriété intellectuelle a un sens communautaire », en effet, « aucun disciple ne se sent patron absolu de l’héritage de son maître, au point d’en exclure les autres. Au contraire, il veut le communiquer, multipliant les heureux possesseurs du même trésor spirituel. Et plus encore, il veut communiquer justement cette même communicabilité ». Fiorito citait là la lumineuse expression d’Augustin à ce sujet, dans De doctrina christina : « Toute chose, en effet, ne s’épuise pas quand on la donne ; si on la possède sans la distribuer, on ne la possède pas comme il conviendrait de la posséder » (I, 1).

Le fait même de présenter les Écrits dans cette salle de la Curie générale est pour moi une façon d’exprimer ma gratitude pour tout ce que la Compagnie de Jésus m’a donné et a fait pour moi. Dans la personne du Maître Fiorito, sont inclus de nombreux jésuites qui ont été mes formateurs et je veux ici faire particulièrement mention de tant de frères coadjuteurs, Maîtres par leur exemple joyeux, en restant de simples serviteurs pour toute la vie.

En même temps, c’est aussi une manière de remercier et d’encourager tous les hommes et toutes les femmes qui, fidèles au charisme de l’accompagnement spirituel, guident, soutiennent et appuient leurs frères dans cette tâche que j’ai décrite, dans ma récente Lettre aux prêtres, comme la voie qui comporte de « faire l’expérience de se savoir disciples ». Non seulement celle de l’être, ce qui est déjà beaucoup, mais aussi de le savoir (en réfléchissant souvent sur cette grâce pour en obtenir le fruit, comme dit Ignace dans les Exercices). En effet, le Seigneur n’enseigne pas tout seul et encore moins à partir d’une chaire lointaine, mais il fait « École » et enseigne, entouré de ses disciples qui, à leur tour, sont les maîtres d’autres et en nous, cette conscience rend sa Parole féconde et la multiplie.

Dans le Prologue, j’écris : « L’édition des Escritos du père Miguel Ángel Fiorito est un motif de consolation pour nous, qui avons été et qui sommes ses disciples et nous nourrissons de ses enseignements. Ce sont des écrits qui feront beaucoup de bien à toute l’Église ». J’en suis convaincu.

(à suivre)

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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